«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Je m'appelle Jeanne, j'ai 36 ans, je suis actuellement en couple avec un compagnon dont j'ai été séparée pendant deux ans après huit ans de relation.
Nous nous sommes remis en couple il y a maintenant cinq mois.
Les raisons pour lesquelles je l'avais quitté sont diverses: la problématique au premier plan était le manque de désir, frustration très grande pour lui qui l'amenait à rentrer parfois dans de grosses colères. Il ne m'a jamais frappée, mais il m'a fait très peur tout de même à des moments (rouler vite en voiture, casser des objets). Lorsqu'il m'a parlé d'avoir un bébé à cette époque, j'ai pris conscience que je n'avais pas suffisamment confiance en lui et je suis partie.
Durant les deux ans où j'ai vécu sans lui, j'ai eu au début un grand soulagement puis j'ai rencontré un autre homme, attentionné, sympa, sécurisant... mais au bout d'un an je me suis mise à repenser à lui, c'était devenu constant.
Alors j'ai quitté mon nouveau copain, je suis partie en voyage et à mon retour j'ai recontacté mon ex.
Il a été d'accord pour réécrire une nouvelle histoire.
Suivi par une psy depuis notre rupture, il a pu identifier des choses qui le mettaient en difficulté dans ses relations. De mon côté j'ai aussi commencé une psychothérapie. Mais voilà: c'est très compliqué à nouveau, nous faisons beaucoup d'efforts pour ne pas repartir sur nos anciens fonctionnements et nous n'avons pas les mêmes envies à ce jour.
Il souhaite faire des projets, construire, mais moi je n'ai toujours pas assez confiance en lui. Je le sens fragile et comme je le suis aussi, je ne trouve pas toujours chez lui la réassurance dont j'ai besoin.
Il y a huit ans, il me répétait qu'il m'aimait plus que je l'aimais. C'est sûrement le cas, et à nouveau il le met en avant. Il me demande plus de démonstrations (je dois par exemple l'appeler une fois par jour), il en a besoin. Or je sais maintenant que je ne suis pas aussi démonstrative que lui, que je n'ai pas toujours envie de l'appeler et que je n'ai pas envie de lui envoyer des textos plusieurs fois par jour. Aujourd'hui je ne culpabilise plus de ne pas l'aimer comme lui m'aime, mais il n'acceptera jamais ce manque de démonstration de ma part. Je lui prouve autrement mais ça ne suffit pas. C'était déjà le problème dans notre ancienne relation.
Je n'ai pas envie de m'épuiser à le rassurer, je me trouve parfois égoïste et d'autres fois, je me dis que malgré l'amour que j'ai pour lui, notre histoire ne pourra jamais fonctionner.
J'étais très contente de le retrouver, mais à ce jour je vois que finalement il est toujours en train de me tester sur l'amour que je lui porte. J'ai aussi été franche en lui disant que construire une famille avec lui n'est pour le moment pas envisageable car ma confiance n'est pas complètement présente. Évidemment, ça lui fait de la peine et je ne veux plus être celle qui «fait mal». Je suis donc partagée entre culpabilité, espoir, tristesse.
Est ce que c'est trop demander de retrouver un peu de sérénité, est-ce qu'en amour ça n'existe pas?
Jeanne
Chère Jeanne,
Oui, je crois qu'il est possible de trouver la sérénité dans ses relations. Et ce doit même être un standard à vrai dire. Je me questionne en ce moment sur cette notion de couple qui est abordé malheureusement par beaucoup comme une posture sacrificielle. On met en avant les concessions, les efforts, le travail commun pour que les «choses marchent» et on finit par ne plus se focaliser que sur cette épreuve. Lutter, c'est être un guerrier ou une guerrière et donc avoir des victoires dont se gratifier. On se retrouve à se mettre en couple avec quelqu'un dont on essaye de corriger les défauts, qu'on essaye de convaincre de s'engager dans des étapes qu'il n'avait pas envisagé. On ne valorise pas le bien-être, la facilité, la simplicité. C'est presque vu comme une paresse.
Il me semble que c'est une des conséquences des logiques consumériste et entrepreneuriale qui contaminent le marché de la drague puis fatalement le couple. On veut le meilleur pour sa valeur théorique, quitte à se rendre malheureux. Il est moins question de sentiments que de valorisation par son succès. Et ça m'attriste. Je veux dénoncer ce problème de perspective.
Pour définir votre relation actuelle, vous avez utilisé trois adjectifs: culpabilité, espoir et tristesse. Est-ce qu'il y a plus à en dire? Deux de ces mots évoquent une situation qui vous fait souffrir, le troisième est une notion impalpable basée sur votre foi en l'avenir et ne concerne donc pas votre compagnon au premier plan. Vous avez beaucoup investi dans cette relation mais il faut savoir dire stop quand les bénéfices sont inexistants. Où est votre bonheur? Pouvez-vous continuer indéfiniment à souffrir du fait qu'il ne génère chez vous aucun sentiment de confiance et vous le fasse payer? Peut-on tout simplement rester en couple avec quelqu'un qui ne nous fait pas totalement nous sentir en sécurité? Que cherchez-vous à vous prouver en investissant autant de votre énergie dans ce couple?
C'est tout à fait normal de se voir hantée un temps par une histoire qui s'est mal finie ou dont on a le sentiment qu'on aurait pu faire mieux. Après quelque temps, on «refait le match». On se dit que ça aurait pu marcher si, ou qu'on a assez de recul et d'expérience pour désormais voir la relation évoluer dans le bon sens. Combien de fois j'ai imaginé retrouver un ou une ex pour améliorer les choses, pour réécrire l'histoire, pour effacer mes erreurs et les leurs? À une ou deux reprises, j'ai envoyé un message et organisé un rendez-vous. Est-ce que j'ai le sentiment que ça m'a apporté quelque chose? Non, jamais. Il est extrêmement difficile de reconstruire sur le terreau d'une histoire terminée. On n'efface pas comme ça les raisons qui ont conduit à l'échec. C'est comme ça. Il faut accepter ces échecs. Et tâcher de les analyser pour se protéger par la suite, grandir, être une meilleure personne qui se connaît mieux.
Il me semble que vous avez voulu vous amender d'une faute qui n'était pas la vôtre et que vous en payez ici le prix. Et la facture est disproportionnée. Vous savez qui vous êtes et semblez l'accepter. Vous n'avez pas à vous mettre en couple avec quelqu'un qui demande à ce que vous soyez quelqu'un d'autre. Ce n'est pas de l'amour, ça. C'est une relation dans laquelle vous vous faites tous les deux du mal... malgré toutes les bonnes intentions du monde.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: