Le 16 août 1969, il y a tout juste 50 ans. Alors qu'au Vietnam le ciel est déchiré de missiles, de l'autre côté de la planète, à Woodstock, dans un champ près de New York, il est fendu par la voix de Janis Joplin et par les accords de Hendrix. Pèlerins et pèlerines aux longs cheveux ne forment qu'un, ondulant au rythme de la musique. «C'est qu'on doit être au paradis!», s'exalte le maître de cérémonie du festival, Wavy Gravy, face au demi-million de visages tournés vers ce petit autel de bois qu'est la scène.
Ces images, celle du garçon qui monte sur scène pendant le concert des Canned Heat pour enlacer le chanteur, des lunettes rondes et des pieds nus, sont issues des photos de l'époque ou du documentaire Woodstock, de Michael Wadleigh. Elles ont façonné la légende du festival.
Woodstock 1969 est un mythe: il suffit de le comparer à sa version de 1999, qui fut un désastre dans le feu et la boue, où se mêlèrent vols et viols, ou à l'annulation de Woodstock 2019 pour nous laisser le goût amer d'une époque révolue.
Woodstock 1969 n'était pas, à mieux y regarder, le paradis de Wavy Gravy; il a même failli causer des milliers de morts.
Électrocution et tracteur tueur
Les images de Michael Wadleigh ne montrent pas la zone qui fut déclarée sinistrée après le festival. Ni les champs de maïs dévastés par les festivaliè·res au moment où la nourriture a manqué. On parle des deux naissances mythiques; on n'évoque pas les huit fausses couches, encore moins les plus de 5.000 autres personnes blessées et les deux morts qui ont endeuillé l'événement: une overdose et un jeune écrasé par un tracteur. «Le sac de couchage avait pris la couleur de la boue de sorte que le conducteur n'a pas pu le distinguer du sol», peut-on lire dans une archive.
On ne s'étend pas non plus sur le désastre tout juste évité de l'électrocution de masse, qui aurait pu être causée par la pluie et les milliers de pieds en sandales piétinant la boue et les fils électriques sortis de terre. «C'était un cauchemar», confiera Joel Rosenman, l'un des organisateurs, quarante ans plus tard. Impossible aussi d'éteindre la musique de peur que la danse ne se transforme en émeute.
Un désastre, Woodstock 1969 l'était donc déjà. Nous l'avons simplement oublié. Selon Andy Zax, producteur de l'anthologie des artistes qui y ont participé, «tout ce que nous considérons comme réel, ces images canoniques de Woodstock... ce sont celles du film». Ce festival n'est qu'un «conte de fée».
C'est précisément parce qu'on en a gardé cette vision liturgique que sa version 1999 a été ce qu'elle fut et que 2019 n'a pu exister. «Il y avait l'idée que le mélange d'un festival organisé à la dernière minute dans de piètres conditions et un environnement chaotique étaient le seul moyen de parvenir à une telle beauté dans la communion», analyse Steven Hyden, critique de musique. «En vérité, si on ne planifie pas bien, à moins d'avoir énormément de chance, ça se passe mal. C'est qui est arrivé à Woodstock 1999.»
Il serait donc temps de cesser de voir dans l'évolution du festival l'expression de la décadence d'une époque.