La parasitologie est une discipline médicale et vétérinaire proche de l'écologie et de la politique. L'un de ses objets d'étude, les punaises de lit, en offrent un exemple éclairant. Début juillet, des député·es de La France insoumise (LFI) lançaient une campagne originale: #StopPunaisesDeLit.
Dénonçant la prolifération de ces parasites qui se «nourrissent la nuit de sang humain», ces élu·es regrettent qu'elle ne soit «que très peu traitée comme un problème politique» alors qu'elles font vivre «un enfer à des centaines de milliers de familles».
Députée du Val-de-Marne et vice-présidente du groupe LFI, Mathilde Panot évoquait aussi les insomnies et les allergies, une «souffrance extrêmement grande» et l'absence de reconnaissance du phénomène en tant que «problème de santé publique».
🔴 Madame @agnesbuzyn, Monsieur @J_Denormandie, il est de la responsabilité de l'Etat de résorber le fléau des punaises de lit !
— Mathilde Panot (@MathildePanot) July 8, 2019
Retrouvez mon interpellation des ministres de la Santé et du Logement au sujet des punaises de lit ⤵️#StopPunaisesDeLit pic.twitter.com/OL8HMeSFAi
LFI n'est pas seule dans ce nouveau combat. À ses côtés: Droit au Logement (DAL), l'association CLCV ou la Confédération nationale du logement (CNL) de même que le collectif marseillais La Cabucelle qui s'est notamment mobilisé à la suite de l'infestation d'une école primaire. Au croisement du social, du politique et de l'écologique, tous réclament un «plan d'urgence national d'éradication» et un plan de prévention contre la diffusion de ces parasites.
Aucune exagération: un rapport de 2015 du Centre National d'Expertise des Vecteurs montre que la répartition de ces parasites concerne tous les départements de la métropole française. Ce rapport établit aussi que 87% des services communaux d'hygiène et de santé ont déjà été sollicités pour des punaises de lit. Ici ou là des initiatives locales sont prises, comme celle de l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire.
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De toutes petites bêtes
Des punaises de lit? Toutes les espèces de cette grande famille font partie des Cimicidae. Mâles et femelles (entre 5 et 8 millimètres) piquent et sucent (de dix à vingt minutes si on les laisse faire) le sang de leur hôte dont ils se repaissent.
Ces parasites peuvent aussi résister sans rien avaler pendant plus d'une année. Après son repas sanguin, la punaise retourne dans un lieu de repos pour digérer, changer de stade ou pondre. Toute nouvelle cachette devient un nouveau lieu d'infestation (ourlet du pyjama, bagage, linge au pied du lit, cadre d'un tableau, commode…).
Couleur brun-rouge, le corps ovale et aplati, ils sont comparables à des lentilles ou à des pépins de pomme. Sans aile mais dotés de poils microscopiques; ces nymphes translucides ne se déplacent pas suffisamment rapidement pour échapper à la vue d'un observateur attentif.
Ces punaises étaient déjà sur Terre il y a environ 100 millions d'années.
Les jeunes et les adultes sont surtout actifs la nuit, ne goûtent guère les lumières (naturelles ou artificielles) et leurs lieux de repos, de ponte et de copulation sont difficiles d'accès: cordons de matelas, structures du lit, fentes de bois…
Son mode de reproduction traumatique a aussi captivé l'attention des entomologistes: le mâle n'utilise pas les voies de reproduction naturelles de la femelle lors de l'accouplement. À l'aide de son appareil reproducteur, il va perforer l'abdomen de la femelle et injecter son sperme dans l'organe paragénital. Les voies de reproduction de la femelle ne serviront ensuite que lors de la ponte des œufs.
La génétique et l'ADN l'affirment: ces punaises étaient déjà sur Terre il y a environ 100 millions d'années. Elles étaient donc contemporaines des dinosaures. On retrouve ensuite leurs traces dans le sillage des humains de l'Égypte antique.
Elles seront omniprésentes dans les tranchées franco-allemandes de 1914-1918 et persisteront dans de nombreuses habitations. Au milieu du XXe siècle, le DDT donna un espoir à la population touchée. Un insecticide d'une redoutable efficacité mais désormais très largement prohibé du fait de sa toxicité.
Depuis le début du XXIe, la punaise Cimex lectularius parvient non seulement à résister aux attaques mais semble de nouveau largement proliférer en différents endroits collectifs comme les hôtels, les hôpitaux et les maisons de retraite.
Tous les niveaux de contamination ont été décrits: cas isolés, cas groupés, contamination totale d'un bâtiment, ou flambée épidémique dans une ville comme à New York en 2009- 2010.
Nourriture et coursier
Cette expansion mondiale est due à deux types de déplacement de l'insecte, actif et passif. Localement, les punaises se déplacent à la recherche de repas sanguin. Le dégagement de gaz carbonique, la chaleur et certaines odeurs les attirent irrésistiblement.
Mais l'homme, nourriture devenue coursier, peut aussi les transporter, de façon fortuite, vers de nouveaux espaces -lors d'un voyage, d'un déménagement, de l'introduction dans son domicile de meubles, livres ou d'objets d'occasion...
«Hôtels, trains de nuit, auberges de jeunesse, foyers d'hébergement, prisons sont des lieux à fort risque de contamination par les punaises de lit, soulignent les spécialistes du CNEV. Un niveau social élevé n'est pas un gage de non-contamination. Les sociétés de désinsectisation ont tous en mémoire des sites contaminés allant du plus luxueux au plus dégradé. Par contre une parfaite hygiène quotidienne du lieu associée à une volonté du propriétaire de lutter instantanément et activement contre cet insecte, sont des facteurs essentiels pour réduire et stopper la contamination et l'expansion de la nuisance à d'autres sites.»
Plus généralement, la recrudescence est favorisée par la multiplication constante des voyages internationaux et aussi par développement de la location de logements entre particuliers ou la multiplication d'achats d'objets de seconde main –autant de nouveaux comportements, de nouvelles formes d'échanges et de promiscuités paradoxales qui offrent de nouvelles possibilités aux punaises de lit d'élargir leurs champs de colonisation.
Réaction physique
Face à elles, le corps humain réagit de diverses manières. À commencer par de possible réactions allergiques à la salive des punaises inoculée lors des piqûres indolores.
En cas d'infestation massive, on peut redouter une anémie du fait de la spoliation sanguine. La démangeaison s'exprime généralement au matin avec une légère amélioration le soir. Certaines atteintes peuvent toutefois ressembler à de l'urticaire. Il faut aussi compter avec les effets psychologiques (fatigue, irritabilité, stress) qui imposent une écoute bienveillante des victimes.
Le diagnostic clinique est rarement simple -et pour compliquer le tout il n'existe pas de test biologique commercialisé pouvant confirmer le diagnostic.
«Sur les parties découvertes de la peau, les lésions se présentent parfois en ligne de quatre à cinq piqûres assez caractéristiques de cet insecte. Les piqûres de puces peuvent également présenter cet aspect en ligne, mais les lésions sont majoritairement localisées sur les jambes. Seul un interrogatoire rigoureux du patient permet d'évoquer cet insecte, résument les spécialistes du CNEV. Le diagnostic de certitude ne pourra s'établir que par l'identification entomologique d'un spécimen apporté par le patient ou prélevé sur site par un entomologiste ou une société de désinsectisation.»
Une cellule de crise
Pour ce qui est de la lutte, un seul objectif: la suppression totale des punaises dans son environnement –aucun seuil résiduel n'est acceptable.
Lutter contre cette infestation c'est, d'abord, organiser dans une recherche minutieuse et systématique de tous les sites de repos ou de propagation: punaises adultes et jeunes mais aussi œufs, déjections et traces de sang au moyen d'une lampe de poche et d'une loupe.
«La punaise de lit a une odeur spécifique parfois détectable par un chien, rappellent les spécialistes du CNEV. L'efficacité de cette méthode est très variable et dépend de différents facteurs, dont notamment le dressage et le maître-chien.»
On peut également avoir recours à des pièges attractifs chauffants (l'animal punaise est attiré par la chaleur), de pièges à dégagement de CO2 voire de pièges attractifs à phéromones spécifiques.
Vient ensuite le stade de la lutte mécanique (sans utilisation d'insecticide). De nombreuses méthodes existent qui peuvent être utilisées conjointement: aspiration avec l'embout fin d'un aspirateur; congélation à -20°C pendant 72 heures (pour certains vêtements délicats) ou lavage à 60°C à la machine; sèche-linge et repassage du linge; chauffage du mobilier pour tout objet pouvant résister à une température égale ou supérieure à 60°C en son cœur; nettoyage vapeur à 110°C (ou mieux 180°C) qui détruit toutes les punaises au niveau des recoins ou des tissus d'ameublement; nettoyage à la brosse à sec ou avec un nettoyant de surface (y associer l'aspirateur ou un grand nettoyage du sol).
«Trop souvent, matelas ou meubles sont déposés dans la rue ou vendus dans des vide-greniers. Ce comportement qui déplace l'invasion de punaises sur d'autres sites est à proscrire. Il faut s'assurer que le matériel ira directement à la décharge sans risque d'être récupéré ou stocké avant destruction totale.»
On peut encore utiliser la terre de diatomée, produit naturel fabriqué à partir d'algues microscopiques fossilisées. Son effet insecticide n'est pas chimique mais physique/mécanique, les particules tranchantes agissant comme des rasoirs microscopiques –une substance qui doit, de ce fait, être maniée avec précaution (port d'un masque).
Une lutte chimique ultérieure impose le plus souvent d'avoir recours à des professionnels qui doivent intervenir au minimum à deux reprises à deux semaines d'intervalle en usant de produits insecticides. Or les punaises de lit se révèlent malheureusement de plus en plus résistantes à ces produits qui pourraient, demain, être prohibés comme le fut le DDT.
«Aucune lutte ne peut garantir l'élimination totale des punaises et aucune méthode d'évaluation ne peut affirmer en quelques jours (7-8 jours) que la lutte a été efficace à 100%. Ces deux points sont souvent difficiles à admettre pour les occupants, les propriétaires ou les désinsectiseurs. L'évaluation la plus simple se fait par l'absence de piqûres sur une longue durée, généralement au bout de un ou deux mois.»
Toujours selon les spécialistes du CNEV en cas d'infestations massives de plusieurs logements, la mise en place d'une cellule de crise s'avère nécessaire, composée du propriétaire principal ou du syndic, d'un professionnel de la désinsectisation, des habitants du lieu, voire d'un expert en punaises, des services d'hygiène et de santé du secteur.
«Mais dans la réalité, la mise en place d'une cellule de crise s'avère trop rare ou extrêmement laborieuse car peu de structures privées ou publiques se rendent compte de la problématique, regrettent les spécialistes. L'action de lutte doit être réfléchie, adaptée de façon spécifique au lieu et coordonnée entre les différents acteurs. Aucun professionnel de la désinsectisation ne peut raisonnablement faire face sans un soutien logistique et financier de grande échelle. Pour une forte infestation, une déclaration auprès de l'Agence Régionale de Santé (ARS) est souhaitable.»
Tous ces éléments à la fois sociaux, financiers et écologique justifient selon les députés LFI la mise en oeuvre d'un «plan national d'urgence d'éradication et de prévention».
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Salubrité et pétition
Interrogée par Le Monde, la Direction Générale de la Santé (DGS) ne semble guère percevoir l'urgence de la situation. Elle reconnaît que «la problématique des punaises de lit relève bien de l'hygiène et de la salubrité de l'habitat et des milieux intérieurs».
Pour autant, le ministère des Solidarités et de la Santé estime que les «conséquences sanitaires doivent être correctement connues». Une étude conduite par la DGS et le réseau Sentinelles de l'Inserm a été lancée. Il s'agira d'«estimer le taux d'incidence annuel des cas» vus en consultation de médecine générale, de les «décrire» et d'«étudier l'existence d'une saisonnalité des cas». Les résultats ne sont pas attendus avant 2020.
Le ministère d'Agnès Buzyn est donc encore bien loin des demandes des députés LFI qui réclament dès maintenant un encadrement tarifaire des interventions des entreprises privées –ils évaluent le coût des désinsectisations entre «400 et 1.000 euros».
Selon le DAL qui se mobilise sur le sujet et qui a lancé la pétition «Pour une loi et des moyens contre les punaises de lits!», 400.000 sites sont infestés aujourd'hui en France -contre 200.000 en 2017.
«Les punaises de lit à la maison, c'est l'enfer assuré: démangeaisons liées aux piqûres, insomnies, angoisses, anémie des personnes âgées, risque d'infection…, écrit la DAL. Alors qu'il existe des traitements mécaniques et naturels qu'il faut développer, aujourd'hui, pour s'en débarrasser, c'est des traitements chimiques toxiques et des coûts exorbitants: coût de traitement trop souvent à la charge des locataires, coût de remplacement de tout le mobilier et les vêtements à jeter... Contre ce fléau, il existe des solutions! L'éradication des punaises de lit doit être une priorité de santé publique prise en charge par la collectivité publique.»
Des informations pratiques sont aussi disponibles à cette adresse «Tout savoir sur les punaises de lit – Guide complet 2019»