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S'ils ne sont plus dopés, pourquoi les coureurs du Tour de France roulent-ils toujours aussi vite?

Temps de lecture : 5 min

Les moyennes horaires des derniers Tours de France étaient plus rapides que celles des éditions marquées par un dopage de masse à la fin des années 1990.

Julian Alaphilippe, détenteur du maillot jaune, lors de la quinzième étape du Tour de France 2019 entre Limoux et Foix - Prat d'Albis, le 21 juillet 2019. | Marco Bertorello / AFP
Julian Alaphilippe, détenteur du maillot jaune, lors de la quinzième étape du Tour de France 2019 entre Limoux et Foix - Prat d'Albis, le 21 juillet 2019. | Marco Bertorello / AFP

C'est une équation difficile à résoudre. Les résultats des contrôles et les dires des spécialistes semblent confirmer que le dopage a diminué dans le peloton du Tour de France, mais les coureurs roulent toujours aussi vite.

Ces dernières années, les radars enregistrent des vitesses moyennes horaires très élevées. En 2017, le gagnant Chris Froome avait parcouru les 3.540 kilomètres de la Grande Boucle à une moyenne de 40,996 km/h –un record absolu en dehors de la période Armstrong, qui a été officiellement effacée des tablettes du Tour.

En 2018, Geraint Thomas, coéquipier de Froome au sein de l'équipe Ineos (ex-Sky), avait quant à lui bouclé les 3.351 kilomètres à une vitesse de 40,234 km/h.

Ces allures sont plus rapides que celles enregistrées à la fin des années 1990, à la grande époque du dopage de masse et de l'EPO, un produit dopant connu pour booster les performances des athlètes en augmentant leur nombre de globules rouges, responsables du transport de l'oxygène dans le sang.

Marco Pantani, vainqueur en 1998 en pleine affaire Festina et plusieurs fois contrôlé positif à des produits dopants, avait terminé le Tour de France du scandale à une moyenne de 39,983 km/h.

Vous voyez où est le problème? Si l'on part du postulat que les derniers vainqueurs du Tour sont propres, comment font-ils pour rouler plus vite que leurs dopés de prédécesseurs?

Entraînement scientifique

Frédéric Grappe est directeur de la performance chez Groupama-FDJ, la meilleure équipe française du moment, dont le leader Thibaut Pinot est actuellement à la bataille pour terminer sur le podium du Tour de France 2019. Pour élucider l'apparent paradoxe, il met en avant les progrès en matière d'entraînement des cyclistes.

«Historiquement, jusqu'en 1998 et l'affaire Festina, il ne se passait rien sur le plan de l'entraînement dans le cyclisme, relève celui qui est également chercheur en sciences du sport à l'université de Besançon. Mais à partir de cette date, beaucoup d'équipes se sont mises à travailler de manière plus scientifique. Le cyclisme est devenu un sport où l'on arrive à mesurer énormément de paramètres avec des données en temps réel, ce que de nombreux autres sports ne peuvent pas faire pour des questions pratiques. L'entraînement des coureurs a pu être individualisé et optimisé.»

En plus de l'entraînement, d'autres facteurs ont participé à la progression des cyclistes. Le matériel a connu de nombreuses évolutions, avec des vélos toujours plus aérodynamiques et ergonomiques. On se souvient du débat autour du pédalier oblique utilisé par l'équipe Sky de Chris Froome lors du Tour 2015 et du gain de performance éventuel qui en découlait.

«Il y aura toujours à gratter dans le matériel, dans la physiologie. On tend vers des limites de performance, même si l'on arrive encore à grignoter grâce à des outils qui permettent d'enregistrer de nouvelles données», poursuit Frédéric Grappe.

Les résultats de l'équipe Groupama-FDJ lors de la très spécifique épreuve du contre-la-montre par équipe montre qu'avec beaucoup de recherche scientifique et de travail sur le long terme, les efforts payent. Cette année, lors de la deuxième étape dans les rues de Bruxelles, les coureurs français ont arraché la huitième place, à une trentaine de secondes des meilleures équipes dans cette discipline –une progression notable.

«C'est un travail de dix ans pour en arriver là. Nos coureurs ont leur propre vélo de contre-la-montre chez eux, pour l'utiliser plusieurs fois dans la semaine. On a aussi réalisé des études sur la position à tenir sur le vélo pour chaque coureur», glisse le directeur de la performance de l'équipe.

Détection des records suspicieux

Certains records ne peuvent cependant pas être battus sans que des soupçons de dopage ne viennent s'immiscer dans les esprits.

Si la vitesse moyenne horaire de l'ensemble d'un Tour de France dépend de nombreux critères, comme les conditions atmosphériques, le vent, le profil du parcours (plus ou moins de montagne) ou l'état du revêtement des routes, il existe des sections chronométrées qui fournissent des renseignements précis sur le niveau réel des coureurs: les cols.

En 2013, Chris Froome avait battu le record de l'ascension du mont Ventoux sur une étape en ligne (hors contre-la-montre), avec un temps de 57 minutes et 30 secondes pour gravir à la force de ses mollets les 22 kilomètres à 7,5% de pente moyenne, effaçant de l'ardoise les références de nombreux grimpeurs boostés à des produits dopants.

La performance avait jeté le doute sur la probité du champion britannique. En direct sur France Télévisions, le consultant et ancien cycliste professionnel Cédric Vasseur avait commenté: «Regardez cette attaque de Froome assis sur la selle, c'est incroyable d'attaquer dans le Ventoux comme ça. C'est surréaliste!»

Ancien entraîneur de l'équipe Festina, Antoine Vayer est désormais spécialiste de la mesure des watts produits par les cyclistes lors de leurs efforts en montée.

Devenu l'un des plus fervents pourfendeurs du dopage dans le cyclisme, il relève chaque année les temps d'ascension des meilleurs coureurs dans les cols du Tour de France, pour déterminer si ces performances sont humainement crédibles.

Sa méthode de calcul, créée en 2000 avec Frédéric Portoleau, ingénieur en mécanique des fluides, a fait ses preuves. «Le jour où le temps de Marco Pantani pour l'ascension de l'Alpe d'Huez sera battu, ce sera le signe d'une pratique dopante», prévient Antoine Vayer.

L'ancien membre du staff de Festina note que contrairement au début des années 2010, plus aucun coureur ne dépasse aujourd'hui «le stade que l'on nomme mutant, c'est-à-dire une performance physiologique impossible».

«Il y a toujours des coureurs qui se dopent, car ce n'est pas noir ou blanc, mais cela est moins caricatural que dans le passé, c'est vrai, ajoute-t-il. Il y a cependant quelques équipes qui sont nettement supérieures aux autres, et cela est intriguant. On enregistre aussi toujours des performances suspectes de la part de coureurs dans certains cols.»

Calendrier personnalisé

Dans un cyclisme moderne davantage centré sur la maximisation des performances que par le passé, il est également important de souligner que les coureurs sont spécialement préparés pour telle ou telle épreuve.

Un cycliste professionnel très fort en montagne axera toute sa préparation pour arriver à son pic de forme sur le Tour de France, alors qu'un autre plus performant sur le plat et les petites bosses construira son entraînement de sorte à être au top lors des classiques du printemps.

«On est passé dans une ère de la spécialisation. Dans le passé, Bernard Hinault ou Eddy Merckx s'alignaient sur des courses tout au long de l'année, qu'ils essayaient toujours de gagner. Ils totalisaient 130 jours de course par an, contre 70-75 pour les gars qui tentent actuellement de remporter le Tour de France. Ce nombre réduit de jours de course permet d'avoir des organismes plus frais et d'être à son meilleur niveau sur une période bien définie», analyse Frédéric Grappe.

«Cela n'a donc rien d'impossible de voir des coureurs propres réaliser aujourd'hui de meilleures performances que des coureurs contrôlés positifs à des produits dopants il y a quelques années, conclut-il. Il faut dire que certaines performances de l'époque reposaient en grande partie sur le dopage, mais qu'il n'y avait pas tout le travail que l'on réalise depuis quelques années avec les coureurs sur le matériel, l'entraînement individualisé, la nutrition, la récupération, les stages à haute altitude...»

Plusieurs étapes de la première moitié du Tour de France 2019 ont été parcourues à très grande vitesse, comme l'étape de moyenne montagne entre Saint-Dié-des-Vosges et Colmar le 10 juillet, que le peloton a bouclé à la vitesse moyenne de 43,413 km/h. Le record de la moyenne horaire de la Grande Boucle pourrait bien être une nouvelle fois battu.

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