Société

Attention au mauvais usage de la métaphore «prise d'otages» en politique

Temps de lecture : 3 min

L’expression préférée de l'opposition aux grèves est devenue délicate à manier depuis les attentats du 13-Novembre.

À tort et à travers, des politiques et éditorialistes parlent de prise d'otage pour évoquer la grève du corps enseignant qui corrige le bac. | Dominique Faguet / AFP
À tort et à travers, des politiques et éditorialistes parlent de prise d'otage pour évoquer la grève du corps enseignant qui corrige le bac. | Dominique Faguet / AFP

«On ne peut pas prendre nos jeunes et leurs familles en otages.» Avec cette déclaration du 7 juillet concernant la grève du corps enseignant qui corrige le bac, Emmanuel Macron a renoué avec une vieille tradition française: le parallèle entre un mouvement social et une prise d'otages.

Selon l'historien Thomas Snégaroff, qui s'exprimait le lendemain sur France Info, le phénomène serait apparu dans les années 1980.«Prendre en otages des centaines de milliers d'usagers... C'est un type de guérilla syndicale», accusait déjà le ministre des transports, Michel Delebarre, en 1988.

Formule outrancière et efficace...

Si l'on en croit une vidéo du site Là-bas si j'y suis, fondé par Daniel Mermet, les occurrences se multiplient à partir de 2007. On retrouve ce parallèle chez des politiques (Nicolas Sarkozy, Luc Chatel, Manuel Valls, Christian Estrosi...), des éditorialistes (Franz-Olivier Giesbert, Christophe Barbier...) et dans la bouche d'interviewé·es par les médias, toujours dans le cadre de grèves.

Ce lexique est naturellement dénoncé par les syndicats, la gauche –lorsqu'elle n'est pas au pouvoir– et des organisations de critique des médias, comme Acrimed.

Sur un plan purement linguistique, la métaphore peut se comprendre. Dans les deux situations, des personnes –usagers ou otages– sont utilisées contre leur gré par l'une des parties à une négociation, afin de faire pression sur l'autre. Sur le plan politique, la formule dramatise les conséquences négatives de la grève, afin de renforcer l'opposition à celle-ci.

Mais l'usage de cette expression produit aussi une image mentale: un rapprochement entre les grévistes et de véritables preneurs d'otages, prêts à blesser, voire tuer leur prochain afin de voir leurs revendications satisfaites. Or, les syndicats français ne pratiquent ni le kidnapping, ni l'assassinat.

«La parole est une arme politique. On est dans le lexique de la guerre, de la violence, de la privation de liberté, du terrorisme... Ça vient jouer sur les peurs que l'on a tous. Premièrement, ce discours vient toucher à la conscience professionelle des enseignants pour tenter de les culpabiliser. Ensuite, Emmanuel Macron s'adresse également aux parents d'élèves, aux familles des élèves, qui sont beaucoup plus nombreux. Quand on communique, on recherche l'adhésion du plus grand nombre. Il cherche aussi à s'appuyer sur le sentiment de défiance à l'égard des fonctionnaires, des enseignants», analyse Cécile Delozier, directrice et fondatrice de la société de conseil en communication Charisma.

… jusqu'aux attentats du 13-Novembre

Mais depuis quatre ans, le contexte a changé. Les attentats du 13-Novembre, notamment le massacre et la prise d'otages perpétrés au Bataclan, ont provoqué un traumatisme national. De récentes occurrences de l'expression prise d'otages pour évoquer des grèves ont donc provoqué des retours de bâtons importants.

Le 28 février 2018 sur LCI, lors d'un débat sur une grève de la SNCF, le journaliste François de Closets s'est fait reprendre par, Bruno Poncet, un syndicaliste de SUD-Rail.

«Moi, j'ai été pris en otage pendant une heure et demie [au Bataclan, ndlr], je peux vous garantir que ça n'a rien à voir avec le fait d'être serré dans une voiture de voyageurs bondée quand il y a une grève. Vous devriez faire attention aux mots que vous employez. (...) Alors, autour de cette table, on parle du statut de cheminot, je trouve que c'est un peu déplacé», a dénoncé Bruno Poncet.

Lorsqu'Emmanuel Macron a utilisé l'expression à son tour pour évoquer la grève des correcteurs du bac, un professeur d'histoire-géographie gréviste, lui aussi rescapé du Bataclan, a également réagi, d'abord sur Twitter, puis dans une lettre ouverte publiée sur le Club de Mediapart.

«Vous êtes censé être le président de toutes les Françaises et de tous les Français et à ce titre je vous demande donc publiquement des excuses pour les propos que vous avez tenus à l'égard de fonctionnaires que vous avez décrits comme des délinquants ou des terroristes. Vos propos ont pu heurter à la fois les personnels enseignants et les victimes de véritables prises d'otages, qu'elles soient des attentats ou non», a accusé Cédric Maurin.

«Auparavant, l'expression prise d'otages était un cliché, une image morte. Aujourd'hui, du fait des attentats du 13-Novembre, la prise d'otages ce n'est plus une formule, c'est un fait historique, qui est venu blesser et tuer des citoyens français. Donc cette image morte est devenue une image vivante, qui provoque une forte résonance pour les victimes du terrorisme et pour l'ensemble des Françaises et Français. Prise d'otages n'a plus le même sens qu'en 2015, cette expression a retrouvé une puissance et une violence qu'elle n'avait plus parce qu'elle était galvaudée», conclut Cécile Delozier.

Le temps est peut-être venu, pour certain·es politiques et éditorialistes, de renouveler leur vocabulaire.

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