Société

Comment se forment les membres d'Extinction Rebellion?

Temps de lecture : 6 min

Cet été, les activistes du mouvement écolo radical Extinction Rebellion ont sillonné la France pour préparer leur action de grande envergure.

Rassemblement d'Extinction Rebellion sur l'île Simon, à Tours, le 13 juillet 2019. | Rémi Yang
Rassemblement d'Extinction Rebellion sur l'île Simon, à Tours, le 13 juillet 2019. | Rémi Yang

À Tours, Indre-et-Loire

Ce 12 juillet, au troisième étage de la ressourcerie La Charpentière, lieu alternatif près de Tours où les gens viennent habituellement réparer leur vélo, une trentaine de personnes sont assises dans l'obscurité et écoutent deux jeunes parler.

«Les campagnes traditionnelles ne sont pas assez gênantes pour mettre en place un rapport de force avec les décideurs. C'est pourquoi nous avons choisi la rébellion comme moyen d'action», lance Pierre, cheveux frisés, visage juvénile et lunettes sur le nez.

Ce matin, l'étudiant en école d'ingénieur est parti en covoiturage de Paris. Sa binôme, Jade*, la vingtaine et vêtue d'une robe bleue, est descendue de Vendôme dans la voiture d'un autre militant.

Demain, ils partiront au Mans, puis ils rouleront vers Nantes et passeront sans doute à Morlaix. Le duo est attendu à Grenoble à la fin août et marquera une étape en Corse début septembre. Le reste de l'itinéraire est encore à définir, mais Jade et Pierre seront sur la route tout l'été. En témoignent les énormes sacs qui traînent à leurs pieds.

Voici la «caravane» d'Extinction Rebellion. Le but? Recruter et former un maximum de militant·es pour préparer une action de grande envergure à Paris en octobre, qui serait suivie d'autres évènements à Londres, Berlin ou New York.


Atelier de personnalisation de t-shirts à Tours. | Rémi Yang

Dans chaque ville où le collectif posera ses valises, des activistes du coin grossiront les troupes avant de rejoindre l'étape suivante. «L'idée est venue lors d'un week-end stratégie il y a deux mois, rembobine Pierre. Certains militants proposaient de faire des actions sur le Tour de France. Et puis on s'est dit: “Pourquoi ne pas partir en faire un?”»

Désobéir sans violence

Le mouvement écologiste radical Extinction Rebellion a vu le jour au Royaume-Uni en octobre 2018, et s'est implanté dans une soixantaine de pays en quelques mois.

Son idéologie est articulée autour de plusieurs grands principes, comme la non-violence, l'ouverture et la tolérance, et quatre revendications: «reconnaître l'urgence climatique et sa gravité, réduire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre, arrêter la destruction des écosystèmes et mettre en place des assemblées citoyennes», énumère Pierre. Dans le groupe, les militant·es s'appellent des «rebelles» et agissent selon un mode d'action de «désobéissance civile non violente».

En avril dernier à Londres, le mouvement a mené des actions pendant plus d'une semaine pour paralyser la ville en bloquant plusieurs points centraux. Résultat: plus de 400 interpellations.

L'antenne hexagonale a quant elle organisé son premier coup à Paris le 24 mars, date à laquelle les rebelles ont officialisé leur existence en se déclarant «en rébellion».

Depuis, une soixantaine d'annexes locales ont vu le jour, dont celle de Tours, qui accueille aujourd'hui la caravane.

«XR» France revendique plus de 6.000 membres, qui se sont notamment fait·es connaître après avoir bloqué le pont de Sully à Paris, le 28 juin.

D'ailleurs, presque toutes les personnes présentes ce soir y étaient. Anthony, grand gaillard au t-shirt floqué du logo d'Extinction Rebellion –un sablier cerclé– faisait partie des activistes violemment évacué·es par la police.

«C'est presque une bonne chose qu'ils aient eu recours à la force. Médiatiquement, on a explosé. On l'a vu au niveau des dons, des soutiens et des nouveaux membres, constate celui qui a cofondé le groupe de Tours. La non-violence nous permet de mettre la police et le gouvernement face à un dilemme: s'ils utilisent la violence, l'opinion publique sera de notre côté.»

Dormir chez l'habitant

En tout, la conférence aura duré plus de deux heures, pendant lesquelles Pierre et Jade ont fait un point sur l'urgence climatique, sur le mouvement et sur ses moyens d'action. Après une petite heure de débat avec un public déjà sensibilisé aux problématiques environnementales, clap de fin.

Une quinzaine de personnes ont laissé leur adresse mail pour s'abonner à la newsletter du mouvement. C'est une petite victoire pour Anthony, qui s'occupe également de la communication numérique d'Extinction Rebellion France.

Bière à la main, il revient sur son engagement. «J'ai rejoint le mouvement fin novembre 2018. J'ai fait mes premières actions à Paris en avril. J'ai fait du swarming [blocages éphémères de la circulation, ndlr] et on a bloqué le ministère de l'Agriculture», se remémore-t-il.

À Tours, il met un point d'honneur à s'occuper des nouvelles recrues. «J'espère qu'avec la caravane, d'autres se sentiront impliqués», escompte Anthony. Lui-même ne suivra pas le tour de France, «mais je monterai à Paris en octobre», précise-t-il.

À la fin de la conférence, l'ambiance se détend. Pierre et Jade se mélangent aux activistes de Tours et débriefent leurs prises de parole –c'est la première fois qu'ils se plient à cet exercice. «Tu dis trop de “euh”!», lance une militante à Jade. Son comparse parisien commence à piquer du nez. «Qui a des places pour ce soir?», demande Anthony.

Au cours de leur périple, les rebelles comptent sur l'hospitalité de leurs pairs pour trouver un toit où dormir. «C'est l'organisation à la XR!», plaisante Jade. Plusieurs personnes se dévouent pour accueillir le tandem. Ce soir, Pierre est pris en charge par Maude, une éducatrice quarantenaire qui est de toutes les luttes locales.

Former à former

Le lendemain matin, le rendez-vous est donné sur l'île Simon, où des drapeaux aux couleurs du mouvement flottent autour du groupe de rebelles. Une dizaine ont fait le déplacement, qui étaient déjà là hier soir.

D'ailleurs, le rassemblement est aussi l'occasion de noter les retours sur la conférence de la veille. Mathieu, un local, propose de créer un fichier dans lequel seront notées les questions posées par le public, dans le but de fournir une réponse plus construite.

À la fin de la matinée, les activistes de Tours seront en mesure d'organiser leurs propres conférences et de former à leur tour d'autres membres. C'est un point central dans le fonctionnement du mouvement: «On fonctionne de manière horizontale, il n'y a pas de hiérarchie, éclaire Jade. Chacun peut lancer un groupe ou une action sous la bannière XR, tant que nos principes sont respectés. Pour nous rejoindre, il faut juste partager nos valeurs.»


Sur l'île Simon, à Tours. | Rémi Yang

Aujourd'hui, Pierre va apprendre à une partie du groupe à reproduire la conférence, tandis que Jade va former à «l'ADN d'XR», c'est-à-dire inculquer les valeurs du mouvement.

«On est un mouvement d'action, on n'est pas là pour écrire des pamphlets», balance-t-elle. La formule fait grincer des dents quelques personnes, qui reprochent au mouvement de ne pas penser à «l'après» et de ne pas explicitement prendre en compte certains aspects sociaux.

D'autres se posent des questions sur «l'ouverture à tous» que prône Jade. «Je suis désolée, mais si des fachos nous rejoignent, ça va pas aller pour moi», alerte Maude. «Il faut inclure et discuter», lui répond Jade. Au fil des discussions, l'ensemble de l'assemblée finit par adhérer à ces principes.

Mesurer le sacrifice

«On propose des formations en fonction de ce dont on besoin les groupes locaux, souligne Jade. Ici, par exemple, on nous a demandé des interventions autour de l'organisation du groupe. À Morlaix et Nantes, ce sont les formations à la désobéissance civile qui intéressent.»

Au programme de cette formation censée durer huit heures: des jeux de rôle pour apprendre à réagir face aux forces de l'ordre et une partie légale, notamment sur ce qu'il faut faire et ne pas faire en garde à vue.

La veille, Pierre et Jade avaient déjà inclus à leur présentation un petit topo sur les risques encourus, évoquant un «sacrifice» à faire. «Lors d'une action au festival de Cannes, une trentaine de militants ont été placés en garde à vue», se rappelle la formatrice.

Vers midi, la formation s'achève. Une partie de la troupe se met en route vers la Vélorution universelle, un événement promouvant l'utilisation des transports non polluants.

Pierre et Jade se préparent à faire la route jusqu'au Mans, dans la voiture d'un rebelle. «On aurait préféré prendre le train, c'est plus écolo que la voiture», concède Pierre.

* Le prénom a été changé.

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