France

Deux morts sur l'île de Ré et 26 à l'Aiguillon, pourquoi?

Temps de lecture : 6 min

La solidité des digues et l'emplacement ou non des habitations en zones inondables ont fait la différence.

Le bilan de la tempête Xynthia est d'une cinquantaine de morts. Il ne cesse de s'alourdir. Les dégâts sont considérables le long des côtes de Vendée et de Charente-Maritime. Après l'émotion, la polémique sur les causes vient de commencer. Certains reprochent aux autorités locales et aux préfets de ne pas avoir mis suffisamment en garde la population et de ne pas avoir évacué les zones à risque. En Poitou-Charentes, Ségolène Royal et Dominique Bussereau, les deux adversaires pour les régionales, ont écarté cette polémique, défendant le travail du préfet.

On peut toutefois remarquer que toutes les zones, à niveau de tempête égale, n'ont pas subi la même intensité de dégâts ni eu le même de nombre de victimes. Ainsi par exemple, a-t-on d'un côté l'Ile de Ré, «seulement» deux morts, de l'autre l'Aiguillon-sur-Mer et La Faute-sur-Mer, 26. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces différences dans le drame. Deux sont déjà mises en avant: la solidité des digues et l'emplacement des habitations en zones inondables.

La solidité des digues
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C'est sans doute la principale cause du drame et de nombreux arguments vont dans ce sens. Les digues de la côte atlantique sont trop anciennes -elles datent de Colbert, ou ensuite du XIXème siècle ou des années 1930- et ne répondent plus forcément aux normes de sécurité. Ségolène Royal a ainsi déclaré lundi 1er mars au matin sur France Inter: «Il va falloir reconstruire des digues suffisamment puissantes, solides et hautes. Elles sont très anciennes, n'étaient peut-être pas faites pour supporter un tel choc. Il faut maintenant en tirer les conséquences».

Prenons l'Ile de Ré, qui a été touchée par des dégâts considérables (et que je connais bien pour en être originaire). Aujourd'hui ce n'est plus une mais trois îles. La mer l'a coupée en trois points et elle est revenue, l'espace de deux jours, à ce qu'elle était des millions d'années auparavant. La situation des digues rétaises n'est pas meilleure que celles vendéennes. Des programmes de réhabilitation devaient être mis en place à partir de 2011 sur l'Ile de Ré par exemple. A Saint-Clément, l'une des digues a cédé et l'eau a innondé un hameau d'une quarantaine d'habitants. Mais, «heureusement», depuis plusieurs mois déjà le maire se plaignait dans le quotidien local de la vétusté de sa digue. Il était donc sur le pont et a fait évacuer les zones dangereuses.

A la Faute-sur-Mer, réagissant au début de polémiques, le maire indique que la digue n'a pas cédé mais a été «submergée». Il a expliqué ainsi: «C'est la digue de l'Aiguillon qui a cédé, précise-t-il. En revanche, la digue qui sépare la rivière le Lay au quartier résidentiel submergé n'a pas bougé. L'eau est tout simplement passée par dessus.» Le problème des digues c'est que maintenant après avoir cédé et même si elles sont renforcées en toute hâte, elles restent très vulnérables. Les grandes marées ne sont pas terminées et doivent se produire encore lundi et mardi. Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il allait débloquer 3 millions d'euros pour «faire face aux dépenses des victimes» et que Jean-Louis Borloo allait travailler sur un «plan digues».

Les constructions en zones inondables
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La plupart des gens sont morts car ils ont été surpris dans leur sommeil par l'eau et n'ont pas pu s'échapper. A l'Aiguillon-sur-Mer, la plupart des habitations en front de mer sont de plain-pied. Pour une raison toute simple: les plans locaux d'urbanisme dans ces zones n'autorisent que très rarement des maisons à un étage. Ajoutez à cela que la zone est inondable car légèrement en dessous du niveau de la mer, dans une sorte de fausse cuvette, tout était potentiellement réuni pour le drame.

Dans une étude menée récemment, la DDE de Vendée considérait que la commune de la Faute-sur-Mer était une zone sensible construite «sur de vastes espaces gagnés sur la mer, ne tenant pas compte de la mémoire du risque». Elle prévenait: «Plus de 3.000 maisons sont construites derrière ces digues en terre (..) 40.000 personnes fréquentent quotidiennement la commune en été. La rupture des digues sur ce secteur engendrerait des dégâts majeurs aux biens et aux personnes». Mais, on ne peut pas seulement accuser les élus locaux. Comme le rappelle Loïk Prieur, avocat et urbaniste spécialiste du littoral, «l'Etat a aussi son mot à dire. Le PLU est élaboré par le conseil municipal sous le contrôle du préfet. Si un PLU est illégal le préfet peut intervenir notamment en saisissant le Tribunal administratif. Dès lors qu'un risque existe, le PLU doit en tenir compte et classer les terrains en zone inconstructible ou au moins imposer des prescriptions (création d'un niveau refuge par exemple en cas de risque inondation). Si un PLU classe un terrain inondable en zone constructible, c'est donc une responsabilité de la commune mais aussi celle de l'Etat qui a manqué à son rôle de contrôle. L'Etat, à travers le Plan de prévention des risques naturels, peut lui aussi classer directement un terrain en zone rouge

Si l'on compare avec l'Ile de Ré, la situation est différente. Du côté nord de l'Ile, les villages sont contre la mer et ont des ports. Là, historiquement, les maisons sont plutôt à deux étages. Les maisons de plain-pied, plus récentes, se situant plus sur l'arrière. Donc l'eau s'est infiltrée dans les rues et a inondé les rez-de-chaussée mais les gens dormaient à l'étage. De l'autre côté de l'Ile, au sud, notamment au Bois-Plage ou à La Couarde, des hautes dunes ou des digues sont là et assurent une protection partielle. Si l'eau est passée par endroits, elle était fortement ralentie. A Sainte-Marie de Ré (mon village), la mer s'est engouffrée là où elle le pouvait mais a surtout endommagé un village de vacances, le terrain de jeux où les jeunes viennent fumer et la thalasso. Pour cette dernière, l'eau est allée dans les chambres mais elle est tellement proche de la plage (25 mètres) et il y a tellement peu de protections que tout le monde était préparé à cette éventualité.

Pour la Vendée et une partie de la Charente-Maritime, la question de l'aménagement du territoire risque d'être remise en question dans les prochains mois. C'est aussi, malgré les dégâts, paradoxalement une bonne nouvelle pour les écologistes. Si l'on garde l'exemple de l'Ile de Ré, les pressions sont immenses pour que certains terrains deviennent constructibles. Pour un paysan, si son champ le devient, c'est l'assurance de devenir riche. Dans le cas contraire, il doit continuer de cultiver des pommes de terre dans le sable. A Sainte-Marie, des zones entières, aujourd'hui sous les eaux, entre la plage et le village, sont d'ordinaire l'objet d'intenses tractations et de fantasmes. La secrétaire d'Etat à l'Ecologie, Chantal Jouanno, s'est elle prononcée pour un durcissement des règles de construction le long du littoral, suivant ainsi les déclarations de Philippe de Villiers. Elle a déclaré: «Nous, Etat, notre responsabilité, c'est de dire clairement les choses, de définir les zones rouges. Il y a des zones dans lesquelles on peut construire sous certaines conditions (...) et il y a des zones où on ne peut absolument pas construire».

L'âge des victimes et le type de population
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C'est une explication à ne pas écarter. La Vendée a connu depuis quelques années une forte augmentation de sa population, surtout dans les zones littorales, plus de 80 000 habitants supplémentaires en dix ans. Ce qui a entraîné une importante urbanisation. Bon nombre de retraités sont venus d'installer sur ces côtes où ils pouvaient devenir propriétaires pour des prix moins élevés que dans le sud. C'est une population un peu plus âgée et moins résistante physiquement, donc plus susceptible de se noyer et sans doute moins préparée à rester en alerte lors d'évènements météorologiques de cette ampleur.

Sur l'Ile de Ré la population a également fortement augmenté ces dernières années, mais un grand nombre de maisons restent des habitations secondaires et ce sont souvent celles de plain-pied, les plus près des plages. Un grand nombre des maisons qui ont été inondées ce week-end étaient donc sans doute vides. La population historique, âgée, habite elle dans les maisons à étages, bien à l'abri dans les vieux villages. Sur l'Ile de Ré, d'ailleurs, l'une des deux personnes mortes est une femme du troisième âge en visite.

Quentin Girard

Image de Une: Des maisons et des rues inondées à L'Aiguillon sur Mer Regis Duvignau / Reuters

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