Ils ont été nombreux à dénoncer une opération de propagande, et encore plus nombreux à s'émerveiller: c'est ce qu'il se passe quand une influenceuse Instagram avec plus de 876.000 abonnés vient faire des shootings en Arabie saoudite aux frais du prince.
Au printemps dernier, Aggie Lal, recevait une invitation officielle pour une tournée de dix jours dans le pays, organisée par Gateway KSA, un programme dirigé par le prince Turki al-Faisal, ancien directeur de l'Agence saoudienne de renseignements et ex-ambassadeur aux États-Unis.
Une dignité instagramable
Un échange de bons procédés qui peut surprendre: dans un pays où les couples non mariés peuvent faire l'objet d'une arrestation et où la police religieuse veille au maintien de bonnes mœurs à l'acception très restreinte, l'influenceuse basée à Los Angeles, connue pour ses photos de voyageuse en maillot de bain, s'est retrouvée à poser dans le désert de Madâin Sâlih, tête découverte aux côtés d'un homme torse nu et de gros quatre-quatre tournoyant dans le sable.
Alors que le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, couplé à la guerre au Yémen, ont nettement endommagé le travail de communication aux allures modernistes sinon progressistes amorcé par le prince héritier Mohammed ben Salman, ce type d'images, destinées à un public occidental, permet de présenter une face plus amène du pays.
Tandis que l'Arabie saoudite envisage ce mois-ci pour la première fois de délivrer des visas de tourisme à des personnes étrangères, le royaume n'a pas tant tergiversé pour accueillir à bras ouverts plusieurs célébrités. Fin 2018, c'est David Guetta qui était invité pour donner un concert lors d'un festival de courses automobiles, aux côtés des Black Eyed Peas, de OneRepublic et d'Enrique Iglesias –le DJ avait alors été critiqué pour son hommage musical au roi Salman bin Abdulaziz Al Saud.
Une nouvelle narration pour l'Arabie saoudite
Gateway KSA est né quant à lui il y a deux ans, à la suite d'une rencontre entre le prince Turki al-Faisal et l'influenceuse sportive australo-néerlandaise Nelleke Van Zandvoort Quispel, qui avait visité le pays un peu plus tôt.
Le programme est présenté comme étant dédié aux «influenceurs, aux décideurs et aux dirigeants de demain. Des jeunes hommes et des jeunes femmes qui peuvent voir au-delà des gros titres et des tweets pour imaginer et façonner ensemble un avenir d'ouverture, de collaboration et d'innovation». Autrement dit, il cherche à produire de nouveaux discours sur l'Arabie saoudite en utilisant la puissance de communication des réseaux sociaux, tout en jouant la carte des «médias occidentaux biaisés».
«Ce n'est pas que je sois particulièrement pro-saoudienne ou que j'aie un agenda politique, se défend Quispel, je pense que la manière dont nous montrons le pays est très subtile et juste.» Une affirmation qui reste sujette à caution, quand on sait que les sources de financement du projet comptent Saudi Telecom, Saudi Basic Industries Corporation et Saudi Arabian Airlines, trois entreprises contrôlées par l'État.
Jusqu'à présent c'est plus de 200 personnes qui ont pris part à ce programme tous frais payés. Parmi elles, on compte des étudiant·es universitaires, et des influenceur·euses présents sur les réseaux sociaux.
Pour Aggie Lal, montrer l'Arabie saoudite sous un jour favorable «n'est évidemment pas une opinion très populaire. Les gens veulent que je parle mal de l'Arabie saoudite, affirme-t-elle. Nous vivons aux États-Unis, et il est plus pratique de diaboliser les autres pays, pour avoir l'impression de ne rien devoir en apprendre». Reste à savoir si des clichés avec deux dromadaires et des grosses voitures en apprendront beaucoup plus à ses followers.