Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavroff, a annoncé qu'une réunion du Quartet (Etats-Unis, Russie, Nations unies et Union européenne) pour la paix au Proche-Orient se réunirait à Moscou le 19 mars. L'envoyé américain, George Mitchell, atterrira en Israël samedi 6 mars pour préparer, selon certains officiels, les discussions de paix indirectes qui commenceraient dès le dimanche 7 mars. Le thème qui sera abordé n'est pas encore défini, mais il semble bien que les diplomates aient des difficultés à trouver les arguments pour relancer le processus de paix moribond.
Le slogan de deux Etats pour deux peuples est tellement imprécis qu'il englobe plusieurs thèses et leurs contraires. Le fait d'agréer à ce concept tend à dédouaner les parties et les empêche de définir concrètement le type d'Etat palestinien qui doit naître des discussions. Une certaine lassitude s'empare des dirigeants palestiniens confrontés à une situation qui leur semble bloquée. A l'opposé, l'atonie de l'opposition israélienne, qui d'ordinaire réfléchissait à un projet alternatif de gouvernement, entraîne un débat monolithique qui perd de son pouvoir de proposition.
Certains dirigeants historiques tel Sari Nusseibeh, l'instigateur du plan de Genève avec Yossi Beilin, sont gagnés par le découragement au point de ne plus espérer l'avènement d'un Etat indépendant. Ils suggèrent, dépités, la création d'une entité unique où les arabes n'auraient qu'un statut de minorité avec des droits limités aux questions sociales. Pour justifier leur désappointement, ils estiment que les Israéliens transforment progressivement la Cisjordanie en un «gruyère d'implantations imbriquées dans des terres palestiniennes». Ils se plaignent aussi que les quartiers arabes de Jérusalem soient eux-mêmes cernés de constructions qui annihilent toute possibilité d'envisager une entité arabe autonome dans la capitale.
Projet américain
L'administration Obama avait fait part de son projet de création d'un Etat palestinien dans les deux ans après le début des pourparlers de paix avec l'Autorité palestinienne. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères égyptien avait précisé qu'«Israël et les Palestiniens devront présenter des garanties écrites soulignant leurs obligations avant l'achèvement des pourparlers pour un statut définitif». Mais la question non résolue reste la définition du futur Etat palestinien qui n'est pas du tout imaginé dans les mêmes termes par les deux protagonistes. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a donné son sentiment: «L'Etat d'Israël existe. L'Etat de Palestine n'existe pas. Il est essentiel qu'un Etat de Palestine souverain soit réalisé sur la base des frontières de 1967 accompagnée d'échanges de territoires et d'une solution sur la question des réfugiés.»
Mais les problèmes géopolitiques ont pourri le contentieux israélo-palestinien de l'intérieur et l'ont gangréné par suite de l'immobilisme et de l'intransigeance des discours. Bien sûr, la déclaration unilatérale d'indépendance est agitée périodiquement par l'Autorité palestinienne, mais elle reflète son impuissance à exister face à Israël. L'extrême-gauche israélienne appuie avec force cette option dans le cadre de «l'urgence à trouver une solution au conflit» mais cette idée fortement utopique n'est pas cautionnée par les occidentaux, car ils estiment que toute décision unilatérale ne trouvera pas une application concrète et pacifique.
Etat unique
Alors, renonçant à cette idée utopique, les dirigeants palestiniens en sont arrivés à donner des cauchemars aux Israéliens en prônant la solution d'un Etat unique pour les deux peuples. Suggérée par l'intellectuel palestinien Edward Saïd et l'ancien président de la Knesset Avraham Burg, elle a été reprise en 2008 par l'ancien Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï, puis récemment par Saëb Erekat et Sari Nusseibeh. L'idée d'un Etat binational, englobant la Cisjordanie et Gaza, regroupant onze millions d'habitants dont 50% de juifs, est cependant refusée par le Hamas et le Djihad islamique encore accrochés à leur rêve de «jeter tous les juifs à la mer». Mais elle représente l'avenir le plus probable qui s'imposera aux deux peuples s'ils persistent à s'ignorer.
Les Israéliens, attachés à l'exigence «d'un Etat strictement juif», s'inquiètent d'une utopie qui les rendrait minoritaires par le jeu des écarts des taux de natalité juive et arabe. Les nationalistes juifs sont les seuls accepter cette conception d'Etat unique car elle leur permet de réaliser le rêve du Grand Israël, mais ils y mettent cependant un bémol en autorisant la création de zones contrôlées par les Palestiniens, mais uniquement dotées de pouvoirs municipaux.
Il n'existe pas en Israël de consensus sur la forme que prendrait un éventuel Etat palestinien, car le slogan «deux Etats pour deux peuples» reste volontairement vague pour éviter les conflits au sein de la coalition gouvernementale. Benjamin Netanyahou avait pour la première fois parlé d'Etat palestinien dans son discours du 14 juin à l'université de Bar Ilan, mais il avait bien fait comprendre que cette rhétorique renvoyait à une définition qui ne pouvait pas être étatique puisque le drapeau et l'hymne national étaient les seuls symboles qu'il pouvait tolérer. Il n'a pas non plus dessiné les contours de ce futur territoire palestinien pour ne pas offusquer ses alliés nationalistes du gouvernement.
Préalables non négociables
Mais il a imposé en revanche deux préalables non négociables. Jérusalem ne sera pas divisée, ce qui exclut toute cession de territoire pour créer une capitale arabe à l'est. Par ailleurs, le gel de la colonisation est une concession acceptée pour faire plaisir aux Américains mais strictement limitée dans le temps. L'avenir de cette colonisation se décidera au terme d'un accord final. Par ailleurs, le retour des Palestiniens ayant quitté le pays, de gré ou de force en 1948, ne pourrait faire l'objet d'aucune négociation. Il a ensuite affiné ses propos en définissant cet Etat comme «un territoire alloué aux Palestiniens sans armée, sans contrôle de l'espace aérien, sans entrée d'armes, sans la possibilité de nouer des alliances avec l'Iran ou le Hezbollah».
De nombreuses capitales européennes avaient favorablement accueilli le projet de résolution, présenté en décembre par la Suède au conseil de l'Union européenne, prônant la création d'un Etat palestinien avec pour capitale Jérusalem-Est. Les pressions israéliennes ont eu raison de ce projet, puisque les chefs de la diplomatie de l'UE ont renoncé à cette formulation dans leur déclaration finale. Ils ont cependant concédé aux Palestiniens l'assurance qu'il n'était pas question pour eux de reconnaître l'annexion de Jérusalem-est.
Mais, tant que Jérusalem restera le point d'achoppement de tout processus de paix, la création d'un Etat palestinien restera l'arlésienne qui animera les colloques et les débats des conférences internationales. Le statut final de la capitale des deux Etats polluera les négociations à moins qu'il ne figure qu'au menu de la dernière phase des négociations. Les Israéliens et les Palestiniens doivent s'atteler à donner un sens concret au slogan «deux Etats pour deux peuples» car ils donnent l'impression de s'en servir pour étouffer toute velléité de faire progresser le processus de paix.
Jacques Benillouche
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Image de une: Jérusalem, le Mur des lamentations et le Dôme du roc Ammar Awad / Reuters