«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
J'ai 34 ans, je suis heureuse en couple et maman d'un adorable petit garçon de 10 mois. Mes parents, qui ne vivent pas loin de chez nous, sont très présents et mon fils les adore.
Je suis toutefois confrontée à un fort dilemme. Je fais partie de cette catégorie de gens dont on parle pas mal dans les médias en ce moment: les personnes conçues par don de gamètes. Mon père étant stérile, mes parents ont recouru à une insémination artificielle avec donneur (IAD) pour m'avoir. Quand j'ai appris mon mode de conception, il y a une dizaine d'années, cela m'a remuée sur le coup puis j'ai cessé d'y penser. C'est en devenant maman que j'ai commencé à m'interroger sur mes origines: on me dit que mon fils me ressemble, mais moi, de qui je tiens tel ou tel trait?
Sans parler de la question des antécédents médicaux: pour les personnes conçues en Cecos, les donneurs étaient a priori en bonne santé au moment du don, mais s'ils ont développé des maladies des années après, nous n'en serons pas nécessairement informés.
Mon père s'est énormément investi dans mon éducation. Quand j'étais petite, il a toujours été là pour jouer avec moi, parler... Je l'aime profondément, et l'admire d'autant plus qu'il a agi ainsi en dépit du fait que nous n'étions pas génétiquement liés. Toutefois, bien qu'il sache que je suis au courant, la façon dont j'ai été conçue reste un tabou entre nous. Atteint de la maladie de Parkinson depuis des années, il est aujourd'hui fatigué, fragilisé et j'ai de la peine à le voir ainsi. Je ne voudrais pour rien au monde le blesser.
Néanmoins, les questions sur mes origines se faisant plus pressantes, j'ai rejoint l'association PMAnonyme et réalisé des tests ADN à l'étranger (cette démarche est interdite en France; toutefois, l'utilisation de ces tests est tolérée en pratique). Je précise que je ne cherche pas un père ni même une relation avec le donneur mais souhaite savoir d'où je viens, qui est cette mystérieuse personne à qui je dois la vie, et ce qu'il a pu me transmettre en matière de traits physiques, de caractère, d'éventuels problèmes de santé...
Fille unique, j'aimerais aussi trouver des demi-sœurs et demi-frères issus du même donneur, même si je sais qu'il vaut mieux ne pas les idéaliser. Je n'en ai actuellement pas trouvés, pas plus que de personnes qui partagent suffisamment d'ADN avec moi pour me permettre d'identifier le donneur. Toutefois, dans notre association, les découvertes vont bon train et il est probable que mes recherches aboutissent un jour.
J'ai récemment abordé le sujet avec ma mère et elle m'a indiqué que si je cherchais le donneur, mon père préférerait ne pas le savoir. Même si je comprends sa peine, cela m'a beaucoup attristée: le tabou entre nous n'est pas près d'être levé. Je me trouve donc face à un dilemme: si j'identifie un jour une demi-sœur, un demi-frère, un cousin biologique, ou même un donneur et le rencontre, si jamais nous nous lions (je ne me l'interdis pas, surtout pour ce qui est des demi-frères et demi-sœurs), je devrai donc non seulement le cacher à mes parents mais également taire leur identité à mon fils? Puis, plus tard, la lui révéler tout en lui demandant de ne rien dire à mon père?
Qu'en pensez-vous, Lucile?
Élodie
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Chère Élodie,
Vous avez le droit de vous poser des questions sur votre identité. Ce sont des interrogations tout à fait légitimes et qu'on ne peut pas vous enlever. Si vous en ressentez le besoin, vous devriez pouvoir remonter à vos origines. Ça devrait être en fait le cas pour toutes celles et ceux qui le désirent, que ces personnes aient été élevées par un seul parent, soient issues comme vous d'un don de gamète ou aient été adoptées. Nous devrions tous et toutes pouvoir nous construire avec notre petit bout d'histoire. Mais il ne faut pas oublier que celles et ceux à qui nous devons la vie ont aussi des droits, une histoire, des raisons qui les poussent parfois à s'éloigner de leurs enfants ou à ne pas s'impliquer plus que ça dans ce qui est juste un don de soi.
Je ne vais pas vous cacher que je ne crois pas aux liens du sang. Je pense que l'amour et le sentiment d'appartenir à une famille ne se transmettent pas génétiquement. Être un parent, être un enfant, être un frère ou une sœur doit être un geste conscient et qui s'inscrit dans le temps. C'est une question d'investissement, de responsabilité, de confiance.
Cela ne m'empêche pas de respecter votre démarche. En devenant mère, et pour mieux transmettre une histoire, vous avez besoin de savoir qui vous êtes. Quoi que vous trouviez et si vous trouvez quoi que ce soit, mon seul conseil concernera celles et ceux qui vous entourent depuis des années. Ne privilégiez pas un mystère à une histoire que vous connaissez déjà et qui semble belle. Ne blessez pas pour des incertitudes et l'espoir fou de faire partie d'une plus grande famille encore. Votre famille, c'est vous qui la construisez. Votre histoire, votre véritable histoire, vous la connaissez déjà.
La recherche que vous êtes en train d'entreprendre n'appartient qu'à vous. Mais tentez de dialoguer au mieux avec les personnes qui vous sont proches et qui pourraient ne pas comprendre. Imaginez ce qu'a pu traverser votre père à l'époque de ce choix et ce qu'il traverse aujourd'hui et qui pourrait lui sembler remettre en cause la relation qu'il a construite avec vous pendant des années. Vous avez le droit de vouloir savoir qui est votre géniteur mais retrouver sa trace ne vous donnera pas plus de lien avec lui que vous n'en partagez aujourd'hui. Ce sera également le cas si vous retrouvez la trace de demi-frères et sœurs.
Je crois à la communication avant tout et je sais combien les secrets de famille peuvent être toxiques par-delà les générations. Et comme il n'y a aucune honte à avoir à être issue d'une famille aimante, je ne vous conseille pas de cacher vos origines à votre fils, en adaptant évidemment votre discours à son âge. Exprimez vos besoins et votre souffrance sans oublier celles de vos proches. J'espère de tout cœur que cette réflexion vous rapprochera tous et toutes, et que vous trouverez l'apaisement, puisque vous avez déjà l'amour.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: