Dans Un lit pour deux, le sociologue Jean-Claude Kaufmann se penche sur la symbolique de cet espace intimement lié au couple et pourtant très personnel: dans la douceur de nos draps se joue une violente confrontation entre le désir de proximité amoureuse et l'aspiration au bien-être individuel.
En 2012, 26% des personnes interrogées pour un sondage mené aux États-Unis déclaraient mieux dormir seules qu'à deux. Une autre étude de 2018 révélait que 46% des Américain·es en couple préféreraient parfois dormir séparément.
Le sujet de la chambre à part, que la langue anglaise surnomme «divorce du sommeil», commence à se défaire du tabou qui l'entourait.
Deux lits, un couple épanoui
Dormir à deux ne ressemble que rarement à l'image fantasmée du couple en cuillère: il fait chaud, l'autre ronfle, bouge, vole la couette ou prend toute la place et finalement, on se lève de mauvaise humeur.
En 2013, une étude a montré qu'il suffisait d'une nuit de sommeil troublée par notre partenaire pour nous rendre plus susceptible de nous disputer le lendemain.
«Mon mari ronflait, monopolisait la couette et quand j'étais déjà fatiguée, ça m'exaspérait profondément. Il m'arrivait de le réveiller pour lui dire d'arrêter, ce qu'il n'appréciait pas vraiment non plus», confie une femme au New York Times.
«Je suis un oiseau de nuit et lui une alouette, raconte une autre. J'aime m'endormir avec un bruit de fond, il aime le silence. Il préfère les matelas fermes, mon lit est rempli de coussins.»
Ce n'est pas un hasard si ces témoignages sont ceux de femmes: selon la psychothérapeute Mary Jo Rapini, «c'est généralement l'épouse ou la petite amie qui évoque l'idée des lits séparés».
Dans ces conditions, s'entêter à dormir à deux peut paraître absurde, d'autant que faire chambre à part n'est pas sans avoir ses avantages.
«Quand les deux conjoints passent une bonne nuit de sommeil, cela leur permet de se sentir en meilleure forme physique et émotionnelle, sans la rancœur pour l'un et la culpabilité pour l'autre», souligne Jennifer Adams, autrice de Sleeping Apart Not Falling Apart.
Le couple s'en trouve renforcé, soutient le psychothérapeute Ken Page, qui revient sur l'expérience de patient·es ayant choisi de passer le cap: «Pour beaucoup, ne plus avoir à s'inquiéter de leur sommeil a été vécu comme un véritable soulagement. Ils ont pu davantage profiter de leur couple et se sont libérés des sentiments négatifs qu'ils avaient pu avoir à cet égard.»
Pour les personnes qui s'inquiètent d'y voir le signe d'une relation qui bat de l'aile, Jennifer Adams assure que ce sont les couples «heureux, dans une relation longue» qui sont les plus à l'aise à l'idée de dormir séparément, signe qu'ils ont su communiquer efficacement. Quant à la question que tout le monde se pose: «Leur vie sexuelle est aussi épanouie que celle des couples partageant le même lit», affirme Rapini.