Politique / Société

Jacques Chirac, premier président des millennials et emblème cool

Temps de lecture : 5 min

Avec lui disparaît une figure majeure de la Ve République ainsi qu'un symbole des années 2000 ayant joui d'une certaine popularité sur la fin de sa vie, notamment auprès de la jeunesse.

Jacques Chirac, alors candidat à l'élection présidentielle, brandit une pomme lors d'un meeting à Bordeaux, le 24 mars 1995. | Georges Bendrihem / AFP
Jacques Chirac, alors candidat à l'élection présidentielle, brandit une pomme lors d'un meeting à Bordeaux, le 24 mars 1995. | Georges Bendrihem / AFP

L'ancien président et cador de la droite s'est éteint dans la matinée du jeudi 26 septembre à l'âge de 86 ans. Pour certains, la nouvelle a déclenché un inéluctable retour dans le temps. Durant quelques secondes, le goût sucré des boules de mammouth, le bruit des Pogs lancés inlassablement dans la cour de récréation et l'odeur enivrante des feuilles Diddle se sont entremêlées dans un tourbillon nostalgique.

Demandez à un millennial de vous parler de Jacques Chirac. Il évoquera peut-être dans un premier temps ses victoires et défaites en tant que maire de Paris, Premier ministre ou président de la République. Mais si vous grattez un peu, les souvenirs de l'enfance, voire de l'adolescence, resurgiront d'un coup: l'ancien président veillant sur le préau de l'école depuis la photo officielle accrochée au mur, embrassant avec fougue le crâne lisse de Fabien Barthez lors de la Coupe du monde de football 1998 ou encore gesticulant dans un journal des Guignols, alors au sommet de leur popularité.

Sur le plan chronologique, les deux mandats chiraquiens, formant à eux deux une période allant de 1995 à 2007, correspondent à la scolarité primaire et secondaire de la génération Y –regroupant, pour rappel, les personnes nées entre 1980 et 2000. Ainsi, le fondateur du RPR constitue le premier président que les millennials ont véritablement connu. Il est même devenu, avec le temps, une figure suscitant l'admiration et jouissant d'une certaine popularité sur les réseaux sociaux.

Style chiraquien et industrie de la mode

Pour des questions de style, d'abord. Dès le début des années 2010, des blogs et comptes Instagram alignant des photos de l'ancien bras droit de Georges Pompidou apparaissent. Jacques Chirac, sourire aux lèvres et costume trois-pièces sur le dos, sautant allègrement par-dessus le tourniquet du métro. Jacques Chirac, cheveux impeccablement coiffés vers l'arrière, profitant d'un trajet en avion pour somnoler. Jacques Chirac, lunettes oversize écaille sur le nez, s'allumant nonchalamment une cigarette...

Le Tumblr Fuck Yeah Jacques Chirac, créé à la fin de l'année 2011 par deux amis, illustre cette fascination pour l'ancien président. Dans une interview accordée en 2013 au magazine NEON, les fondateurs expliquaient avoir voulu rendre hommage à son style vestimentaire «à la fois gangster et gentleman» ainsi qu'à «son style de vie», sans pour autant «traiter de politique».

Du côté des marques, cet intérêt pour la figure chiraquienne a été bien intégré. Rad, Monsieur T-Shirt, Ketshooop, RedBubble... Des dizaines d'enseignes ont ajouté à leur collection permanente des articles à l'effigie de l'époux de Bernadette ou marqués par l'une de ses célèbres citations. Sans compter les innombrables vêtements du même genre vendus par des particuliers sur Amazon ainsi qu'eBay.

Pour Benjamin Simmenauer, sociologue et professeur à l'Institut français de la mode, le culte autour de l'apparence et du mode de vie de Jacques Chirac est né d'un courant «un peu branché, un peu réactionnaire et un peu vintage». «Ce qui fascine, chez Jacques Chirac, c'est le fait qu'il ait cultivé une élégance à la française tout en demeurant un peu nonchalant et spontané» détaille-t-il, en ajoutant qu'une anecdote raconte que l'ancien président pouvait passer la journée en jogging lorsqu'il n'avait pas de rendez-vous.

«Avec son physique imposant mais ses airs néanmoins gauches et maladroits à la OSS 117, Jacques Chirac est attachant, poursuit le spécialiste. Cela explique pourquoi on arrive facilement à dissocier l'homme du dirigeant politique: il s'apparente plus à un personnage de BD un peu loser qu'à un véritable idéologue.»

Art des punchlines et ancrage dans la pop culture

Mais ce n'est pas seulement en raison de son élégance et de son flegme que le personnage de Jacques Chirac parle particulièrement aux adolescent·es ainsi qu'aux jeunes adultes français·es. Au cœur du mythe présidentiel également, la réputation du Corrézien à savoir manier le verbe et lancer des piques, et ce bien avant l'arrivée des Rap Contenders et l'apogée du concept de punchline, qui a fortement marqué la génération Y. Ses sorties verbales sont d'ailleurs répertoriées sur le générateur The Chirac Machine, consultable en ligne. On y retrouve, pêle-mêle, des plaisanteries racontées sur les plateaux télévisés ainsi que des moqueries adressées aux adversaires politiques, telle que la cinglante remarque «le Concorde ne tombe jamais en panne, sauf quand Monsieur Mitterrand monte dedans».

Plus généralement, tout le capital sympathie de Jacques Chirac s'est trouvé renforcé à la fin de sa vie. Si sa popularité était en baisse durant la dernière année de sa présidence –selon l'entreprise de sondages Kantar, elle a oscillé entre 16 et 30%–, elle n'en est pas moins remontée en flèche avec le temps. En décembre 2017, un sondage réalisé par l'Ifop révélait même que l'ancien président se trouvait à la quarantième place du top 50 des personnalités préférées des Français.

«Afin d'aborder la nouvelle promotion d'étudiants, nous avons décidé de distribuer des pommes dans l'université.»
Florine Auboire, présidente de l'association Sciences Po Rive Droite

L'envolée lyrique de l'inclassable Nabilla Benattia sur le plateau de l'émission «Touche pas à mon poste» en 2014 prouve d'ailleurs l'entrée définitive de Jacques Chirac dans la pop culture. Devant des chroniqueurs et chroniqueuses ébahi·es, l'ancienne candidate de télé-réalité assure trouver l'ancien président «trop chou», «trop sexy» et «trop mignon». Tout en se targuant de posséder des «t-shirts Jacques Chirac», la jeune femme aux 4,7 millions d'abonnés Instagram va jusqu'à affirmer qu'elle regrette que ce dernier ait quitté la scène politique et qu'elle «aimerait vraiment» le rencontrer.

Dans un autre registre, la campagne de recrutement menée cette année par l'association Sciences Po Rive Droite, réunissant des jeunes militant·es LR, est également un bon indicateur de l'attachement des millennials à l'ancien président. «Afin d'aborder la nouvelle promotion d'étudiants, nous avons décidé de distribuer des pommes dans l'université», confie Florine Auboire, la présidente. «On voulait faire un clin d'œil à celui que l'on considère un peu comme le président de notre enfance, poursuit l'étudiante âgée de 20 ans. Pour nous, il incarne une vision humaine et cool de la politique.»

Combats avant-gardistes et dimension charismatique

Pour Georges Fenech, ancien député UMP et ex-patron de la Miviludes, la singularité des liens unissant la figure chiraquienne à la génération Y s'explique par des raisons profondes et ne doit pas être confondue avec une simple tendance. «Les 20-30 ans sont sincèrement attachés à Jacques Chirac car ce dernier a fait preuve d'un avant-gardisme humaniste qui prend tout son sens aujourd'hui, analyse-t-il. Il ne faut pas oublier qu'il a été le premier chef d'État français à parler avec force de sujets sensibles tels que la fracture sociale, plus que jamais d'actualité ces derniers mois.»

Un avis partagé par l'ancien membre du bureau politique de l'UMP Pierre-Yves Bournazel, pour qui le charisme de l'ancien président contribue également à son succès auprès des millennials. «De son vivant, Jacques Chirac était déjà à l'origine d'un engouement très fort. Je me souviens notamment de l'un de ses lieutenants expliquant qu'il serait prêt à se jeter dans la Seine pour lui. Quel homme politique peut aujourd'hui se targuer de susciter une telle fidélité?» lance le député et candidat à la mairie de Paris. Avant de conclure, mélancolique: «Du temps de ses années en politique, il remplissait le Parc des Princes... on ne voit plus cela, de nos jours.»

Newsletters

Petite histoire du 49.3, de Mai 68 à la réforme des retraites

Petite histoire du 49.3, de Mai 68 à la réforme des retraites

Le gouvernement d'Élisabeth Borne n'est pas le premier à faire preuve d'autorité au Parlement pour faire passer une réforme contestée.

Derrière la motion de censure, une nécessaire réflexion sur les institutions

Derrière la motion de censure, une nécessaire réflexion sur les institutions

Le gouvernement est sauf (pour l'instant), mais l'impasse demeure.

Récup'

Récup'

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio