Quand les beaux jours arrivent, il fait bon se promener dans les allées ombragées du Tiergarten de Berlin. Préparez-vous toutefois à rencontrer, au détour d'une étendue d'herbe, des bataillons de personnes entièrement nues qui prennent paisiblement le soleil. Il n'y aura ni panneau, ni délimitation. C'est ainsi que la nudité est perçue à Berlin et dans toute l'Allemagne: comme un état d'esprit naturel et dénué de toute analogie avec le sexe. Une Freikörperkultur (culture du corps libre).
Il faut dire que le naturisme est une pratique de longue date en Allemagne. Elle commence dès le XIXe siècle avec la nudité dans les saunas, en marge du tabou du corps de l'époque. Au début des années 1900, la Nacktkulture (la culture du nu), est théorisée par le sociologue Heinrich Pudor. Très vite, une jeunesse bouillonnante de liberté, les Wandervogel (oiseaux migrateurs), s'en empare, luttant par là contre le monde urbain et industriel de l'Allemagne wilhelmienne et sa société hiérarchisée.
En 1918, dans les ruines d'un pays humilié par la guerre, naît enfin la Freikörperkultur, popularisée sous le sigle FKK. Elle se diffuse alors partout, du nord au sud de l'Europe, en France comme en Scandinavie.
Mais c'est notamment après la Seconde Guerre mondiale que le mouvement prend son sens. La renaissance de la FKK, interdite sous le Troisième Reich, signe un retour à la liberté. Mais quand l'Allemagne se déchire entre RFA capitaliste et RDA communiste, les libertés s'éteignent les unes après les autres. À l'est surtout, le naturisme était même encouragé par le gouvernement.
La fin d'une ère
Désormais perçue comme ringarde, «la FKK n'est plus à la mode», se désole le sexologue allemand Kurt Starke. «Aujourd'hui, il y a de moins en moins de plages réservées à la FKK, et c'est souvent celles qu'on réserve aussi aux chiens.» En trente ans, l'association de la FKK a ainsi perdu plus de la moitié de ses membres –on en compte aujourd'hui 32.000.
Et ce sont surtout les jeunes, entre 18 et 30 ans, qui prennent leur distances: «C'est à ce moment-là qu'ils ont le plus conscience de leur image, suppose Christian Utech, président d'une association naturiste berlinoise. Mais ils ont tendance à revenir quand ils ont la quarantaine, ne se soucient plus tant de leur apparence et veulent montrer à leurs jeunes enfants les avantages.»
La faute au culte du corps parfait qui conduit de moins en moins de jeunes à se définir «FKKler». Un paradoxe quand on rappelle l'histoire de la liberté des Wandervogel. La faute aussi, d'après le président de l'antenne berlinoise, à l'arrivée de nouvelles cultures qui ne portent pas la même sensibilité historique au naturisme.
Adeptes du naturisme allemand, ne perdez pas espoir: le mouvement est en train de se réinventer, mêlant la nudité à la pratique sportive. Du volley au yoga, le sport se pratique désormais dans le plus simple appareil. Notons au passage qu'au volley, on a le droit aux genouillères mais pas au short et qu'il est interdit de se photographier pendant ces activités.