«WOOOOOOWWWwww je EH OH je me suis tapé tout ça pour que vous vidiez le congèle juste après», s'est exclamée Klaire fait Grr sur Twitter le 24 juillet. L'objet de sa stupéfaction: la destruction prévue du stock de gamètes existant lors de l'entrée en vigueur de la loi de bioéthique révisée. Sa crainte: que son prélèvement d'ovocytes n'ait servi à rien et que ses follicules ponctionnés finissent à la poubelle sans qu'aucune fécondation n'ait même été tentée.
Pour moi... mais alors pour les receveuses ça doit aussi être à se taper la tête contre les murs de lire ça
— Klaire fait Grr (@Klaire) 24 juillet 2019
C'est que le projet de loi présenté devant le conseil des ministres planifie de lever l'anonymat total des personnes donneuses, qui était jusqu'alors la norme. Son article 3 prévoit en effet «d'ouvrir un nouveau droit aux personnes nées d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur»: celles-ci, «à leur majorité, auront la possibilité, sans condition, d'accéder aux informations non identifiantes relatives au tiers donneur ainsi qu'à l'identité de ce dernier».
Comme il est disposé que «le consentement exprès du tiers donneur à la communication de ces données et de son identité» soit recueilli avant même que le don ait lieu, ce qui n'a pas été le cas pour les précédents dons et afin que les futur·es enfants soient sur un pied d'égalité, les stocks actuels seront détruits.
Des répercussions
Une remise à zéro de la banque de gamètes qui fait sens. «La loi changeant, à un moment donné, il faut l'appliquer. Il serait difficilement acceptable que l'on laisse passer beaucoup d'années avant sa mise en application et surtout avant la prochaine révision de la loi de bioéthique, fait observer Nathalie Rives, présidente de la Fédération française des Cecos (Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains). Il est donc logique qu'il y ait une période définie au-delà de laquelle on ne pourra pas utiliser les ovocytes et les spermatozoïdes conservés selon les critères antérieurs.»
Reste que la situation a de quoi questionner. Pas seulement parce que ces dons sont déjà «en tension» (746 donneuses et 363 donneurs en 2016, d'après l'Agence de biomédecine) et que, «ce stock, on ne le constitue pas en une année», indiquait-elle le 24 juillet à nos confrères du Parisien.
«C'est un peu perturbant, abonde le professeur Louis Bujan, directeur du pôle Médecine et biologie de la reproduction au Cecos Midi-Pyrénées. On est en train de faire des campagnes pour recruter des donneurs et donneuses et on va détruire le stock!»
En outre, «lors de la signature du consentement au don de gamètes, il est indiqué que l'arrêt de leur distribution aura lieu dès lors qu'il y aura dix naissances pour les spermatozoïdes et lors de l'épuisement des stocks pour les ovocytes, précise sa consœur du Cecos du CHU de Rouen. On ne leur a jamais dit que leurs gamètes seraient détruits dans un tout autre contexte.»
Quand bien même leurs gamètes non attribués seraient détruits, le don n'aura pas été fait pour rien.
On peut donc comprendre l'effarement de Klaire. Tout comme les interrogations des personnes désirant encore faire des dons. «Je comptais faire un don bientôt, avec cette info je sais que je ne le ferai pas jusqu'à la mise en vigueur de la loi», tweete ainsi Ménilouche.
Des répercussions que la professionnelle de la biologie de la reproduction n'entend pas minimiser mais plutôt signaler auprès des instances parlementaires, qui examineront le projet de loi en septembre, afin que cette transition entre l'ancien et le nouveau régime soit à la fois «pragmatique et responsable», et que tous les dons soient utilisés au mieux.
Don utile (et utilisé)
Certes, les «“anciens” donneurs», comme le formule l'étude d'impact du projet de loi relatif à la bioéthique, qui consentiraient à transmettre des données non identifiantes ainsi que leur identité aux personnes nées de leur don si celles-ci en font la demande à leur majorité, comme dans le cadre de la loi révisée, n'ont pas été oubliés du dispositif.
Il leur sera possible de se manifester auprès d'une commission. Cependant, cela ne leur assurera en rien que leurs gamètes non encore utilisés ne soient pas détruits avec l'ensemble du stock.
Quand bien même leurs gamètes non attribués seraient détruits, le don n'aura pas été fait pour rien.
Entre le moment du recueil de sperme ou du prélèvement d'ovocytes et la finalisation du dossier, il se passe entre six mois et un an. On peut donc considérer que les dons de cet été 2019, auront servi comme prévu à aider au moins un couple infertile dans son projet parental.
Comme nous l'apprend Nathalie Rives, en moyenne, dans son centre, sur cent donneurs, on cesse de distribuer les paillettes congelées (parce que le seuil des dix naissances a été atteint pour les dons de sperme ou par épuisement des paillettes sans atteindre les dix naissances), au bout de trois à quatre ans.
Bien plus tôt pour les ovocytes: la stimulation ovarienne ne peut avoir été inutile puisque les stocks d'ovocytes sont moindres (on en récolte bien moins à chaque ponction que de spermatozoïdes lors d'un recueil de sperme) et que ces gamètes femelles sont utilisés au fur et à mesure.
Transition réglementaire
«Durant la période de changement de conditions, il sera possible d'utiliser les ovocytes conservés pour les couples en attente», détaille la présidente de la Fédération des Cecos.
Autre option envisagée durant cette période de transition: raccourcir le délai d'attente pour les couples déjà engagés dans l'assistance médicale à la procréation chez qui une grossesse ne serait pas intervenue.
«On sait qu'on a des paillettes avec un temps limite d'utilisation», glisse Nathalie Rives. L'idée, c'est bien d'exploiter au maximum les stocks de gamètes restants sans gâchis et sans qu'il soit besoin d'y faire rentrer de nouveaux dons. «En 2020, avant l'entrée en vigueur de la loi, sera-t-il nécessaire de recruter des donneurs? se demande Louis Bujan. Je n'en suis pas certain…»
Pour sa consœur, «c'est une réflexion que l'on doit mener»: elle s'interroge sur la pertinence de «continuer à recevoir des candidates et des candidats aux dons pendant l'année qui suit la promulgation» et de «faire une congélation et une conservation si c'est pour ne pas les utiliser».
La question qui subsiste, c'est donc à partir de quand les Cecos arrêteront d'accepter les ancien·nes donneur·ses, afin d'éviter de gaspiller des dons tout frais qui resteraient à jamais inemployés. Une interrogation qui reste pour le moment sans réponse.
Tant que les détails de la loi ne sont pas fixés, rien ne sert de reporter son don
Tout dépendra du moment exact auquel le stock de gamètes obtenus dans le cadre de la législation antérieure ne pourra plus être utilisé. Avec cette donnée, il sera possible de calculer le temps durant lequel le stock permettra d'être autosuffisant. Or cette date-là est pour le moment inconnue: elle «sera fixée par voie réglementaire», est-il indiqué dans l'étude d'impact.
«Il reste à proposer un temps acceptable par les juristes et les structures que sont les Cecos de façon à limiter au maximum l'impact de la destruction de la banque, poursuit Nathalie Rives. On est en train de faire un travail assez rapide d'évaluation, qui doit être prêt pour fin août-début septembre, afin de soumettre une proposition du temps d'utilisation des prélèvements conservés actuellement.»
Tant que les détails de la loi ne sont pas fixés et que celle-ci n'est pas promulguée, rien ne sert de reporter son don: cela ne ferait que rallonger les délais d'attente des couples infertiles et, une fois le nouveau régime en vigueur, des couples de femmes et des femmes seules.