Monde / Culture

Faut-il boycotter la fashion week pour sauver la planète?

Temps de lecture : 6 min

À l'approche de la saison des défilés, le modèle actuel semble totalement déphasé. Pour faire face à l'urgence climatique, des personnes ont même décidé de boycotter l'évènement.

Un défilé Kenzo le 23 juin 2019 à Paris. | Anne-Christine Poujoulat / AFP
Un défilé Kenzo le 23 juin 2019 à Paris. | Anne-Christine Poujoulat / AFP

Les fashionistas n'en n'ont pas fini de se mordre les doigts: le business model de la fashion week, pimpé de shows XXL, de soirées clinquantes et de beaucoup de glamour, est en passe de devenir has been. Du moins, il est en totale marge de nouveaux modes de pensée plus raisonnés: les tendances contemporaines. À l'heure où l'on prône l'upcycling, pense des vêtements et accessoires plus responsables, à contre-pied, l'emprunte carbone des évènements ne faiblit pas.

Voilà donc un monde très contradictoire, sans unité de voix, ni consensus, dont même la critique en est perturbée: tantôt incriminant les désastres de la fast fashion, tantôt s'inclinant devant des shows abracadanbresques. Et pourtant, l'envers du décor d'un show est bien moins tape à l'œil que le vernis affriolant qu'il laisse entrevoir le temps de très courts instants.

«Les grandes marques font fabriquer dix fois un sac avant de le montrer, dénonce Stéphanie Calvino, fondatrice des Rencontres Anti-Fashion –une plateforme d'expression pour une industrie plus responsable. Il ne s'agit pas de fast fashion, mais on s'en rapproche.» Une certaine exubérance dans les méthodes de fabrication donc, que l'on retrouve aussi à travers la scénographie des shows.

Il suffit de jeter un coup d'œil aux images des décors monstrueux organisés au Grand Palais (Chanel, par exemple) pour imaginer l'étendue des dégâts. Car forêt, plage, station spatiale ou autre supermarché monogrammé finissent en général jetés, s'insurge la spécialiste. Vous aviez dit machine à rêves? On parle désormais d'usine à déchets.

Fêter la consommation? Sans façon

Outre le gaspillage peu séduisant que l'évènement laisse derrière lui, fêter la production et la consommation à l'heure actuelle paraît tout bonnement absurde. Pour bien agir, alerter et prendre le temps de penser la mode autrement, le Conseil Suédois de la Mode a annulé la fashion week de Stockholm, initialement programmée du 27 au 29 août 2019.

«Faire le choix de s'éloigner du modèle très conventionnel de la fashion week a été difficile, mais il s'agit d'une décision mûrement réfléchie», a annoncé Jennie Rosén, Présidente Directrice Générale du Conseil Suédois de la Mode, dans un communiqué de presse. Nous devons laisser le passé derrière nous pour permettre le développement d'une plateforme adaptée à l'industrie de la mode d'aujourd'hui.»

« L'opulence de fabrication des déchets est due à une certaine élite, qui n'a pas les mêmes enjeux »
Stéphanie Calvino, fondatrice des Rencontres Anti-Fashion

Si ces prises de position peuvent changer la donne, malheureusement, ce ne sont que les plus petits, prônant une mode alternative, qui en sont les fers de lance. En 2016, c'était Helsinki qui lançait sa fashion week zéro déchets, en tant que ville pionnière d'une mode moderne. Plus récemment, outre-Manche, c'est la rédactrice en chef de Bricks Magazine qui a rejoint la dynamique.

Hayley Louisa Brown s'est reliée à Extinction Rebellion -mouvement international qui lutte contre le réchauffement climatique- et a annoncé qu'elle ne traitera pas la prochaine fashion week de Londres, qui débutera le 13 septembre 2019, et terminera le 17. Date à laquelle Extinction Rebellion organisera des funérailles, pour commémorer ce qu'a tué, et tuera, le système actuel de la mode: des vies humaines, la faune, comme la flore.

Et que font les mastodontes dans tout ça? «L'opulence de fabrication des déchets est due à une certaine élite, qui n'a pas les mêmes enjeux», rétorque Stéphanie Calvino.

Quant à Louis, militant d'Extinction Rebellion ayant récemment participé à une action coup de poing anti-fast fashion contre le géant H&M, lors de laquelle lui et son groupe ont déversé 1,5 tonne de vêtements devant un magasin parisien, il tient fermement à pointer du doigt l'ensemble de l'industrie, plutôt que l'une de ses facettes. La fast fashion, comme la fashion week, n'en sont que des caricatures faciles à dénoncer.

Fast fashion et fashion week, caricatures de l'industrie

«La fashion week n'est qu'une façon spectaculaire et ostentatoire de montrer une survalorisation de biens onéreux en Occident, qui alimente cette machine à produire des choses dont on n'a pas besoin: le capitalisme», rappelle-t-il. Et quand on lui énumère les premières prises de position plus réfléchies de la sphère mode en vue de la saison de la fashion week, Louis ne manque pas de les qualifier d'anecdotiques.

«En tant que deuxième industrie la plus polluante au monde, s'attaquer à la fashion week, à sa valeur symbolique, est uniquement une façon d'alerter l'opinion publique sur les effets délétères qu'a globalement l'industrie d'un point de vue environnemental», ajoute-t-il. Et bien trop souvent, quand les plus puissants mettent en avant des petits gestes en faveur de la cause, il ne s'agit que de greenwashing, selon Louis. Cette technique marketing consistant à récupérer la cause environnementale pour des questions d'image et en récupérer des bénéfices.

Sur Instagram, le compte @diet_prada, justicier 2.0 de la mode aux 1,5 millions d'abonnés, effraie autant les marques qu'il leur offre un bon coup de pub.

La mode aurait-elle alors aussi besoin de sa Marie Kondo? Car si supprimer la fashion week est impensable, tant pour l'histoire de la mode, que la bonne santé des chiffres de la presse spécialisée et des grands groupes, néanmoins, celle-ci a besoin d'être repensée, plus bienveillante et plus raisonnée. «Il faut arrêter de produire en grand nombre ce qui est montré une seule fois à la fashion week, recycler la scénographie ou la céder à de jeunes créateurs au budget serré, ou encore arrêter de conserver les tissus utilisés pour ne pas les donner», propose Stéphanie Calvino.


Il y a en effet peu d'entraide dans la mode, souvent par peur d'être copié. Mais copier en 2019 fait-il encore sens? «David Tran était fan de la marque Vetements mais n'avait pas les moyens de se procurer des pièces, il a alors copié tous les looks et les vend aujourd'hui à prix réduits sur Internet avec sa propre étiquette: Vetememes. Et Demna Gvasalia, à la tête de la marque Vetements, a cautionné», raconte la spécialiste.

Elle démontre aisi qu'aujourd'hui, exit l'égo trip, il est peut-être enfin temps d'utiliser le plagiat dans sa stratégie. Car plagier en mode ne date pas de la veille, il s'agit d'une technique aussi intemporelle que fructueuse. Sur Instagram, le compte @diet_prada, justicier 2.0 de la mode aux 1,5 millions d'abonnés, effraie autant les marques qu'il leur offre un bon coup de pub.

En mode ralenti

Si l'heure est venue de remettre en cause la fashion week, c'est bien que son modèle est totalement désuet, en plus d'être décalé des problématiques actuelles. À l'heure où les marques diffusent en direct leurs shows sur les réseaux sociaux, quel avenir pour les invitations presse et leurs journalistes mode? «C'est fini les conseils mode des magazines, aujourd'hui on ne sent plus les modes», conclue Stéphanie Calvino. L'impulsion vient de la rue, comme des réseaux sociaux.

Quant aux nouvelles critiques mode, décomplexées et sans langue de bois, incisives comme élogieuses, leurs mots ne figurent pas souvent dans les pages de magazines, mais plutôt sur Twitter, Instagram ou encore YouTube. Contrairement à la presse concernée, sur ces plateformes, il n'y a pas encore de diktat des annonceurs.

La mode n'étant plus une conversation nombriliste donc, mais un échange avec le monde entier autour de mêmes problématiques. Pour sauver la planète, les clés sont entre les mains des acteurs majoritaires. Si Paris, Londres, New-York et Milan se vantent d'avant-gardisme, les capitales de la mode devraient, ensemble, se repenser autrement.

Et c'est bien aujourd'hui un manque de collaboration qui fait de la mode, qu'on dit novatrice, une industrie qui avance au ralenti. Paris capitale de la mode responsable en 2024? C'est l'objectif, sponsorisé par la mairie de Paris, que s'est fixée l'association Paris Good Fashion en vue des Jeux Olympiques. Une belle initiative, certes, qui cependant arrive bien après la flopée de shows prévus d'ici là.

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