Dans le récent débat sur les gardes à vue et les conditions dans lesquelles elles se déroulent, il a souvent été question des mesures généralisées d'isolement dans des locaux surpeuplés et insalubres, des fouilles pratiquées dans des conditions humiliantes ainsi que des mesures de contention par menottes ou bracelets.
Tant les policiers que leurs syndicats ont répliqué que la plupart de ces mesures étaient nécessaires en arguant que leur responsabilité serait engagée en cas de blessures subies du fait de personnes gardées à vue, que ce soit sur autrui ou sur la personne elle-même. La nature protectrice de la garde à vue a d'ailleurs été largement évoquée dans un argumentaire digne des Bisounours...
Etre gardé à vue rend agressif
Dans un premier temps, on pourrait se poser la question du nombre de cas dans lesquels la responsabilité personnelle des policiers a été non seulement recherchée mais reconnue. Une telle reconnaissance supposerait en effet que l'on considère que les policiers sont à même de déterminer, par leur formation et/ou leur expérience, la dangerosité potentielle d'un gardé à vue. Quand on découvre les hésitations des experts psychiatriques (lors par exemple des procès d'assises ou de libération anticipée) sur les notions de dangerosité, on voit bien que les cas de mise en jeu de la responsabilité des policiers ne peuvent être qu'anecdotiques voire hypothétiques et ne justifient aucunement la généralisation des mesures prises lors des gardes à vue.
On peut même affirmer que ces diverses mesures, quasiment généralisées (fouilles, contention, enfermement dans des locaux insalubres et surpeuplés, impossibilité de se reposer ou de satisfaire des besoins aussi urgents que naturels) sont de nature à transformer profondément le comportement psychique des personnes concernées et à développer, chez des humains normalement constitués, des réactions d'agressivité dont les policiers affirment ensuite vouloir pallier les conséquences.
Comment font les professionnels de santé?
Il semble important de comparer les conditions dans lesquelles ces mesures sont prises (principalement isolement dans des locaux spécifiques et contention) dans les commissariats et gendarmeries par rapport à ce qui se passe dans des établissements psychiatriques ou recevant des personnes âgées. Hé oui, si curieux que cela puisse paraître à certains, dans les deux cas, nous avons affaire à des citoyens fragiles et exposés dont les droits doivent être respectés.
On ne pourra contester tout d'abord que les personnels des établissements de soins possèdent une connaissance infiniment supérieure à celle des policiers pour détecter les comportements à risque et traiter les personnes pouvant présenter un danger pour elles même ou pour autrui. Cependant, quand on lit les divers référentiels de la Haute autorité de santé (et de sa prédécesseure l'Anaes) ou des articles de spécialisés (sur l'isolement thérapeutique, la camisole de force, la sécurité des patients ou la nécessité de limiter la contention des personnes âgées), on ne peut qu'être frappé par le nombre de précautions devant être prises par ces professionnels avant un isolement ou une contention. On en retiendra principalement deux:
• Les mesures ne peuvent être prises qu'à la suite d'un passage à l'acte. On est bien loin de la décision automatique appliquée à titre «préventif» par les policiers, ce type de décision ne pouvant avoir qu'un effet déstabilisant supplémentaire sur les personnes qui en sont l'objet. Certains mauvais esprits affirment d'ailleurs que lors des gardes à vue, c'est l'objet premier de ces mesures.
• La décision de pose de contention ou d'isolement dans un local spécifique est un acte médical devant faire l'objet d'une prescription écrite, horodatée et signée et c'est là que l'on peut se poser la question de savoir si les OPJ (officiers de police judiciaire) sont également médecins.
Nous voilà donc en présence de policiers qui s'arrogent le droit de porter un diagnostic sur la dangerosité d'une personne (en pratique ils ne font pas dans le détail et décident que tout un chacun, dès lors qu'il est gardé à vue, est dangereux pour lui-même ou pour autrui) et de prescrire un traitement (la contention ou l'isolement). N'y aurait-il pas lieu à poursuites pour exercice illégal de la médecine comme cela aurait pu être le cas, naguère, lors des pratiques (heureusement abandonnées aujourd'hui) des fouilles approfondies dans les cavités naturelles qui sont également des actes médicaux ?
Des solutions légales
Il reste cependant au policier soucieux de la légalité un moyen de protéger le gardé à vue et les personnes qui l'entourent tout en se préservant de poursuites ayant pour objet d'engager sa responsabilité. Ce sont les articles L3213-2 et suivants du Code de la Santé publique, qui autorisent le maire ou les commissaires de police (également OPJ) à prendre toutes mesures provisoires dans l'attente d'une mesure d'hospitalisation d'office par le préfet.
Les grincheux et les partisans des poursuites à tout prix objecteront, non sans raison, qu'à partir de ce moment-là, la validité des interrogatoires risque de sérieusement vaciller. Raison de plus pour ne pas appliquer systématiquement des mesures devant être exceptionnelles et rigoureusement encadrées. C'est ce qu'a prévu le Code de Santé publique.
Michel Reynaud, internaute de Slate.fr
Photo de une: Cuffs6 / banspy via FlickrCC