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Au Darfour, on déplace en paix

Temps de lecture : 5 min

Alors que Khartoum a signé un cessez-le-feu avec des rebelles, elle a mené une attaque contre le Jebel Marra, région jusque-là épargnée et où vivaient 200.000 personnes.

Le Jebel Marra était un oasis. Cette région montagneuse du Darfour sud a toujours été relativement épargnée par les exactions qui ont secoué le reste de la province depuis 2003. Pas de villages brûlés, ni de massacres de masse. Les sinistres Janjawids, les cavaliers arabes supplétifs de l'armée soudanaise, n'y avaient jamais fait régner la terreur. Les quelque 200.000 personnes qui y vivent avaient toujours bénéficié de la protection des rebelles darfouri. Depuis le 10 février 2010, ce n'est plus le cas.

100.000 personnes en fuite

Le Jebel Marra, c'est le bastion des hommes d'Abdelwahid El Nour, l'un des fondateurs de l'armée de libération du Soudan (SLA), l'une des deux principales rébellions darfouri. Le 10 février dernier, Khartoum a lancé une offensive majeure contre les positions de ce chef rebelle. Elle a attaqué sur plusieurs fronts, gagné du terrain et est parvenue au cœur du Jebel Marra. Une offensive sans précédent. Jamais l'armée soudanaise n'était arrivée à s'implanter si profondément dans le Jebel Marra. Elle n'est évidemment pas venue seule. La stratégie de Khartoum est bien connue. Avions bombardiers, soldats de l'armée régulière et Janjawids: le Jebel Marra doit être nettoyé. En une vingtaine de jours, au moins de 100.000 personnes ont déjà pris la fuite. Des témoins parlent de villages brulés et pillés, de femmes violées. Le Jebel Marra n'est plus une exception au Darfour.

Cette attaque intervient en pleins pourparlers de paix à Doha. Sous l'égide de l'émirat du Qatar et de la médiation de l'ONU et de l'Union africaine, les délégations du gouvernement soudanais et de mouvements rebelles se sont depuis le 24 janvier engagés dans un nouveau cycle de négociations. Alors que l'offensive battait son plein, Khartoum signait un cessez-le-feu avec le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (le JEM), l'autre puissant mouvement rebelle darfouri. A la faveur de la réconciliation entre le Tchad et le Soudan, Idriss Déby, le président tchadien, a poussé son parent, le leader du JEM, Khalil Ibrahim, à faire la paix avec son ancien ennemi. Comme Idriss Déby, Omar El Béchir cherche à se maintenir au pouvoir par les urnes. Et pour pallier un processus démocratique défaillant, il doit s'attirer les faveurs de la communauté internationale: la paix avec le Tchad, la participation aux négociations de Doha. Et surtout, en 2011, l'organisation d'un référendum d'autodétermination au Sud-Soudan, la province pétrolière. Quel que soit le résultat, cela risque de réactiver des troubles. Khartoum ne peut pas se permettre de faire la guerre à la fois au sud et à l'ouest. Le gouvernement soudanais doit donc imposer rapidement la paix au Darfour. Si possible avant la présidentielle d'avril prochain.

La concurrence des chefs rebelles

Le dernier round de négociations autour de la crise du Darfour date de 2006. A Abuja, essentiellement sous la pression des Etats-Unis, une seule faction de l'Armée de libération du Soudan, celle de Mini Minawi, signe le Darfur Peace agreement (DPA). Les autres chefs rebelles, Abdelwahid El Nour et Khalil Ibrahim, s'y opposent. Ce texte, plein de bonnes intentions, ne prévoit aucun calendrier ni aucune contrainte. Dans la foulée, le SLA se décompose en de multiples factions. Le JEM est lui aussi victime de dissensions. La communauté internationale, l'Erythrée et les Etats-Unis, pousse à l'unification des mouvements rebelles en vue d'un nouveau cycle de négociations. Mais chaque pays a sa vision du conflit, ses «poulains», les hommes qu'il souhaite imposer comme leaders. Cela aiguise les appétits des chefs rebelles. Les mouvements n'en deviennent que plus fragiles encore. Même divisés, la plupart des groupes armés acceptent de s'assoir à nouveau à la table des négociations à Doha. Tous sauf Abdelwahid el Nour. Dès lors, c'est sur lui que se concentre toute l'animosité de la communauté internationale qui l'accuse de saboter les négociations. Ne pouvant convaincre le chef, les émissaires tentent de rallier ses commandants sur le terrain. Une tactique notamment prônée par Scott Gration, l'émissaire de Barack Obama pour le Soudan.

En décembre 2009, des combats à l'arme lourde sont signalés dans le Jebel Marra. Les dissidents d'Abdelwahid El Nour, les commandants qui souhaitent rejoindre la table des négociations, affrontent ceux qui lui restent fidèles. Les tensions entre les différentes factions sont vives. Abdelwahid el Nour cherche à rétablir sa suprématie et est accusé d'assassiner certains responsables locaux. En janvier, il attaque même une garnison de l'armée soudanaise à Golo pour prouver sa force. Le bilan, une centaine de soldats tués. C'est officiellement au nom de l'insécurité qui règne dans le Jebel Marra, et à la faveur de ces dissensions internes, que l'armée régulière intervient.

Des casques bleus impuissants

La Minuad, la force de maintien de la paix des Nations unies et de l'Union africaine déployée au Darfour, ne s'interpose pas. Nourredine Mezni, l'un de ses porte-paroles, explique que les casques bleus n'y ont même jamais mis les pieds. «Les hommes d'Abdelwahid el Nour nous refusaient l'accès», précise-t-il. «Nous sommes une force de maintien de la paix dans une région où il n'y a pas de paix à maintenir.» Un aveu d'impuissance. La médiation, elle, a appelé quelques jours après le début de l'offensive gouvernementale «toutes les parties à la retenue». Le médiateur conjoint de l'ONU et de l'Union africaine, Djibrine Bassolé, précise: «Abdelwahid el Nour n'est pas exempt de tout reproche. Il y a des dissensions au sein de son mouvement.» Du côté de la communauté internationale, contrairement aux années précédentes, il n'y a aucune condamnation de la politique de Khartoum.

Médecins du Monde est la première organisation non gouvernementale à avoir travaillé dans l'est du Jebel Marra. Depuis 2008, elle y assure la majeure partie de l'accès aux soins primaires pour les populations civiles, et notamment la prise en charge de la santé maternelle et des problèmes de malnutrition. Elle seule a, depuis le début de l'offensive gouvernementale, tirée la sonnette d'alarme sur l'impact de ces combats. Le Dr Jérôme Larché, responsable des programmes de MDM, s'étonne d'un certain «tri sélectif» dans les informations concernant le Darfour dans les médias. En effet, plusieurs communiqués officiels, très relayés par la presse, à l'inverse de ceux évoquant les déplacements de population dans le Jebel Marra, ont salué la signature du cessez-le-feu entre le JEM et le gouvernement. Comme si le processus de paix suivait son cours et que la guerre dans le Jebel Marra n'existait pas. La vie de plus de 200.000 personnes est pourtant en jeu. Peut-être faudra-t-il attendre la découverte de charniers.

Depuis Paris, Abdelwahid El Nour crie au complot. Il accuse la communauté internationale de complicité avec Khartoum. «Elle pense que ces attaques nous ramèneront à la table des négociations. Elle se moque de nous et de la souffrance de nos populations.» Malgré la signature d'un cessez-le-feu entre le JEM et le gouvernement, les négociations piétinent à Doha. Les mouvements rebelles sont pressés par la médiation de l'ONU et de l'Union africaine d'entamer des pourparlers directs avec le gouvernement. «La guerre au Darfour est terminée», affirme quant à lui le président soudanais Omar El Béchir.

Sonia Rolley

Photo de une: Des déplacées à Nyala, dans le Sud-Darfour, le 17 mars 2009. REUTERS/Zohra Bensemra


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