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À Hong Kong, un projet de loi est annulé mais rien n'est réglé

Temps de lecture : 3 min

Annoncée le 4 septembre par Carrie Lam, la décision de retirer définitivement le texte ayant cristallisé le mécontentement populaire ne suffira pas à enrayer la mobilisation.

La cheffe de l'exécutif hongkongais Carrie Lam en conférence de presse, le 5 septembre 2019. | Philip Fong / AFP
La cheffe de l'exécutif hongkongais Carrie Lam en conférence de presse, le 5 septembre 2019. | Philip Fong / AFP

Il aura donc fallu treize semaines pour que soit retiré le projet de loi à l'origine des manifestations qui se déroulent chaque week-end à Hong Kong.

Le texte permettait d'extrader des délinquant·es vers leur pays d'origine –et donc, si le cas se présentait, vers la Chine populaire. Tout laisse penser que l'entourage de Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif hongkongais, n'avait pas mesuré la portée de ce texte en apparence banal.

Lorsqu'il a été rédigé en février, il concernait précisément un assassin taïwanais qu'il s'agissait de renvoyer à Taipei. Mais à Hong Kong où, depuis une dizaine d'années, l'interventionnisme et la volonté grandissante de contrôle de Pékin se font lourdement sentir, cette possibilité d'extradition a joué le rôle de la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Comité permanent dans l'impasse

Très vite, il est apparu que Carrie Lam n'était pas en mesure de gérer l'inquiétude que traduisait l'ampleur des manifestations. Le 15 juin, elle s'est rendue à Shenzhen, la ville chinoise la plus proche de Hong Kong, afin de rencontrer le responsable politique chargé du dossier hongkongais, Han Zheng.

Celui-ci, qui est vice-Premier ministre mais surtout l'un des sept dirigeants du Comité permanent du Parti communiste chinois, a probablement fait savoir à Carrie Lam qu'elle pouvait annoncer que le projet de loi était suspendu et lui aurait assuré qu'elle ne serait pas destituée.

Depuis, il est probable que plusieurs considérations se superposent à Pékin dans le secret des réunions du Comité permanent. Tous ses membres mesurent l'effet négatif qu'aurait une intervention de l'armée chinoise à Hong Kong –ce qui n'empêche sans doute pas certains de la juger nécessaire et souhaitable.

Il semble bien qu'au terme de discussions longues et agrémentées de rapports détaillés préparés par de hauts fonctionnaires à partir de comptes rendus rédigés à Hong Kong, un consensus s'est imposé: Pékin ne doit pas bousculer la situation de l'archipel.

Les tentatives de noyautage des rassemblements avec l'intervention d'hommes appartenant aux triades, des mafias locales, n'ont pas eu d'impact. Les contre-manifestations, organisées avec des soutiens du régime de Pékin, sont restées modestes. Les arrestations de militant·es détruisant du matériel municipal ont eu pour effet de renforcer la cohésion des défilés hebdomadaires.

Le Comité permanent a donc fait un choix fort: retirer définitivement le fameux projet de loi d'extradition, ce que Carrie Lam a été chargée d'annoncer dans une courte intervention télévisée, le 4 septembre.

Extension des revendications

La décision aurait peut-être pu arrêter la mobilisation à Hong Kong si elle avait été prise en juin, au début du mouvement de protestation. Mais depuis, le champ des doléances a été grandement élargi.

Aujourd'hui, ce sont quelque deux millions de personnes –sur 7,4 millions d'habitant·es– qui réclament en premier lieu que soit mise en place «une commission indépendante pour enquêter sur le recours excessif à la force par la police de Hong Kong». Les manifestant·es demandent en outre à ce que la police ne les appelle plus «émeutièr·es», et que les protestataires ayant fait l'objet d'une arrestation bénéficient d'une amnistie.

Les revendications ne s'arrêtent pas là et se prolongent sur le terrain de réformes démocratiques, pour que les droits civils soient garantis et que des élections au suffrage universel soient instituées.

Manifestation au parc Tamar de Hong Kong, le 2 septembre 2019. | Lillian Suwanrumpha / AFP

L'abolition du texte sur les extraditions semble d'une faible portée face à l'ensemble de ces exigences; Carrie Lam donne l'impression d'en être consciente.

Lors d'une rencontre avec des hommes d'affaires hongkongais la dernière semaine d'août, elle a exprimé son désarroi en affirmant que ses marges de manœuvre pour résoudre la crise étaient «très limitées» et que les ravages qu'elle avait provoqués étaient «impardonnables». La cheffe de l'exécutif a même ajouté: «Si j'avais le choix, la première chose serait de démissionner.» L'enregistrement de ces propos en principe privés a été donné à l'agence de presse Reuters, qui les a publiés.

Le 3 septembre, en conférence de presse, Carrie Lam a fermement démenti: «Je me suis dit plusieurs fois ces trois derniers mois que mon équipe et moi devions rester pour aider Hong Kong.» Elle n'a pas envisagé «de discuter de sa démission avec le gouvernement chinois», a-t-elle précisé.

Tout cela achève de démontrer que c'est bien Pékin qui contrôle et tente de manipuler ce qui se passe à Hong Kong, sans doute avec l'espoir que la contestation finisse par s'essouffler.

En attendant, les responsables chinois ont une autre priorité: organiser au mieux les cérémonies du 1er octobre, qui célèbreront le 70e anniversaire du jour où le Parti communiste a pris le pouvoir .

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