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Pourquoi les Danois ont de petits testicules

Temps de lecture : 7 min

De l'influence de l'environnement et des produits chimiques sur le volume testiculaire.

Qu'on l'admette ou non, la taille du sexe de bébé garçon est souvent une source de fierté parentale. Si la nature l'a gâté, son père et sa mère peuvent prédire son avenir sans effort: il aura de la testostérone à revendre, sera bien monté, tout en restant (d'une façon ou d'une autre) réceptif aux besoins de son entourage —en bref, un leader-né, généreux et intègre. Voilà pour le scénario idéal. Mais que se passe-t-il lorsque bébé nait avec une malformation génitale?

S'il est Danois, on compare ses bijoux de famille à ceux de ses voisins de la Baltique. Au Danemark, l'augmentation des malformations génitales chez les nourrissons masculins, la baisse des taux moyens de spermatozoïdes, et l'augmentation du taux de cancer du testicule ne cessent d'alarmer les scientifiques. Depuis cinq ans, un groupe de chercheurs du pays tente d'en déterminer les causes —et compare, pour ce faire, les parties intimes de leurs concitoyens à celles des Finlandais.

Pourquoi la Finlande? C'est bien simple: les deux pays ont des archives médicales de qualité et des populations ouvertes à la recherche médicale. De plus, une rivalité féroce les oppose depuis toujours —déjà à l'époque des Vikings, les tribus danoises et finlandaises se fichaient des coups de gourdin. Mais à qui revient aujourd'hui la palme des gourdins les plus imposants? Là est la question. Pourquoi cette question devrait-elle vous intéresser si vous n'êtes ni Danois, ni Finlandais? Tout simplement parce que les problèmes que rencontrent ces bébés pourraient bien être causés par des toxines environnementales —toxines aujourd'hui présentes dans le monde entier.

Les Finlandais ont les plus grosses...

Selon les statistiques, les Finlandais remportent haut la main ce concours de mensurations. Une étude menée sur 1.600 nourrissons nés entre 1997 et 2001 montre que les mensurations des testicules des jeunes Danois sont moindres que celles des Finlandais. Les scientifiques ont commencé par calculer le «volume ellipsoïde» testiculaire à la naissance, constatant alors une différence notable. A trois mois, la différence était encore plus prononcée, la croissance testiculaire des bébés finlandais étant en moyenne... trois fois supérieure à celle de leurs jeunes voisins! Lorsque les résultats furent publiés dans la revue Clinical Endocrinology & Metabolism, en 2006, l'annonce fit l'effet d'un coup de tonnerre –pour vous faire une idée, imaginez qu'une étude très sérieuse affirme que les étudiants de Yale en ont de plus petites que ceux de Harvard... «On en parlait beaucoup dans les médias», se souvient Katharina Main, directrice de recherche à l'Université de Copenhague. Les chercheurs ont mené une autre étude, portant sur la taille des pénis des nourrissons, qui a permis de démontrer que les grandes tailles étaient associées à des taux élevés de testostérone. «Les Finlandais nous battent dans toutes les catégories: taux de spermatozoïdes, tailles des testicules, taux de cancer», ajoute Main, chagrinée.

Vous me direz que ces ingrats de Scandinaves pourraient déjà s'estimer heureux d'être grands et blonds... seulement, voilà: la taille des testicules et des pénis (et, à l'évidence, les malformations congénitales) peuvent en dire long sur la santé autant que sur le succès reproductif des individus. Et les facteurs environnementaux pouvant expliquer ces problèmes affectent déjà plusieurs pays d'Europe occidentale et –probablement– une partie de l'Amérique du Nord.

La taille, ça compte

Pour parler simple, plus les testicules sont gros, plus ils contiennent de cellules de Sertoli –ces cellules sont les «pépinières» qui assurent la production du sperme. Cela fait plusieurs années que les Danois s'inquiètent des baisses de fertilité dans la population masculine. Une étude de 2006 montre que 40% des jeunes recrues de l'armée danoise avaient des taux de spermatozoïdes laissant à désirer. En 2007, au pays du Lego, 7% des nourrissons mis au monde avaient été conçus par assistance médicale à la procréation. (Aux Etats-Unis, le chiffre tourne autour des 1%).

Les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas à la fertilité. Environ 9% des écoliers danois ont au moins un testicule non descendu (2,3% en Finlande). Cette condition, la «cryptorchidie», multiplie les risques de cancer du testicule par deux. Et de fait, au Danemark, le cancer du testicule touche environ 1% de la population masculine; trois fois plus qu'en Finlande ou qu'aux Etats-Unis.

Des testicules non descendus

Autre fait troublant: les bébés danois touchés par ces malformations ont des taux d'androgènes (une catégorie d'hormones mâles) relativement bas. On ne sait pas vraiment quelles répercussions cela pourrait avoir sur leur santé future –reste que quelque chose perturbait la production de leurs androgènes, et ce avant même qu'ils soient nés. Mais quoi? Probablement une série de facteurs génétiques ou environnementaux –ou un mélange des deux. Les chercheurs se sont à nouveau penchés sur leurs données, et ont entrepris d'analyser le sang des nourrissons et le lait de leurs mères. Les Danoises ont tendance à continuer de fumer et de boire pendant leur grossesse, mais selon les scientifiques, cette habitude ne permet pas d'expliquer la multiplication des malformations génitales. En étudiant les échantillons, ils ont relevé des taux significatifs de substances chimiques industrielles, comme les polychlorobiphényles (qui sont interdits depuis les années 1970, mais qui sont toujours présents dans la terre, dans l'eau et dans les aliments), des retardateurs de flamme, des dioxines et des pesticides (DDT...). «Il apparait que l'exposition aux substances chimiques n'est pas la même» chez les bébés danois et finlandais, nous explique Katharina Main, qui avoue avoir été surprise par cette découverte. «Les Danois sont plus touchés. Plus vous êtes exposés –suivant le taux de substances présentes dans le lait maternel–, plus vous risquez d'avoir un testicule non descendu.»

Que peut-on en conclure pour les garçons américains? Vont-ils connaître les affres du rétrécissement danois, ou ressembleront-ils aux solides gaillards de Finlande ? Etant donné la qualité médiocre de nos archives médicales, il serait difficile d'offrir une réponse catégorique. Une chose est sûre, cependant: nous nous exposons à autant de substances chimiques néfastes que les Danois. Dans certains cas, nous avons même moins de chance qu'eux: les retardateurs de flamme bromés sont par exemples interdits en Europe, mais encore utilisés aux Etats-Unis. Parmi les malformations congénitales les plus courantes, on trouve l'hypospadias (une malformation de la verge: l'urètre s'ouvre à la face inférieure du pénis et non à son extrémité). Elle requiert généralement une intervention chirurgicale, et les cas les plus graves peuvent créer des troubles de la fonction sexuelle et de la fertilité. Cette malformation affecterait un garçon sur 125 –ou un sur 250, suivant les sources.

Produits chimiques et virilité

Selon une étude conduite l'an dernier en Angleterre, les femmes exposées à la laque sur leur lieu de travail ont un risque trois fois supérieur à la moyenne d'avoir un fils atteint d'hypospadias. L'étude souligne le fait qu'un grand nombre de laques contiennent des phtalates, un groupe de produits chimiques entrant dans la fabrication de plastiques, souvent liées à des perturbations hormonales. Aux Etats-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention ont constaté un doublement des cas d'hypospadias de 1968 à 1993. Plus rassurant, cependant: un article publié l'année dernière ne constate aucune augmentation des cas depuis cette date dans les hôpitaux de New York.

Reste que les données inquiétantes s'accumulent, et qu'elles tendent à prouver que produits chimiques et virilité ne font pas vraiment bon ménage. Ainsi le cancer du testicule touche-t-il de plus en plus d'hommes en Amérique comme ailleurs; sa fréquence a doublé en vingt ans. Il demeure au premier rang des cancers de l'homme jeune. Une récente étude a établi un lien entre les anomalies du sperme et la présence dans le sang de perfluorooctane sulfonate (PFOS) et d'acide perfluorooctanoïque (APFO), substances utilisées dans la fabrication des revêtements antiadhésifs. Pour ce qui est des problèmes de fertilité, ils viennent sans doute –tout comme le cancer– d'une interaction entre certains facteurs génétiques et environnementaux. Selon l'urologue Laurence Baskin, de l'Université de San Francisco, la théorie selon laquelle certains produits chimiques (ou mélanges de produits chimiques) affecteraient les hormones très tôt dans la vie de l'enfant est en train de gagner du terrain. «L'exposition se fait lors du premier trimestre de grossesse, parce qu'à 17 semaines, le pénis est déjà complètement formé», explique-t-il.

Et le cerveau?

La testostérone (entre autres hormones mâles) affecte les parties génitales, mais aussi le cerveau. Dans une curieuse étude publiée en novembre dernier dans l'International Journal of Andrology, la chercheuse américaine Shanna Swan a observé l'attitude de jeunes garçons vis-à-vis des jeux dits «masculins». Leurs mères avaient toutes consenti à des analyses d'urine pendant leur grossesse; le Dr Swan savait donc à quel degré chaque fœtus mâle avait été exposé aux phtalates dans le ventre maternel. Elle a noté que les enfants ayant été exposés aux plus forts taux de phtalates étaient aussi ceux qui répugnaient le plus à jouer avec les pistolets en plastique. Bien que rien ne permette d'affirmer quel sera le comportement futur de ces jeunes enfants, Swan affirme que ces données laissent penser que «l'exposition prénatale aux phtalates, même à faible niveau, peut provoquer des changements profonds et permanents» dans le cerveau et les organes reproducteurs.

Chez les experts, cette théorie selon laquelle les produits polluants dérégleraient les hormones mâles ne fait toutefois pas l'unanimité. Plusieurs études conduites sur des animaux vont dans de sens, mais cette hypothèse est difficile à prouver chez l'homme. Le Dr Michael Joffe, de l'Imperial College (Londres), souligne le fait que la fréquence des cas de cancer du testicule a mystérieusement commencé à augmenter au milieu du XIXe siècle. Selon ses calculs, les malades de l'époque ont été conçus avant même que l'utilisation d'un bon nombre de produits chimiques aujourd'hui incriminés ne se généralise.

Des doutes

Rien de concluant, donc, mais assez de doutes pour que les mamans y repensent à deux fois avant d'utiliser des crèmes et des parfums pleins de phtalates pendant leur grossesse. De ce côté-ci de l'Atlantique, nous attendons toujours de voir de nouveaux travaux de recherche venir confirmer ou infirmer ces soupçons. En attendant, les Danois ont déjà mis en place une politique de régulation des substances chimiques comptant parmi les plus strictes au monde (une longue série de composés chimiques, dont l'APFO et les phtalates, ont été prohibés). Ce qui va leur permettre de suivre l'évolution des choses... ou l'absence de toute évolution.

Florence Williams

Traduit par Jean-Clément Nau

Image de une: Steffenz, Flickr

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