Les lacunes des élèves français en matière de langues étrangères continuent d'être pointées par le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco, 2019). Elles sont souvent mises en parallèle avec la formation du personnel enseignant, jugé inadapté, dans un lien de cause à effet qui serait évident.
Qu'en est-il vraiment? Quelles sont les compétences indispensables et comment les développer efficacement? Il va sans dire que la maîtrise de la langue à un haut niveau constitue un prérequis incontournable. Bizarrement, le niveau visé par le futur personnel enseignant n'est jamais mentionné dans les instructions officielles du ministère de l'Éducation.
Si l'on garde à l'esprit le fait que certains enseignements au lycée (en terminale L, langue vivante approfondie) visent le niveau C1 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL 2001), on serait en droit d'attendre des professeur·es un niveau au moins immédiatement supérieur, c'est-à-dire C2 (le plus haut sur l'échelle de compétences).
Ce niveau est-il un objectif réaliste à atteindre alors que les licences se spécialisent de plus en plus tardivement? Les langues ont un statut très particulier: ces disciplines sont les seules qui ont à la fois la fonction d'objet enseigné (langue-objet) et qui servent de support pour y parvenir (langue-outil).
Dynamique de classe
La mise à jour des connaissances du personnel qui enseigne les langues représente un réel défi dans la mesure où il ne transmet pas seulement des faits (linguistiques, culturels, etc.) qui pourraient s'apprendre dans des livres mais où il est amené à communiquer dans la langue pour apprendre à ses élèves à communiquer –ce qui nécessite de maintenir une pratique régulière.
L'un des objectifs du principal concours de recrutement pour le second degré (le CAPES) consiste à vérifier le niveau de maîtrise de la langue: de ce point de vue, l'équilibre actuel entre épreuves disciplinaires et professionnelles semble tout à fait pertinent. Il risque cependant d'être mis à mal par les évolutions annoncées de ce diplôme qui se veut plus professionnalisant.
Pour enseigner les langues la seule correction linguistique ne suffit pas.
Des études (Borg, 2006) ont pu identifier certaines caractéristiques spécifiques à l'enseignement des langues qui correspondent à autant de compétences à développer chez les personnes qui se prépare à les inculquer:
- la variété des schémas d'interaction au sein d'une séance (communication entre élèves et personnel enseignant, travaux en binômes, de groupes, etc.), est indispensable au développement de la compétence à interagir des élèves, elle implique la capacité à organiser des travaux en groupe et à engager les profs en formation dans des activités qui leur permettent d'interagir et de co-agir avec leurs camarades (et pas seulement avec la personne qui transmet);
- la place particulière de l'erreur, dans la mesure où, pour enseigner les langues, valoriser la seule correction linguistique des productions des élèves (c'est-à-dire l'absence d'erreurs de grammaire, par exemple) ne suffit pas; il faut aussi des compétences pragmatiques et sociolinguistiques. Cela implique de pouvoir analyser le travail des élèves de manière globale pour proposer des actions de consolidation ou de remédiation appropriées qui ne touchent pas uniquement à la grammaire et à son lexique. En d'autres termes, il s'agit de traiter les erreurs de manière plus positive.
Recul de la recherche
Les futurs membres du personnel enseignant disposent d'un bagage de départ –composé de connaissances et d'expériences préalables. La redéfinition de ces données prééxistantes et leur transformation en compétences didactiques et professionnelles constituent l'essence même de la formation.
Il est donc primordial d'engager les futur·es professeur·es dans un processus de prise de conscience et, idéalement, d'évolution de leurs représentations initiales car celles-ci sont bien souvent issues de leurs propres expériences en tant qu'apprenant des langues et/ou du discours ambiant sur leur apprentissage.
L'activité réflexive fondée sur l'observation ou sur la pratique mérite aussi d'occuper une place centrale dès lors qu'on accepte qu'enseigner ne se limite pas à la simple application de routines pédagogiques (ou «recettes»). La personne qui enseignera dans le futur se doit d'être autonome pour s'adapter à diverses situations. Ce qui implique de prendre du recul par rapport à sa manière de travailler et vis-à-vis de celle de ses collègues et autres pratiques modélisantes qui ne sont pas toujours fondées sur les résultats de la recherche.
La recherche-action est particulièrement adaptée au développement des compétences du personnel enseignant.
La réflexivité qu'elle engendre fait de la recherche une voie de formation essentielle même si elle ne signifie pas la simple transmission des savoirs scientifiques aux élèves enseignant·es. On parle de formation à la recherche, de nature épistémologique et méthodologique et de formation par la recherche, qui correspond à la conduite par les enseignant·es en formation d'une activité de recherche en lien avec le terrain.
Dans cette perspective, la recherche-action, où l'on s'efforce de résoudre un problème de terrain par des va-et-vient réguliers entre théorie et pratique, ainsi que par le recueil et l'analyse des données qui ont été récoltées, est particulièrement adaptée au développement des compétences professionnelles du personnel enseignant. Familiariser les futur·es professeur·es à ce type d'activités permet d'aiguiser leurs capacités en lecture et en didactique des langues dans une perspective de formation tout au long de la vie.
Internationalisation
Si les expériences d'enseignement transnational restent encore rares dans les parcours de formation des enseignant·es de langues en raison de leur difficile intégration au cursus du master MEEF (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation), leurs bénéfices ont été notés assez systématiquement par les professionnel·les de la recherche. Tout d'abord, les stages en établissements scolaires à l'étranger permettent aux personnes en formation de développer leurs compétences langagières et interculturelles.
Parce qu'ils leur permettent d'être en contact avec des politiques éducatives différentes et de découvrir d'autres pratiques pédagogiques, ils favorisent aussi une meilleure appréciation et prise en compte de la diversité culturelle en classe, donc une plus grande empathie pour les élèves issu·es de l'immigration ainsi qu'une plus grande capacité d'adaptabilité à des situations non anticipées.
Faire peser l'échec de l'apprentissage sur les épaules des personnes chargées de l'enseigner est un peu facile.
Ces stages permettent de faire d'une pierre deux coups, ouvrant sur des compétences à la fois disciplinaires (dans la langue à enseigner) et professionnelles (sur la manière de l'enseigner).
Il semble un peu facile de faire porter le poids de l'échec (tout à fait relatif) de l'apprentissage des langues en France sur les seules épaules des personnes chargées de l'enseigner sans jamais se poser la question des volumes horaires consacrés aux langues, de la taille des groupes, des équipements disponibles ou encore de l'exposition aux langues en dehors de la classe.
La nouvelle réforme du lycée prévoit en effet deux heures de langue par semaine en moyenne (pour les personnes qui ne choisiraient pas l'enseignement de spécialité) et promet des groupes à trente-cinq élèves (tel que le stipule le compte-rendu de l'entretien de l'Association de professeurs de langue vivante (APLV) avec la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO).
Dans ces conditions, réformer l'organisation des enseignements ne serait-il pas plus efficace que changer une nouvelle fois la formation des personnes qui les prodiguent?
Quoi qu'il en soit transmettre l'apprentissage des langues suppose:
- un·e enseignant·e à qui l'on aura donné les moyens de maîtriser sa discipline lors de son cursus universitaire (temps d'apprentissage et de spécialisation, internationalisation de la formation);
- un·e enseignant·e qui réfléchit, est capable de prendre du recul sur sa propre pratique, sur les ressources et autres manuels scolaires à sa disposition, mais aussi sur les instructions et documents officiels;
- une personne aguerrie à la lecture des travaux de recherche en didactique des langues désireuse de poursuivre sa formation au-delà de son année de stage;
- un personnel de l'Éducation nationale à qui l'on donnera les moyens de faire réussir l'ensemble de ses élèves (volumes horaires, taille des groupes), ne serait-ce que par la «confiance» qui lui sera accordée pour prendre les bonnes décisions au sein de sa classe.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
