France

Toujours plus de logements en zones inondables

Temps de lecture : 5 min

Les maires, qui délivrent les permis de construire, peuvent-il contenir la pression démographique... et celle des promoteurs?

En France, on bâtit des maisons dans des zones inondables. Près de 100.000 logements ont été construits entre 1999 et 2006 sur 424 communes de plus de 10.000 habitants «soumises à un risque majeur d'inondation», sur des terrains pouvant connaître «des submersions d'intensité et de fréquence variables», estime le Commissariat général au développement durable. Par ce constat qui porte à 7% en sept ans la hausse du nombre de logements dans des zones inondables, on estime à 2,7 millions le nombre de personnes résidant dans ces secteurs. En fait, certainement beaucoup plus: La Faute et l'Aiguillon sur mer, sinistrées dans la nuit du 27 février, ne font pas partie des communes recensées dans l'étude du ministère de l'Ecologie, du développement durable et de l'Aménagement du territoire.

Face à «la pression démographique»

Dans la moitié des communes du panel, le nombre de logements exposés baisse ou stagne. Mais dans l'autre moitié, il augmente, parfois fortement. En cause, la «pression démographique» qui, parfois, peut prendre le pas sur un principe de précaution. Pour les maires de communes propulsés en première ligne, la réglementation est difficile à maîtriser. Et les pressions sont nombreuses.Une fois le deuil passé en Vendée, des responsabilités vont être recherchées. D'ores et déjà, des maires refusent d'être montrés du doigt pour leur gestion des permis de construire. L'appareil d'Etat, préfets en tête, peut-il  totalement s'affranchir d'une mission qui fut la sienne jusqu'à la décentralisation?

Le POS et les tables de la loi

Bien avant que le principe de précaution ne soit inscrit en 2005 dans la Constitution, une abondante réglementation censée organiser la construction immobilière en France, a été produite. L'un des socles de cette réglementation est le plan d'occupation des sols (POS), créé en 1967, qui découpe un territoire en zones urbaines et zones naturelle et - selon l'expression consacrée du code de l'urbanisme - «fixe les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols, qui peuvent notamment comporter l'interdiction de construire».  Pour tout promoteur immobilier ou propriétaire d'un terrain, ce sont de véritables tables de la loi qui imposent des contraintes pas toujours bien acceptées. Or, le POS appartient au passé. Il a été remplacé par le plan local d'urbanisme (PLU) qui a vu le jour avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) de décembre 2000. Toutefois, les anciens POS subsistent, et le PLU a la même valeur juridique que son prédécesseur. Une réforme pour rien? Pas tout à fait, puisque que PLU intègre une dimension de développement durable qui n'existait pas avant lui.

Les maires propulsés en première ligne

En fait, la vraie réforme du POS remonte à 1983, lorsque les élus des communes dotées d'un POS (ou, aujourd'hui, d'un PLU) ont hérité de la responsabilité de délivrer les permis de construire et les autorisations d'urbanisme auparavant élaborés et validés par les services de l'Etat. Certes, les Directions départementales de l'Equipement (DDE) peuvent toujours être sollicitées pour donner leur avis. Mais ce sont les maires qui délivrent les permis, après une instruction des dossiers réalisée par les services de la commune éventuellement aidés par ceux de l'Etat.

Pour des spécialistes, cette décentralisation des compétences en matière d'urbanisme au niveau de la commune a été une aberration, dans la mesure où les dossiers concernés requièrent des compétences techniques, mais aussi un recul politique pour pouvoir résister à certaines pressions, comme celles des promoteurs immobiliers. Lors de précédentes catastrophes, on a déjà déploré que des habitations ou des campings aient pu être installés dans des zones inondables. Lorsque le foncier manque, les pressions se font plus fortes...

Des retards dans la prévention des inondations

D'autres réglementations ont été prises qui viennent s'ajouter aux instruments dont disposent les élus pour rendre leur décision. Ainsi, depuis 1995,  ils peuvent s'appuyer sur un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN), annexé au PLU et qui a pour objectif de réduire l'exposition aux risques notamment dans des zones submersibles ou sensibles aux incendies. Notamment, un PPRN peut déterminer la hauteur du premier plancher d'une habitation en zone inondable. A L'Aiguillon et à La Faute, les maisons de la zone la plus touchée sont de plain pied...

Plus précisément, les préfets ont le pouvoir de prescrire le caractère inconstructible d'une zone, en établissant après enquête publique et avis des conseils municipaux concernés, un plan de prévention des risques inondation (PPRI). Mais avec la décentralisation des compétences, la mise au point de tous les PPRI souhaitables a manifestement tardé: fin 2007, six communes sur dix soumises à un risque majeur d'inondation étaient pourvues d'un PPRI. En Vendée, les mesures de prévention et de sauvegarde qui auraient dû être définies pour être ensuite appliquées par la collectivité publique et les particuliers, ont fait cruellement défaut. Car c'est une chose de savoir que Météo France émet une alerte route à l'approche d'une tempête et d'une forte dépression atmosphérique au moment d'une marée de fort coefficient. Mais c'est autre chose de savoir interpréter cette couleur sur le terrain, et de prendre les dispositions adéquates. C'est, en principe, le rôle d'un PPRI.

Malaise chez les fonctionnaires de l'Equipement

Les querelles au sein de l'appareil d'Etat ont beaucoup contribué à affaiblir les services de l'Equipement, et à réduire les capacités techniques d'un corps d'élite reconnu - les ingénieurs des Directions départementales de l'Equipement - mais jugé trop conservateur. Notamment, un bras de fer s'est engagé lorsque les Régions se dotèrent de directions de l'Equipement qui devaient fusionner avec les DDE pour éviter les doublons. Mais c'était sans compter sur l'attachement des personnels des DDE à l'échelon départemental, et à leur pouvoir spécifique. Finalement, la fusion des services n'a peu eu lieu, et les Régions ont créé leurs propres directions de l'Equipement. C'est l'exemple d'une duplication de compétences qui aura nui à tout le monde... et aux DDE en premier lieu, qui ont vu s'étioler leurs ressources humaines et s'envoler un savoir-faire que le corps des Ponts et Chaussées entretenait depuis plus de deux siècles. «On est maintenant parvenu àun état de dislocation avancée des compétences techniques», regrette un responsable de ce corps qui craint que le projet de réforme de l'Etat ne les préserve pas.

Certes, cette réforme devrait permettre de régler les problèmes de duplication sur le terrain, mais pas de rétablir la compétence sur ces dossiers à un échelon plus centralisé que celui des communes.  Le niveau régional, par exemple, ne devrait-il pas être plus étroitement associé aux décisions qui participent de la première mission de l'Etat (qui est d'assurer la sécurité des citoyens)? Depuis une décennie, on assiste plutôt à un mouvement inverse, l'Etat ayant plutôt tendance à se défausser de ses prérogatives techniques. Or, la réforme en question n'a pas vocation à inverser cette tendance.

Gilles Bridier

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Image de Une: La Faute après le passage de la tempête Xynthia Regis Duvignau / Reuters

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