«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Nous nous sommes rencontrés il y a quatorze ans, nous avions 38 et 42 ans et déjà une vie de famille passée. Nous nous sommes connus grâce aux sites de rencontres d'internet. Elle ne correspondait pas vraiment à mes critères de recherche, mais elle était drôle, belle et agréable quand nous nous sommes rencontrés. Nous nous sommes plu, nous nous sommes aimés. Nous avons vécu ensemble, avec son garçon de 14 ans, qui vivait avec nous, et ma fille de 9 ans qui vivait une semaine sur deux avec nous.
Nous avons eu très rapidement une petite fille et la vie a continué son train-train.
J'avais tellement plaisir à aimer et à contenter que la vie de couple a été un vrai régal les premières années. Famille pleine de vie, enrichissante, heureuse.
Mais cette satisfaction a dérivé doucement, je me suis retrouvé confronté à un problème d'insatisfaction de sa part.
Ma compagne m'a demandé beaucoup, et est arrivée doucement aux limites de ce que je peux donner. Au début je donnais avec plaisir, heureux de satisfaire. Mais cette possibilité de procurer la satisfaction fut de plus en plus difficile, puis ce fut avec une certaine douleur.
Par exemple, elle ne voulait plus rencontrer les amies que j'avais avant de la connaître, et donc j'ai laissé les relations s'étioler.
Elle est venue vivre dans ma maison (j'habite une grande maison, ce qui était bien pratique avec nos enfants, chacun avait sa chambre et son espace). En quelques années, elle a effacé toute la vie qui était précédemment dans cette maison, remplaçant meubles et vaisselle, remisant les décorations.
J'ai vécu les trois années de lycée avec son garçon à la maison, et je vous assure qu'être beau-parent d'un adolescent n'est pas chose aisée. Quand ce fut ma fille qui est rentrée dans l'adolescence et au lycée, j'ai bien vu que la cohabitation avec ma compagne serait très conflictuelle et qu'il valait mieux que ma fille soit interne et présente seulement un week-end sur deux à la maison. Décision qui m'a semblé sage, mais qui fut quand même un peu douloureuse.
L'insatisfaction et la difficulté de la vie de couple se sont doucement installées.
Au début, pour lui expliquer, je lui disais que «même la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a», et que je ne pouvais donner plus. Avec l'insatisfaction qui monte, les propos sont plus blessants, plus incisifs. J'ai bien compris que mon intérêt à moi était de lui faire remarquer que ses propos étaient violents et inacceptables, et que surtout de ma part il ne fallait pas rentrer dans l'escalade de la violence.
Les deux années de thérapie de couple n'ont pas donné grand-chose. Ce que j'avais trouvé courageux à l'époque est que cette thérapie fut réalisée à son initiative. Elle espérait peut-être retrouver une relation dans l'équilibre que nous avions les premières années. Beaucoup de choses se sont dites, y compris que je m'effaçais parfois car j'avais peur de ses colères.
Cet été, notre fille étant en colonie de vacances, nous sommes partis tous les deux sept jours en vacances à Honfleur. Ce fut un séjour superbe, sept jours heureux, entre promenades et visites touristiques.
J'ai même eu droit à un petit cadeau: une belle chemise, pour être élégant. Oui, je ne suis pas très élégant, préférant le coton du t-shirt, et comme me l'a dit ma compagne pour conclure son cadeau: «J'ai bien le droit d'avoir un chéri élégant.»
Depuis un an, je dors dans une chambre séparée. Prétextant des difficultés à dormir, des difficultés à faire le point dans mes idées, je suis arrivé petit à petit à retrouver un espace de paix dans ma chambre le soir.
Eh oui, c'est compliqué la vie de couple, n'est ce pas? Le caractère égocentrique et narcissique de ma compagne ne m'a pas gêné de nombreuses années. Il y a des relations qui s'enrichissent avec le temps; à l'inverse, la nôtre se délite doucement. Un jour, je lui ai dit qu'elle détruisait plus dans ses colères qu'elle n'était capable de reconstruire entre.
Une autre difficulté dans la communication est le déni dans lequel elle se trouve. Elle est dans le déni de son attitude égocentrique et il est impossible de lui faire comprendre. Elle trouvera toujours explication à tout, même si ce n'est pas toujours de bonne foi, ou bien la discussion dérivera sur un autre sujet. De plus, toute critique de ma part est une blessure pour elle. J'ai l'impression que c'est toujours mieux quand je me tais.
Je ne me vois pas faire exploser cette relation, et commencer une garde alternée maintenant. J'aimerais pouvoir quitter cette relation sur la pointe des pieds, comme on quitte une pièce sans se faire remarquer. Parfois il y a des gens qui sont partis, et on met des mois ou des années avant de s'apercevoir qu'ils sont partis.
J'ai l'impression d'avancer sur une crête de montagne entre deux précipices où je ne veux pas tomber. D'un côté la séparation avec une garde alternée, de l'autre une vie où je ne suis pas aimé et où je n'ai pas de place.
Je me dis que dans quelques années, ma fille sera plus grande et acceptera un peu plus facilement l'envie d'indépendance de son père. Je me dis parfois qu'on ne se sépare pas de sa compagne ou de son compagnon parce qu'on ne l'aime plus, mais parce que la vie avec elle ou lui est devenue trop difficile. Il y a tant de façons de se séparer que peut-être trouverai-je celle qui me correspond.
Rémy
Cher Rémy,
Je crois en effet qu'il y a des tonnes de bonnes raisons pour se séparer et qu'elles ne sont pas toujours aussi évidentes que «je ne l'aime plus». Parfois on part parce que la vie commune est difficile en effet. Parfois on part parce qu'on a tout simplement besoin d'être soi. Parfois les chemins de vie se séparent malgré les sentiments au gré des carrières, des rêves, des espoirs de famille. Parfois on sait aussi que c'est l'autre qui serait probablement mieux seul·e ou autrement accompagné·e et on décide de lui donner cette opportunité. Et ce ne sont que des exemples. On se sépare pour sa survie, la survie de l'autre. On se sépare à cause d'une petite voix. On se sépare à cause d'un détail. Mais c'est un geste fort, un geste d'action. Parfois, un dernier geste d'amour.
Je l'ai dit souvent dans cette chronique, je pense que rester alors qu'on sait que la relation n'est pas viable et plus satisfaisante est un acte qui peut être douloureux pour toutes les parties. En particulier les enfants. J'ai des enfants moi-même, plutôt petits, et je sais qu'ils sentent tout. Que les changements d'ambiance et d'humeur sont toujours captés même si j'essaie de toutes mes forces de les protéger. Dans les épreuves, plutôt que de leur cacher, je préfère être honnête et leur en parler, avec des mots qui peuvent être compris et le moins possible sujets à interprétation. Parce que je sais qu'ils y penseront et qu'ils imagineront le pire si je ne les en empêche pas.
Votre fille doit sentir l'agressivité. Elle doit savoir, par des détails, que vous ne dormez plus avec sa mère. Si les enfants sentent la tendresse et l'amour, ne doutez pas qu'ils sentent aussi leur absence. Je ne suis pas sûre qu'attendre, dans ce contexte, que votre fille grandisse soit une bonne chose. Parce que vous la ferez grandir dans un foyer où sa mère et son père ne sont pas heureux. Et sont ensemble pour de mauvaises raisons.
Oui, la séparation est un choc. Mais c'est un geste explicable. C'est un geste pour le mieux. C'est un geste qu'un jour on comprend. Voir ses parents misérables. Grandir dans l'agressivité, le silence, la peur larvée du conflit, c'est une chose à changer une personnalité. Et je suis sûre que ce n'est pas l'exemple que vous voulez donner à cette enfant.
Oui, il y a différentes sortes de ruptures. Il y a des ruptures qui peuvent se passer dans le silence. Différentes sortes de silences, d'ailleurs. Vous avez su vous faire aider un temps, sans succès… Peut-être pouvez-vous essayez ensemble de réussir votre rupture avec l'aide d'un·e professionnel·le? Un succès n'est pas improbable. Parfois, il y a plus de courage dans le fait d'arrêter que de continuer. Votre compagne pourrait être plus heureuse aussi. Je me permets d'ajouter que, dans un contexte serein, cela n'empêche en rien les moments heureux en famille réunie. Vous n'avez pas besoin de vous rendre malheureux à longueur d'année pour une belle semaine de vacances. Cette semaine de vacances, elle pourrait avoir lieu alors que vous êtes tous les deux en train de reconstruire vos vies, autour de la fille que vous avez eue ensemble et qui restera la preuve de votre histoire.
Beaucoup de dialogue est nécessaire. Et du temps aussi, sûrement. Mais votre fille ne peut pas être une excuse. Elle est même, à mon sens, une raison pour définitivement tourner la page. Vous méritez d'être heureux, Rémy. On ne peut pas sacrifier des années entières de sa vie pour une histoire qui ne devait pas durer. Rien ne vous oblige à endurer cette peine.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: