Boire & manger

Deux restaurants historiques en pleine mutation à découvrir

Temps de lecture : 9 min

Prunier à Paris, contemporain de Maxim's et de La Tour d'Argent, pour le caviar en petites portions, et L'Oustau de Baumanière en Provence pour les plats innovants du chef Glenn Viel, double étoilé Michelin.

Au restaurant Prunier, les œufs coque, pommes de terre rattes écrasées au caviar. | Prunier
Au restaurant Prunier, les œufs coque, pommes de terre rattes écrasées au caviar. | Prunier

Le Prunier du XXIe siècle, l'art du caviar français

Proche de l'Arc de Triomphe, le restaurant au décor classé (marbre noir et mosaïques au sol), créé en 1925, vient d'être repris et dynamisé par Caviar House, la société suisse qui produit des caviars français en Gironde et distribue les œufs d'esturgeon à peine salés dans le monde développé. Pas encore démocratisé, le caviar reste un aliment de luxe, de prix cinglant.

Façade du restaurant Prunier. | Prunier

Il faut savoir qu'Émile Prunier, grand connaisseur de la faune marine, fut l'un des premiers créateurs de caviars (1921), en même temps que les Petrossian, leaders à l'époque du caviar russe et iranien. Ces deux familles installées au début des années folles à Paris ont mis au point l'élaboration du caviar à base d'œufs d'esturgeons femelles (osciètre, beluga, baeri...), elles ont créé ce goût si particulier du caviar frais pour les connaisseurs (noisette, fruits secs...) aujourd'hui d'élevage, produit dans de nombreux pays comme la Chine, la Bulgarie, l'Italie et la France (en Gironde et en Sologne).

Au restaurant Prunier, tartare de Black Angus bio au caviar. | Prunier

Le beau restaurant Prunier de réputation mondiale a composé un répertoire à base de caviar: l'œuf au caviar, les tagliatelles au caviar (40 grammes), les Saint-Jacques au caviar, le tartare de bœuf au caviar, un duo terre-mer, la pomme de terre au caviar. Ces plats ont-ils vieilli? De la cuisine d'hier, démodée, en voie de disparition? Pas sûr du tout.

Dans l'esprit des nouveaux propriétaires, producteurs de caviars, il faut faire découvrir les caviars maison mariés à des produits alimentaires et des préparations innovantes –pourquoi pas? Et en petites portions, c'est moins coûteux. Le caviar français n'est pas réservé aux fêtes de Noël, à la Saint-Valentin et à Pâques. Prunier, maison leader des œufs d'esturgeon, doit présenter des préparations créatives au caviar à des tarifs humains et vendeurs: dix assiettes à moins de 39 euros aujourd'hui.

Au restaurant Prunier, le caviar Tradition. | Prunier

Ainsi sur la carte actuelle du chef Felipe Hallouin, formé par l'excellent Jean-Louis Nomicos chez Lasserre, des pains fourrés au caviar comme la baguette Prunier au beurre charentais et caviar, la baguette à la mortadelle, pistaches et caviar, la baguette Prunier à la crème aigre, poivre sauvage et caviar et la baguette à la mozzarella, huile d'olive, crème balsamique et caviar, toutes proposées à 15 euros. Des entrées salivantes, fondantes qui mettent en appétit, escortées de champagne ou de blanc de Bandol (10 euros le verre) ou de vodka.

La grande nouveauté avenue Victor Hugo, c'est la Street Caviar, des accords jamais vus façon tapas: les olives vertes, crème d'anchois et caviar (4 pièces) ou la purée de pommes de terre pur beurre et caviar, duo de dégustations au choix (39 euros). Aussi la burratina et caviar et le cornetto au thon et caviar (3 pièces) ou l'avocat et caviar, trilogie de dégustations, au choix (49 euros).

Au restaurant Prunier, l'œuf Christian Dior. | Prunier

Une révolution culinaire? Tout cela change des habitudes à table et permet des associations un peu folles qui piquent la curiosité et se laissent croquer avec entrain. À côté du célèbre œuf Christian Dior, un must (39 euros), les 15 grammes de caviar Tradition sont à 15 euros et les 80 grammes à 80 euros, à partager, pour les puristes. Ah le caviar nature, les grains qui roulent et fondent en bouche, un voluptueux moment!

Au restaurant Prunier, l'assiette gourmande avec le saumon Balik. | Prunier

Il ne faut pas passer outre le saumon Balik mis au point dans les montagnes helvètes, une spécialité étonnante de Caviar House, une simple merveille. Quand vous avez savouré le Balik façon sashimi au concombre mariné et vinaigrette sésame (46 euros), le Balik fumé à la mozzarella, basilic et balsamique (49 euros) et, surtout, l'assiette gourmande Balik (59 euros), vous mangez l'exceptionnel du saumon –du jamais croqué nulle part.

Rien que pour cette cérémonie unique à Paris, il faut aller redécouvrir le Prunier d'aujourd'hui. Balik, c'est le caviar du saumon.

À côté des plateaux de fruits de mer avec deux huîtres, du Balik Tsar Nikolaj et caviar Prunier (98 euros), voici le ceviche de crevettes carabineros (39 euros), le King Crab et betterave à la mayonnaise (59 euros) et la douceur de homard aux tomates confites, vinaigrette de miel (69 euros), des nouveautés bienvenues.

Aussi la brandade d'esturgeon (et non de morue) aux légumes de saison (29 euros), la bouillabaisse d'esturgeon et langoustines, croûtons au caviar et rouille, soupe parfumée (45 euros) et le navarin de homard à la fleur de thym (69 euros).

Oui, une renaissance magistrale, concrétisée par une créativité remarquable basée sur l'emploi du caviar français, à des prix décents: deux baguettes aux œufs d'esturgeon et les trois petits pots vanille, café et chocolat Émile Prunier, 39 euros. Pas mal à Paris.

Restaurant Prunier

16 avenue Victor Hugo 75016 Paris. Tél.: 01 44 17 35 85. Menu au déjeuner à 49 euros sauf samedi et dimanche. Carte de 40 à 90 euros. Fermé dimanche. Voiturier.

Salle du restaurant Prunier. | Prunier

Café Prunier

15 place de la Madeleine 75008 Paris. Tél.: 01 47 42 98 99. Fermé dimanche pour le déjeuner et dimanche, lundi et mardi pour le dîner.

L'esprit Baumanière aux Baux-de-Provence

Petit-fils de l'ancien assureur Raymond Thuilier (1897-1993), créateur du premier Relais & Châteaux provençal en 1945, trois étoiles en 1954, Jean-André Charial a reçu la mission sacrée de perpétuer l'histoire épatante de cette belle bâtisse logée dans le Val d'Enfer, ce cirque de roches et de pierres qui domine le parc, le restaurant, l'hostellerie (cinq étoiles) et la piscine –un décor impressionnant.

L'Oustau de Baumanière. | Matthieu Cellard pour les Éditions Glénat

Diplômé d'HEC, Jean-André Charial, distingué et longiligne, a secondé en cuisine le génial Raymond Thuilier, élève de Fernand Point dont il a reçu l'enseignement culinaire. C'était alors une partition très classique, la cuisine noble représentée par le loup farci en croûte à l'huile d'olive, la poularde à l'estragon, le gigot d'agneau de lait et le gratin dauphinois, les rougets en papillotes, le millefeuille Baumanière et les crêpes Suzette.

Salle du restaurant l'Oustau de Baumanière. | KenkVC

L'Oustau (la maison) de Baumanière, à quelques kilomètres d'Avignon, reste une étape de choix et une destination quasi parfaite pour des voyageurs en quête de repos, de plaisirs et de ressourcement de soi. Il y a un art de vivre, une ambiance particulière dans ce domaine préservé, à l'ombre du village escarpé des Baux, l'un des plus visités de France. Oui, il y a une âme, une magie du lieu qui a séduit Jean Cocteau (le décor de son film Le testament d'Orphée), Claude et Georges Pompidou alors secrétaire d'État au Tourisme, le prince Curnonsky qui écrivit que «chaque mets ravit les gastronomes comme un avant-goût du paradis».

À la reine d'Angleterre, en mai 1972, Raymond Thuilier sert ses spécialités fameuses: le loup en croûte sauce aux crevettes, le baron d'agneau, les petits pois du jardin, la mousseline d'artichauts, les fromages de brebis au thym, les fraises à la crème, le millefeuille, et dans les verres l'admirable Chevalier Montrachet 1964 et du Château Margaux 1953. Quel festin plutôt moderne ponctué des légumes divins à Baumanière, on savoure là les meilleurs haricots verts du monde.

Raymond Thuilier, fondateur de l'Oustau de Baumanière. | Wikimedia Commons

Tout le gotha mondial est venu séjourner dans ce lieu de paix et d'inspiration: Pablo Picasso, Harry Truman, président des États-Unis, Marc Chagall, Yves Brayer en voisin, Jacques Chirac et Frédéric Dard qui écrit: «Baumanière n'est pas une hostellerie, c'est une récompense, un lieu d'exception qu'il faut mériter pour le raffinement.»

L'écrivain lyonnais, créateur de San Antonio, a bien vu que «Baumanière résulte de la rencontre d'un site et d'un homme aussi exceptionnels l'un que l'autre. Je suis fier de Baumanière».

En 1993, Raymond Thuilier, soutenu par le Michelin mais mal compris par Gault & Millau s'éteint à l'âge de 97 ans aux Baux. «Jean-André, mon dauphin, est le seul désigné pour assurer la pérennité dans la continuité de Baumanière.» Voilà un lourd fardeau pour le petit-fils très aimé, formé dans une kyrielle de grandes tables étoilées (Troisgros, Chapel, Haeberlin, Taillevent) dont le maître célébré par le futur cuisinier provençal reste Fredy Girardet, premier trois étoiles suisse à Crissier, près de Lausanne.

Jean-André a hérité du feu sacré, il adore le travail aux fourneaux et le successeur désigné de Raymond Thuilier allège la carte, persuadé que de nouvelles créations culinaires feront évoluer le récital quotidien: on ne mange plus en 1993 comme en 1950, la nouvelle cuisine l'a conquis.

Héritier de Baumanière, des Maisons, de la cave, des jardins, gérant les personnels en salle et en cuisine (trente toqués), c'est un singulier défi à relever chaque matin.

Par chance, il a épousé en 1995 Geneviève, la fée des Baux, qui va entreprendre une vaste rénovation du domaine: l'hôtellerie répartie en trois maisons du village est la pierre angulaire du Relais & Châteaux bien dans son jus.

Les vrais amoureux du site provençal façon l'Enfer de Dante veulent passer du bon temps, pas seulement dîner et décamper, les déjeuners sur la terrasse même cet été 2019 étaient plus courus que jamais. La Provence, son charme verdoyant est à la mode, merci au TGV.

Deux restaurants, l'Oustau et la Cabro d'Or tout à côté plus l'hostellerie chic et romantique, le Relais & Châteaux est un modèle intemporel du genre, ce sont les lieux de vie qui décident l'épouse devenue décoratrice, architecte et paysagiste douée à œuvrer en toute liberté face à son époux, à repenser l'esprit du vaste domaine hôtelier.

Jean-André Charial et Glenn Viel. | Myphotoagency.com / Bernard Aurélien

Un Relais et Châteaux leader en France comme celui-là emploie 200 personnes et Jean-André Charial a engagé en mai 2015 le chef breton Glenn Viel, né à Versailles, fils d'un gendarme, passé par le Plaza Athénée, par l'Hôtel Meurice à Paris dirigé par Marc Marchand, puis par le Hyatt Madeleine piloté par Nicolas Sale parti au Kilimandjaro de Courchevel, aujourd'hui chef au Ritz depuis 2015.

«Jean-André Charial est un grand monsieur. C'est à Baumanière, grâce à lui, que j'ai trouvé mon style, ma cuisine raconte un lieu et son histoire, une sorte de fusion de l'ancien et du nouveau, c'est l'avenir», indique le chef Viel.

À l'Oustau de Baumanière, la tarte aux champignons. | HenkVC

Ce cuisinier inventif et cultivé au physique d'athlète s'est posé aux Baux pris par l'amour du lieu, «puissante base d'inspiration». C'est le professionnel idéal pour l'avenir proche de Baumanière. La partition culinaire a été enrichie de plats innovants: la lisette à cru, poireau, velouté de biscotte, oursin de Galice, superbe ensemble, la compression de butternut, zestes d'agrumes, décoction de pluches, les grosses langoustines, côtes de romaine, chips de crevettes, pulpe citron confit et huile d'olive, fascinant mariage, le cabillaud nacré accompagné de pomme purée fumée au jus d'une bouillabaisse, la laitue serrée sous pression, abricot, fenouil et citron confit, assiette légumière et fruitée –c'est le cadeau de la Provence légumière et gastronomique illustrée par de beaux menus clairement décrits.

À l'Oustau de Baumanière, le millefeuille par le chef pâtissier Brandon Dehan. | David Adema

Jean-André Charial, précurseur de nombreuses initiatives (il fait son vin) a été le premier à ordonner un menu tout légumes cuits, crus, tendres, croquants. La cuisine de Baumanière reflète les lieux de vie, les jardins, les potagers, c'est la tradition Thuilier amendée, accentuée qui a séduit Glenn Viel, un chef moderne en parfaite harmonie avec Jean-André Charial, un patron humaniste dont l'obsession est de faire vivre l'Oustau et ses maisons voisines au mieux.

Ce sont ses belles manières de seigneur de la restauration française qui irradient le site protégé. Dommage pour les Relais & Châteaux qu'il n'ait pas été élu à la présidence de l'association créée par Jo Olivereau, ex-hôtelier restaurateur en Touraine. Quelle expérience vécue dans ce site improbable!

À l'Oustau de Baumanière, le pigeon des Costières dans un nid de foin. | David Adema

Jamais la Provence n'a reçu autant de visiteurs. Baumanière, après des années troublées –les Américains absents et revenus– a regagné une vitalité croissante. Nombreux sont les visiteurs réguliers comme l'acteur Pierre Arditi et sa famille qui sont en quête de maisons, de villas, de points de chute dans les environs, loin de l'urbanisation galopante.

À l'Oustau de Baumanière, le rouget. | David Adema

Fidèle au legs stimulant de Raymond Thuilier –la présence invisible, dirait Victor Hugo– Baumanière a quelque chose d'éternel. Jean-André Charial a 74 ans, l'âge de l'Oustau des Baux. Longue vie!

À l'Oustau de Baumanière, les couteaux les pieds dans l'eau. | David Adema

D 27 13520 Les Baux-de-Provence. Tél.: 04 90 54 33 07. Menus au déjeuner à 95 euros, Tout Légumes à 135 euros, Ballade des Baux à 220 euros. Carte de 120 à 160 euros. Vin bio l'Affectif produit par Jean-André Charial, de 16 à 25 euros la bouteille. Petit déjeuner à 30 euros. Chambres à partir de 225 euros, Spa, boutique gourmande, vins de Baumanière, parking. Fermé du 5 janvier au 6 mars 2020.

La Cabro d'Or

L'autre villa hôtelière créée par Raymond Thuilier dans les années 1950-1960. Cadre bucolique en pleine verdure apaisante, jardins, terrasse, piscine. Cuisine provençale et méditerranéenne de l'excellent chef Michel Hulin qui vaut l'étoile, vingt ans de métier.

À la Cabro d'Or, anchoïade camarguaise, poulpe confit, légumes crus cuits. | La Cabro d'Or

Mas de Baumanière 13520 Les Baux-de-Provence. Tél.: 04 90 54 33 21. Menu au déjeuner à 33 euros. Carte de 88 à 120 euros. Chambres à partir de 200 euros. Une étape d'excellent rapport prix-plaisir.

Salle du restaurant La Cabro d'Or. | La Cabro d'Or

À lire: L'esprit Baumanière de Jean-André Charial, mémoires, trente recettes salées et sucrées des chefs Glenn Viel, Michel Hulin et du bon pâtissier Brandon Dehan. Photos éclairantes et récit historique, beau papier. Éditions Flammarion, 176 pages, 19,90 euros, bon prix.

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