Culture

Pourquoi les journalistes sont-elles si cruches au cinéma?

Temps de lecture : 5 min

C'est une tradition cinématographique: elles tombent amoureuses de leur sujet. «Crazy Heart» est dans la même lignée.

Mise à jour: Jeff Bridges a reçu l'oscar du meilleur acteur pour son interprétation de Bad Blake dans Crazy Heart.

Pendant la promo de son nouveau film, Maggie Gyllenhaal a souvent décrit Crazy Heart comme étant «une histoire d'amour qui montre comment les gens s'aiment réellement». Son personnage, Joan, journaliste dans une petite ville des Etats-Unis, s'éprend de Bad Blake, une ancienne star de la country. Ils se rencontrent pour un article qu'elle écrit pour un journal local, et Joan finit par rejoindre la longue lignée des journalistes qui ne peuvent pas s'empêcher de tomber amoureu(x)se de leur sujet.

La bande-annonce de Crazy Heart

C'est toujours bon pour l'intrigue d'introduire l'élément «journaliste». Aux prises avec une situation dont il ou elle n'a pas l'habitude, le journaliste sert souvent à forcer l'interaction entre des gens qui sinon n'auraient pas de raison de s'adresser la parole. On retrouve souvent ce personnage dans les comédies romantiques, comme La Dame du vendredi, pour montrer qu'une femme est indépendante, aventureuse, et difficile à apprivoiser. Mais elle finit toujours par succomber à la tentation, au détriment de sa déontologie.

La journaliste cherche le scoop, elle trouve l'amour

Quand j'étais plus jeune, j'imaginais que j'étais Harriet la petite espionne ou bien Alice Roy, et je portais toujours un collier avec un crayon au bout, au cas où j'aurais un besoin urgent de prendre des notes (une récréation écourtée, un remplaçant super mignon, vous voyez quoi). Alors que tous mes amis défendaient leur Tortue Ninja préférée, j'étais fascinée par April O'Neil, la journaliste du dessin animé: elle était douée, têtue, et elle portait souvent une chouette combinaison. Ça m'a toujours énervée de la voir dans le pétrin ou bien se faire kidnapper, et que les Tortues Ninjas doivent voler à son secours. Mais elle au moins elle n'est tombée amoureuse d'aucun d'entre eux.

Apparemment, toutes les grandes actrices des années 1930 et 1940 ont à un moment de leur carrière joué le rôle d'une journaliste courtisée par un jeune premier; ce fut par exemple l'intrigue de L'Extravagant Mr Deeds (1936), Back in Circulation (1937), ou encore L'Homme de la rue (1941). Dans toutes ces histoires, la jeune femme ruse et se sert de son charme pour soutirer des informations à quelqu'un, ou pour clouer le bec à un rédacteur un peu trop exigeant. Puis l'histoire se termine généralement -et c'est plutôt révélateur- quand la journaliste a réussi à mettre la main non pas sur le scoop, mais sur le jeune premier.

Joe Saltzman, qui dirige des recherches sur l'image du journaliste dans la culture populaire à l'Université de Californie du Sud, indique que c'est à peu près à cette même époque que le terme (péjoratif) de «sœurs sanglots» a été inventé. Il décrivait ces femmes journalistes à l'écran ou dans la vie, et leur couverture souvent passionnée et concernée d'évènements impliquant d'autres femmes. Elles se montraient généreuses, à l'instar de leur travail, mais soi-disant faibles intellectuellement et bien trop sensibles.

Et la déontologie?

Au fil des ans, les rôles de journalistes femmes ont gagné en intelligence et en talent, mais pas vraiment en déontologie. En 2003, dans Comment se faire larguer en 10 leçons, Andie Anderson, interprétée par Kate Hudson, est une jeune femme sophistiquée et sur-diplômée mais qui tombe pourtant amoureuse du garçon sur lequel elle écrit, malgré une mission censée lui faire faire le contraire.

Et puis il y a les histoires de superhéros, Lois Lane qui craque pour Superman, Vicky Vale pour Bruce Wayne. Il y a Katie Holmes en Heather Holloway dans le satirique Thank You for Smoking, et dont les manœuvres de séduction sont affreusement outrancières. («Montrez-moi où dort le diable», roucoule-t-elle, alors qu'elle interviewe Nick Naylor, joué par Aaron Eckhart.)

Ça arrive même aux personnages les plus sérieux et accomplis, comme Adriana Cruz (Nora Dunn) dans le film Les Rois du désert, et qui, malgré sa perspicacité et son courage -des traits supposément masculins- réussit quand même à coucher avec plusieurs soldats qu'elle suit pour son article. Mais bon, c'est le désert, tout ça...

Mais la pire de toutes, ce doit être Megan Carter, jouée par Sally Field en 1987 dans Absence de Malice. Elle y campe une journaliste qui non seulement se laisse faire par un procureur un peu trop bavard et écrit un article un peu bancal sur une enquête classée confidentielle, mais finit également par tomber amoureuse du principal protagoniste de l'enquête. C'est une véritable honte à la profession. Et malgré tout ça, Roger Ebert (célèbre critique ciné, NDLE) a salué dans une critique le personnage de Field pour son «courage de femme», sa «sympathie», et est même allé jusqu'à dire que si ses collègues féminines avaient une source comme Paul Newman, peu d'entre elles réussiraient à se contrôler.

L'homme est une épave, mais pro

Mais quid des journalistes hommes au cinéma? Ce sont souvent des épaves alcooliques égocentriques, débraillés et amers. Des caractéristiques peu enviables, certes, mais qui viennent rarement obscurcir leur jugement et leur professionnalisme ou les empêcher de dénicher le scoop à la fin du film. Le journaliste par excellence est représenté dans Les hommes du Président (1976) comme celui qui réussit à obtenir des informations clé en convaincant une collègue -réticente- à se servir de sa relation avec un membre du comité électoral pour récupérer une liste du staff. Mais tout ce dont les gens se souviennent, c'est que les journalistes du film ont réussi à renverser le président et été élevés au rang de héros pour ça.

Même les rares fois où le journaliste mâle laisse sa vie personnelle perturber ses obligations déontologiques, les choses finissent toujours par s'arranger. Dans Jeux de pouvoir, le personnage de Russell Crowe laisse sa «romance» avec un politicien joué par Ben Affleck interférer sur une enquête en cours, mais il s'en sort indemne -et avec le scoop. Les deux autres journalistes, des seconds rôles joués par Helen Mirren et Rachel MacAdams, restent toutefois à l'écart et se reposent évidemment sur Crowe pour sauver la mise.

De vrais cas dans la vraie vie

Bien que sûr que certaines vraies journalistes franchissent parfois la limite avec une source ou un supérieur. L'exemple le plus remarquable récemment c'est celui de Mirthala Salinas, journaliste politique à Telemundo, et qui fut la maîtresse du maire de Los Angeles, Antonio Villaraigosa. Ce fut même elle qui annonça en direct à la télévision que Villaraigosa se séparait de sa femme. Lorsque lui et Salinas mirent un terme à leur relation, il commença à fréquenter une autre journaliste d'une antenne locale, et qui avait elle aussi couvert son élection. Mais ce genre d'histoire fait plutôt figure d'exception.

Maggie Gyllenhaal elle-même a écarté l'idée que son personnage perpétuait le cliché de la journaliste en faillite morale. Elle a déclaré au New York Times que Joan avait «peu d'expérience professionnelle», et que c'était une «très grande fan» de Bad Blake. «A aucun niveau, ni à aucun moment il ne s'agit d'un choix rationnel.» C'est justement ce qui m'exaspère.

Sara Libby

Traduit par Nora Bouazzouni

Photo de une: Jeff Bridges et Maggie Gyllenhaal dans Crazy Heart, de Scott Cooper / Twentieth Century Fox France

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