«Si j'étais au Caire maintenant, je serais descendu dans les rues pour faire des graffitis, comme je l'avais fait en 2011. Je continuais à me demander: comment puis-je participer de manière concrète et positive, et rendre cela utile?»
Bien qu'il soit désormais installé à Houston, au Texas, le street artist Ganzeer n'a pas quitté son Égypte natale. La colère du peuple égyptien, sa détresse et ses revendications ont traversé l'Atlantique, de même que les nouvelles d'accusations de corruption portées contre le président Abdel Fattah al-Sissi.
Début septembre, un entrepreneur du BTP, Mohamed Ali, postait sur son compte Facebook des vidéos accusant le président d'avoir dépouillé l'État égyptien de près de 12 millions d'euros pour construire sa résidence d'été, et de 10 autres millions pour un hôtel de l'armée. La nuit du 20 septembre, la place Tahrir se remplissait de nouveau des ombres de quelques centaines de manifestant·es. Depuis, le mouvement a pris de l'ampleur, et les arrestations sont revenues en masse: plus de 2.000 déjà.
Sissi, cambrioleur masqué
Brandie lors de manifestations, placardée dans les rues, une image a fait le tour du monde: c'est un portrait de Sissi, en costume et cravate rayées, portant les armoiries de l'Égypte et un masque de cambrioleur façon méchant de bande dessinée. Ce portrait, Ganzeer l'avait dessiné dans les heures qui ont suivi son réveil, au lendemain des premiers mouvements de foule, et publié d'abord sur son compte Instagram. «Arrêtez Sissi. Libérez l'Égypte», peut-on lire sur le haut des affiches. Et en bas, écrit en arabe, comme une légende: «à bas tous les traîtres: l'armée, les vestiges du régime, les Frères [musulmans]».
L'image a été reprise, imprimée, découpée, collée, transformée, en masque ou en bannière, et on l'a retrouvée dans des manifestations ou brandie par des particuliers, à New York, à Washington, à Séoul, Berlin, Paris ou Oslo… «Il est impossible qu'elle se retrouve sur la place Tahrir, avec la répression sécuritaire qu'il y a là-bas», ironise Ganzeer. Pourtant, certaines affiches ont trouvé leur place dans des ruelles du Caire: «Sisi dehors».
طب والله الماسكات عملت منظر برضك من مظاهرة نيو يورك ضد العرص النهارده New York earlier today.
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Répressions sanglantes et corruption
Depuis le coup d'État militaire de 2013 et la lourde et meurtrière répression qui a suivi (plusieurs centaines de morts lors du massacre de la place Rabia-El-Adaouïa, et des dizaines de milliers d'arrestations), les manifestations de septembre sont l'opposition publique la plus forte qui ait eu lieu en Égypte.
Si l'image de Ganzeer rencontre un tel succès, c'est surtout parce qu'elle fait écho au décalage entre une population qui entre 2015 et 2018 a dû essuyer une récession économique, augmentant considérablement le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, et un maréchal qui après avoir volé la présidence, volerait désormais le trésor de l'État.
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«En Égypte, certains se plaignent que les gens ignorent les morts, les arrestations, les répressions et sa tentative de rester au pouvoir, pour parler maintenant de corruption, remarque Ganzeer. Mais à mon avis, je pense que cette vague de protestation consiste à exposer personnellement Sissi comme un menteur –et on pourrait dire que c'est une clef pour dévoiler tous les autres mensonges.»
Ganzeer s'était fait connaître pour ses prises de position critiques et artistiques lors de la révolution de 2011 contre l'ancien président égyptien Hosni Moubarak. Poursuivant ses satires du pouvoir sous le régime du maréchal Sissi, il a dû s'exiler aux États-Unis en 2014, année où il a collaboré avec le collectif artistique Captain Borderline pour lancer la campagne #SisiWarCrimes («les crimes de guerre de Sissi»).