L'Astrance
Meilleur disciple d'Alain Passard, grand cuisinier-jardinier, Pascal Barbot en cuisine et Christophe Rohat, directeur de la salle à mezzanine ont perdu en février la troisième étoile, ce qui a sidéré la communauté des gourmets conquis de longue date par la créativité, «la main» (Alain Passard), le talent régulier de ce chef d'une grande modestie et d'une incroyable maîtrise au piano. Ses fidèles l'adorent, comme Guy Savoy.
Pascal Barbot en cuisine. | GP
Fou de voyages et de produits insolites (miso, riz japonais), ce cuisinier discret et inventif a déjà un palmarès enviable: le foie gras au verjus, le homard et la nage de légumes, les Saint-Jacques à la vapeur d'huîtres, la poularde des Landes aux amandes et abricots. Toutes ces gâteries délicates ont été abandonnées pour des préparations actuelles, ciselées avec amour et sensibilité: les goûts vrais, toujours les goûts qui ensorcèlent.
Au restaurant L'Astrance, l'agneau de lait de Lozère, aubergine laquée au miso, curry noir. | Richard Haughton
Au menu, cette fin d'été (pas de carte), le tourteau au concombre mariné et vinaigre de riz, les moules froides façon ceviche, frisée et fleurs sauvages, le maquereau au miso, riz Koshihikari (celui de Joël Robuchon) au beurre blanc à la sauce soja (admirable), la poitrine de cochon confite, carabineros (crevettes rouges), laitue et sauce pimentée, le canard de Challans cuit au sautoir, cocos de Paimpol et jus de citron.
Au restaurant L'Astrance, coquillages, bouillon aux algues, sésame et huile d'olive. | Richard Haughton
Au dessert, le sorbet piment et citronnelle, la tarte au sucre compotée de rhubarbe et fruits rouges et la mousse de jasmin (superbe), le lait de poule au jasmin et les mini madeleines au miel (divines) et fruits frais.
Ce repas au déjeuner est inoubliable. Véritable sorcier des saveurs et des textures, le récital de Pascal Barbot, grand formateur de cuisinières, met en valeur les cuissons parfaites, le produit de base grâce à une symphonie de garnitures salées, sucrées, asiatiques ou autres. Personne ne cuisine comme ce poète des assiettes, grand saucier –ne pas manquer le beurre blanc et les douceurs finales.
À coup sûr, un très grand cuisinier (vingt couverts par service) dont le style très dominé (aucune coquetterie) ne ressemble à aucun autre. Les mariages subtils et les émotions lui ont valu la triple couronne du guide rouge puis son retrait. Pourquoi cette rétrogradation grotesque?
Salle du restaurant L'Astrance. | lesrestos.com
Par chance, l'Astrance n'a pas perdu un seul convive, les bons gourmets ont appris à se méfier des verdicts étranges du guide rouge. Allez-y!
4 rue Beethoven 75016 Paris. Tél.: 01 40 50 84 40. Menus au déjeuner à 95 euros (une affaire) et 170 euros. Au dîner, menu à 250 euros. Réservation obligatoire. Fermé samedi, dimanche et lundi. Déménagement rue de Longchamp (75016) dans le premier restaurant de Joël Robuchon (le Jamin) au printemps 2020.
Lapérouse
Ce grand restaurant des quais de la Seine fondé en 1766 par Lefèvre, limonadier du roi Louis XV, était alors une cave à vins, pas un restaurant, il a eu trois étoiles de 1933 à 1969 (comme La Tour d'Argent et Maxim's) sous la direction éclairée de Roger Topolinski dont les spécialités étaient la poularde Docteur, la langouste amoureuse, le caneton dédié à Colette, entre autres, grande cliente –elle écrivit là La chatte. Aussi, au dessert, le soufflé Lucien Breton aux mandarines, une rareté absolue.
Façade du restaurant Lapérouse. | Matthieu Salvaing
L'attraction majeure du restaurant aux boiseries et miroirs était les petits salons 1900 (d'anciennes chambres de bonnes) baptisés «La Belle Otéro», «Les Amours», «Les Anges», «Le Quai aux Fleurs» où des couples pouvaient s'enfermer pour la bagatelle. Une sonnette avertissait les maîtres d'hôtel chargés de servir les plats d'Auguste Escoffier, employé dans les cuisines camouflées de l'hôtel. Des convives d'aujourd'hui réclament toujours ces cabinets très privés –et bouclés.
Chez Lapérouse, le Salon des Amours. | Jean-Pierre Salle
Toute une époque qui fut éblouissante pour le gotha revit dans ces lieux de plaisirs variés chers aux sénateurs et politiciens de la République française, précédant un terrible passage à vide dans les années 1980 et une chute vertigineuse de la notoriété du restaurant vieilli, usé –des cars de touristes occupaient les salons et les deux salles à manger ouvertes sur la Seine et l'autre rive.
Lapérouse fut baptisé ainsi car le grand voyageur Jules Lapérouse était le neveu du propriétaire. C'était une grande adresse en 1850, avant la chute, l'établissement soutenu par le Michelin devint une belle endormie. Maxim's, La Tour d'Argent, Larue (disparu) et Lucas Carton ont devancé Lapérouse qui n'était plus alors ce qu'il avait été à l'époque d'Ernest Hemingway, de Winston Churchill et de Woody Allen qui y tourna le film Midnight in Paris. On a redouté sa disparition comme le théâtre de l'Ambigu-Comique près de la Madeleine, devenu une banque.
Dans l'une des salles du restaurant Lapérouse, de gauche à droite, Benjamin Patou, Christophe Michalak et Jean-Pierre Vigato. | Jean-Pierre Salle
Par bonheur, deux investisseurs cultivés et connaisseurs de la vie à Paris, Benjamin Patou (Moma Group) et Antoine Arnault, fils de Bernard fondateur de LVMH, ont redonné vie et beauté à ce monument de la restauration parisienne d'hier.
Lapérouse a été refait à l'identique –en mieux. L'architecture intérieure d'un chic rétro, le mobilier confortable à l'ancienne, les couleurs et matières bien choisies, tout cet héritage décalé crée une atmosphère proustienne: on ne vient pas dans ce dédale de couloirs bas de plafond par hasard.
Un repas chic dans les salons particuliers ou dans les deux salles à manger lumineuses –vue admirable sur la Seine– s'apparente à ce qu'il se passe au Grand Véfour, à La Tour d'Argent ou à l'Hôtel de la Monnaie de Guy Savoy, tout près. Il faut une mise en condition, de bons compagnons de table et une certaine élégance des manières, c'est cela aussi la restauration de qualité.
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Du mouvement (quatre-vingts places assises), des personnalités qui savent sortir et un chef conseil étoilé, Jean-Pierre Vigato venu d'Apicius de haute mémoire (le Tout-Paris venait) jusqu'à cette maison de plaisirs (sic) sortie du presque néant, oui Lapérouse revit à merveille. L'usure du temps s'est effacée comme par miracle grâce à l'architecte d'intérieur Laura Gonzalez et au graphisme des Arts de la Table de Cordelia de Castellane –c'est un héritage préservé et embelli.
Et la cuisine contemporaine n'a jamais été meilleure. La carte courte, salivante est mitonnée par Maxime Le Meur, bras droit de Jean-Pierre Vigato, dont certaines créations époustouflantes sont bien là: la charlotte de pommes de terre au caviar et crème aigrelette au citron (75 euros), un chef-d'œuvre.
Au restaurant Lapérouse, l'araignée de mer décortiquée. | Jean-Pierre Salle
D'autres plats actuels à la fois simples et complexes méritent un sort: les langoustines cuites et crues, nage à l'estragon (60 euros), un duo savoureux, tout comme le foie gras poêlé et sashimis de thon, sauce aigre-douce (50 euros), un ensemble tout en contrastes.
Côté poissons, le cabillaud demi-sel, vinaigrette aux légumes (42 euros), le suprême de Saint-Pierre à la verveine et tartare d'herbes (60 euros), le homard bleu rôti, corail et carpaccio de pinces (85 euros). La marée détermine les plats de la semaine: bar et turbot très demandés.
Au restaurant Lapérouse, le ris de veau entier. | Jean-Pierre Salle
Quatre viandes dont le pigeon farci au foie gras et truffe, sauce diable et cuisses confites (55 euros), chef-d'œuvre de saveurs puissantes, la pièce de bœuf (quelle origine?) poêlée minute, cromesquis (55 euros) et le ris de veau entier (bravo), vinaigrette au café (60 euros), un régal pour les amateurs de l'abat.
Les gâteries pâtissières sont signées Christophe Michalak, épris de tradition d'enfance: la profiterole au chocolat, crème vanillée et coulis de cacao chaud (20 euros), une merveille à damner un saint tout comme le soufflé au chocolat, grande spécialité de Vigato (20 euros).
Au restaurant Lapérouse, dessert de Christophe Michalak. | Matthieu Salvaing
Dès l'ouverture, Lapérouse, repensé, réanimé s'approche des deux étoiles. Oui, une renaissance magistrale. Il faut y aller pour un repas de fête.
51 quai des Grands Augustins 75006 Paris. Tél.: 01 43 26 68 04. Menu au déjeuner à 75 euros du mardi au vendredi. Beau menu Dégustation à 200 euros en six étapes. Carte de 120 à 150 euros. Réservation conseillée. Petits salons particuliers ou salles à manger, indiquer votre choix. Bar d'accueil bienvenu. Fermé samedi midi et dimanche. Voiturier.
Le Fouquet's
Le grave incendie du printemps dernier a endommagé le rez-de-chaussée, la terrasse, la salle à manger historique et la cuisine. Par chance, pas le premier étage qui fut étoilé au Michelin jusqu'aux années 1980.
Salle du restaurant Le Fouquet's. | Marc Berenger
Le restaurant de cochers créé par Louis Fouquet en 1899, contemporain de Maxim's, a obtenu trois étoiles juste avant la guerre de 1940. Il avait au piano le chef Jean-Gabriel Gaubert puis le maestro Faivre, un seigneur de la restauration parisienne. La qualité de la chère, de beaux plats très travaillés –les tagliatelles de homard à l'orange– ont été concoctés par son successeur le chef Pierre Ducroux, étoilé, puis par Jean-Yves Leuranguer (2003), un maître venu du Martinez de Cannes. Toutes ces réjouissances stylées sont bien supérieures aux ritournelles de brasseries traditionnelles.
Le Fouquet's reste l'une des meilleures tables des Champs-Élysées, et son succès constant –jusqu'à 800 couverts par jour– a été l'œuvre des grands professionnels de la cuisine et de la salle. Les habitués, Robert Hossein, Georges Cravenne, José Artur, Jean-Paul Belmondo, le regretté Charles Gérard, Jacques Chancel, Tino Rossi avaient leur rond de serviette. C'était un club de bons vivants et à la réouverture le 14 juillet dernier, les fidèles étaient bien là, heureux de retrouver la terrasse sur l'avenue George V (création de Maurice Casanova en 1978) et la salle élégante aux boiseries blondes et photos de princes du septième art: le Tout-Paris vient pour voir et être vu.
Au restaurant du Fouquet's, le filet de bar poché à l'huile d'olive. | Laurent Fau
En 2015, Dominique Desseigne, gendre de Lucien Barrière, a engagé Pierre Gagnaire, le grand chef stéphanois devenu parisien triple étoilé rue Balzac (75008), comme conseil des créations culinaires (volailles fermières de Jean Vignard, chef lyonnais). L'ensemble de la carte est envoyé par Bruno Guéret, un seigneur de la cuisine mémorielle dont le répertoire change avec les saisons –coquilles Saint-Jacques après l'été et truffes noires en automne.
Au restaurant du Fouquet's, le tataki de thon. | Laurent Fau
Parmi les préparations actuelles, voici le tataki de thon rouge Saku, légumes (34 euros), le homard à la parisienne (68 euros), le saumon gravlax, concombre à la crème (32 euros), la gratinée d'oignons (22 euros), le fish and chips, crème de pois cassés, sauce gribiche (32 euros), le filet de truite de Méréville meunière, épinards et champignons (36 euros), les gambas à la plaque et le risotto au curry vert (38 euros), le cheeseburger pommes coin de rue (34 euros), le filet de bœuf Simmental (allemand) purée aux herbes (52 euros) et le plat du jour. Carte vegan et desserts: millefeuille, éclair au chocolat et café, tiramisu, gâteau au chocolat (14 euros). Fontainebleau aux fruits rouges (16 euros) Le Fouquet's a 120 ans, il n'a pas vieilli, c'est un restaurant moderne. Personnel affable et charmant.
Au restaurant du Fouquet's, le fontainebleau aux fruits rouges. | Laurent Fau
99 avenue des Champs-Élysées 75008 Paris. Tél.: 01 40 69 60 50. Menu au déjeuner à 39 euros, au dîner menu Pierre Gagnaire à 86 euros avec du champagne. Carte de 90 à 130 euros. Snack de 15 h à 19 h: jambon blanc et haricots verts (16 euros), salade cæsar (31 euros), croque-monsieur et frites (24 euros), fromages (26 euros), glaces et sorbets Geronimi (12 euros), profiteroles (16 euros). Petit déjeuner Express (16 euros), Continental (28 euros) et Parisien (36 euros). Bonne sélection de vins au verre, Sancerre bio (16 euros). Pas de fermeture.
Marsan
Hélène Darroze. | Nicolas Buisson
La landaise Hélène Darroze a refait le décor de son premier restaurant en étage, tout près du Lutetia, plus dépouillé, lumineux, tables bien espacées. L'enseigne renvoie à son village natal et à ses racines familiales d'où tout est parti –et d'abord sa vocation de cheffe éco-responsable formée par Alain Ducasse, Landais comme elle.
Au restaurant Marsan, homard tandoori, mousseline de carottes aux agrumes, poivre de Lampong et coriandre fraîche. | Maxime Sicard
C'est la cuisine de la mémoire, de la tradition magistrale qui intéresse le gourmet dans ce temple des plats basques, fermiers, aquitains: le maquereau de ligne à peine brûlé accompagné d'un gazpacho de tomates Green Zébra et piments Jalapeno, le ttoro autour du rouget de Saint-Jean-de-Luz, fenouils, le canard de Challans rôti au miel de bruyère, la poitrine de cochon du Périgord aux girolles sauce chimichurri, le foie gras de canard des Landes aux pêches et amandes, la crevette impériale au riz crémeux et maïs, les framboises Tulameen, l'oseille et l'huile d'olive et le chocolat associé au café et à la citronnelle… toutes ces propositions goûteuses sont réparties dans plusieurs menus à des prix salés.
Au restaurant Marsan, les framboises Tulameen, l'oseille et l'huile d'olive. | Maxime Sicard
Hélas, une seule recette de foie gras, c'est frustrant, une grande cuisinière doit être généreuse. Si peu de praticiens des casseroles savent travailler le foie gras chaud escorté de truffes, voilà de la haute cuisine qui vous envoie au septième ciel! On attend une recette similaire.
Salle du restaurant Marsan par Hélène Darroze. | Maxime Sicard
4 rue d'Assas 75006 Paris. Tél.: 01 42 22 00 11. Menus au déjeuner à 75 euros (trois services), 95 euros (quatre services). Menus Dégustation à 175 (six services) et 225 euros (huit services). Fermé samedi et dimanche.