Boire & manger

La renaissance gastronomique de Marseille

Temps de lecture : 9 min

Sous l'impulsion du chef Passédat, la ville s'est parée de nombres de restaurants qui satisferont les becs les plus fins.

Le Vieux-Port à Marseille. | Ville de Marseille
Le Vieux-Port à Marseille. | Ville de Marseille

C'est grâce à Gérald Passédat, chef trois étoiles au Petit Nice affilié à la chaîne des Relais & Châteaux face à la mer, que la cité phocéenne a vu fleurir une génération de bons cuisiniers épris de recettes provençales, de plats marins et de vraies réjouissances de bouche –une embellie inespérée.

Ce vendredi soir, mille gourmets de Marseille assis à des tables dressées devant le Vieux-Port ont fait la cuisine sous l'œil du chef étoilé Lionel Lévy, assisté d'une brigade de professionnels des fourneaux: le plat à réaliser était une sardine marinée en tartine.

Lionel Lévy au lancement de l'Année de la Gastronomie en Provence | Regis Cintas-Flores

Ce fut une fête populaire de la gourmandise, des papilles, des goûts locaux, couronnant dans la liesse le lancement de l'Année de la Gastronomie en Provence, le tout supervisé par Gérald Passédat, premier chef de Marseille de renommée internationale et gloire locale incontestée pour la bouillabaisse et autres créations poissonnières.

Le plus grand cours de cuisine étoilé pour l'Année de la gastronomie en Provence | Regis Cintas-Flores

Dieu quelle révolution du palais! La deuxième ville de France, capitale des Bouches-du-Rhône, sort enfin d'un désert gastronomique peu compréhensible, scandaleusement entretenu par des restaurateurs locaux plus soucieux de leur tiroir-caisse que de la qualité des plats dont la plupart étaient garnis de viandes, de volailles, de paellas plutôt que de poissons frais de la Méditerranée –une honte absolue!

La bouillabaisse galvaudée

Songez que les loups de ligne à la chair divine partaient en camion vers Rungis, dispersés dans des tables parisiennes et européennes. Certains poissons aux écailles fanées revenaient à Marseille pour être vendus à quelques restaurateurs du port ou des calanques attachés aux cadeaux de la mer nourricière. On croit rêver...

«La soupe de poissons, la bouillabaisse des pêcheurs locaux étaient à ce point galvaudées, dénaturées qu'une poignée de restaurateurs responsables dont le propriétaire du Miramar sur le Vieux-Port s'étaient fendus d'une charte de la bouillabaisse stipulant que les poissons entrant dans la composition de la soupe étaient la rascasse, le grondin, la vive, le Saint-Pierre, la baudroie, le congre et le loup. Et rien d'autre, pas de langouste. La soupe des pêcheurs est un plat de pauvre selon Marcel Pagnol qui s'est anobli avec le temps et la mode. Cette charte bienvenue avait pour but de lutter contre les déviations poissonnières. Songez qu'on y jetait des poissons surgelés, et on payait quinze euros une soupe indigne de la Grèce Antique et des Daudet. On était tombé bien bas», indique Gérald Passédat qui va relever le défi avec obstination et savoir-faire.

Restaurant Le Petit Nice | Richard Haughton

Issu de trois générations de restaurateurs depuis 1917 au Petit Nice, une très belle villa grecque perchée sur les hauteurs de la corniche d'Endoume, le fils Passédat (le père a eu deux étoiles) est un enfant de la Méditerranée où il s'est baigné, a plongé, a pêché dès l'adolescence. La mer fut son horizon liquide, son milieu de vie, son rêve quotidien.

Comme son père Jean-Paul, très fin cuisinier classique, la poularde de Bresse, l'agneau de Sisteron, le lièvre à la royale n'ont pas de secret pour lui, il régalait les fins becs de Phocée comme Alain Chapel à Mionnay, les Troisgros à Roanne ou Michel Guérard à Eugénie-les-Bains – la haute cuisine du Michelin à l'époque implantée à Marseille.

«Les poissons, coquillages et crustacés en 1980 ne sont pas encore dans le répertoire quotidien des chefs et restaurateurs de Marseille. Moi, je suis passé par le Bristol à Paris et j'ai admiré les chefs étoilés de Lyon, de Roanne et de Paris. Taillevent et Lucas Carton étaient des exemples motivants pour un jeune chef de la nouvelle cuisine développée par Gault et Millau», se souvient Gérald Passédat, contemplant les nageurs foulant les flots bleutés devant le Petit Nice.

Potager marin

En fait, le petit-fils de Lucie Passédat sera happé, saisi par la magie des eaux poissonneuses. La mer a été son terrain de jeux aquatiques et son potager marin, tout comme les paysans des collines font naître des légumes primeurs, des fleurs de courgettes, de l'ail sauvage et des olives qui parfument une huile divine pour la santé.

«Je percevais vaguement que la cuisine de la mer si proche serait partie prenante dans ma destinée de cuisinier. Je voyais des pêcheurs d'un courage extrême rapporter de la nuit froide des rougets de roche brillants, des langoustes, des maigres épais, des poissons en caravane, des rascasses goûteuses, une moisson d'une folle générosité, des merveilles au goût d'iode à peine salées qui devaient être préparées au mieux pour le bonheur des mangeurs. Je me disais que la Méditerranée était avec nous, gens de la cuisine, et pas contre nous. Étais-je le premier à penser ainsi ? Non, à Mougins près de Cannes, Roger Vergé composait des loups à peine cuits et des homards au Sauternes inoubliables», souligne Gérald Passédat en savourant un blanc provençal rafraîchissant.

Le talent du quinqua Passédat a été façonné, illuminé par les cadeaux de la Méditerranée. Ainsi, il ne va inscrire sur la carte du Petit Nice que des poissons, coquillages et crustacés, rien d'autre, pas de viandes rouges ni blanches. En 27 ans de labeur –un bail– au service de la Méditerranée, sa seconde mère, il va décrocher la troisième étoile en 2008 après des années de mouise, d'abattement, de doutes car à Marseille, il n'y a pas de gourmets attirés, passionnés par les trésors frétillants de la Grande Bleue.

« Nous avons été les parents pauvres de la restauration française. Je me battais contre des moulins, je prêchais dans le désert au milieu d'autochtones qui mangeaient des pizzas surgelées et des steaks au poivre pour carnivores urbains: la cuisine, c'est une culture. Par chance, avec de l'acharnement et de la persévérance, le Michelin, au bout d'un quart de siècle, m'a découvert, aidé et étoilé avec trois macarons, une délivrance», confie-t-il sans acrimonie.

Ce combat pour la santé par la mer a été celui d'un cuisinier solitaire sur son promontoire rocheux d'où il plongeait pour observer les crabes, les girelles, les poulpes, les sarrans. Cette immersion quasi quotidienne a été sa respiration, son hygiène de vie, son apprentissage vivant. La mer demeure son alliée, c'est pourquoi il n'en dit jamais de mal. Face aux pollutions multiples, bouteilles en plastique et carcasses de voitures, il vante la splendeur de la Grande Bleue, la profusion de toutes sortes de cadeaux marins: c'est un homme de cœur et de fidélité.

Au Petit Nice, le vitrail Saint-Victor | Richard Haughton

Marseillais de souche, Gérald Passédat respecte et travaille à l'heure actuelle 70 espèces de poissons dont la rarissime anémone de mer (inconnue de la plupart des cuisiniers français) qu'il présente en deux services, panurée, royale et en beignet (120 euros) qu'il doit à la pêche de Dominique car le chef patron du Petit Nice mentionne sur sa superbe carte d'une quinzaine de plats le nom des pêcheurs à qui il doit de s'exprimer comme chef cuisinier, esthète de l'assiette. Ces arpenteurs de la Grande Bleue, à leurs risques et périls, lui fournissent chaque jour les fruits de leurs filets. Sans eux, pas de cuisine de la mer.

Au Petit Nice, sarran, pélamide et maquereau | Richard Haughton

Ainsi le divin loup Lucie Passédat en hommage à sa grand-mère, plat emblématique de Gérald, est pêché par Alain (120 euros), la langouste de Méditerranée, suc de branche de fenouil, pollen et fruits (170 euros) par Véronique, le rouget de roche en trois services (115 euros) par Christine, le reflet de pêche et voile de seiche (115 euros) par Kim.

Cette symphonie marine reste une expérience culinaire hors normes, unique dans la haute restauration française et européenne. Le Petit Nice fait honneur à Marseille: le maire devrait décorer ce chef courageux qui a sorti Marseille de la médiocrité.

La Bouille Abaisse, chef-d'œuvre de Gérald Passédat

Le maître cuisinier marseillais offre une succession de poissons et coquillages répartis en trois paliers selon la profondeur de la moisson marine.

Au Petit Nice, un palier de la Bouille Abaisse | Richard Haughton

Premier palier: carpaccio de coquillages en fines lamelles, girelles en beignets et en sucs, d'une sublime beauté.

Deuxième palier: rouget, dorade, mulet, rascasse, poulpe et homard en portions régulières, la peau restituée, bouillon safrané.

Troisième palier: cante, saupe (petit poisson), congre à peine cuits. Issus des profondeurs, ces trois poissons sont mouillés dans une admirable soupe de roche aux favouilles.

Un grand moment dans une vie de gourmet.

Une remontée en douceur grâce aux desserts: le pur cacao cerise, lait d'or, céréales (39 euros) ou le nougat évanescent au lait d'amande, pistache et miel (37 euros). Mignardises.

Cette Bouille Abaisse d'anthologie créée grâce à la pêche de Jean-Claude et Philippe dits «Stache» est facturée 250 euros et 355 euros avec l'accord mets et vins par le chef sommelier Stephan Mesnier. Au déjeuner, sur réservation, et au dîner à la carte.

Plus généreuse, la plongée abyssale en sept paliers et en trois douceurs (desserts) est à 390 euros: c'est la Découverte de la Mer façon Gérald Passédat, le chef patron et son adjoint connaisseur Sébastien Tantot.

Au Petit Nice, Gérald Passédat et Sébastien Tantot | Passédat

La plupart des chefs étoilés en France ne présentent sur leur carte qu'une dizaine de poissons et crustacés en provenance de pêcheurs connus ou de commandes passées aux mandataires de Rungis. D'où proviennent les langoustines? Et le cabillaud? Des soles toute l'année, grave erreur.

Chez Passédat, les pêcheurs apportent leurs prises au Petit Nice en priorité et ils sont bien rétribués. Pas de préparations fines, complexes, savoureuses sans produits de haute saveur. C'est ce chef patron d'une splendide rigueur (pas de loup ce jour, on sert du maigre) qui a montré la voie royale à la génération des chefs marseillais de valeur. Sans lui, où en serions-nous?

Terrasse du restaurant Le Petit Nice | Richard Haughton

Anse de Maldormé. Corniche JF Kennedy 13007 Marseille. Tél. 04 91 59 25 92. Menu des 100 ans au déjeuner à 120 euros, Évolution à 220 euros, Passédat à 270 euros (au déjeuner et au dîner). Carte de 250 à 300 euros. Fermé dimanche et lundi. Chambres avec vue sur la mer à partir de 250 euros. Petit déjeuner à 37 euros. Piscine d'eau de mer. Parking.

Brasserie Lutetia à Paris. Conçue par Gérald Passédat, la carte de poissons du jour, aïoli au déjeuner et bouillabaisse le soir. Menus à 35, 37 ou 40 euros, 95 euros au dîner. Pas de fermeture.

Les cinq chefs étoilés du Michelin 2019 et La Table du Mucem

AM par Alexandre Mazzia

C'est la révélation de l'année. Un virtuose des petites portions végétales, poissonnières, fruitières, jamais vues dans la ville du sud. Une maestria stupéfiante, Meilleur Chef de l'Année pour Gault et Millau. Prix décents.

Au restaurant AM par Alexandre Mazzia, langoustines et pop corn d'algues | Gourmets&Co

9 rue François Rocca 13008 Marseille. Tél. 04 91 24 83 63. Menus au déjeuner à 69, 92, 115 et 140 euros. Au dîner, 140, 170, 210 et 240 euros. Fermé dimanche et lundi.

Alcyone

Au restaurant de l'InterContinental, le superbe palace avec vue bénéficie du talent de Lionel Lévy auteur d'une bouillabaisse en consommé épicé et de poissons méditerranéens aux légumes de saison. Déjeuner agréable en terrasse face au Vieux-Port et à la sublime cathédrale en bon état.

Ancien Hôtel Dieu. 1 place Daviel 13002 Marseille. Tél: 04 13 42 43 43. Menus à l'Alcyone, bouillabaisse à 99 euros (du mardi au jeudi), Dégustation en 5 services à 139 euros le soir. Fermé dimanche et lundi. Chambres à partir de 220 euros, Spa, piscine à 28 degrés, parking et voiturier.

L'Épuisette

Dans le Vallon des Auffes, au-dessus des eaux, une table étoilée de qualité vantée par le guide rouge pour les poissons de roche et le tajine de homard bleu aux épices et légumes fondants (60 euros) dirigée par le chef Guillaume Sourrieu depuis 15 ans.

Au restaurant L'Épuisette, pavé de loup cuit au vin de noix, muesli et jus de cresson |Épuisette

Vallon des Auffes 13007 Marseille. Tél. 04 91 52 17 82. Menu en 4 services au déjeuner à 75 euros, Fanny en 7 services à 98 euros, César en 9 services à 135 euros. Fermé dimanche et lundi.

Une Table, Au Sud

Ancien participant de l'émission Top Chef, Ludovic Turac offre dans ce restaurant bien placé sur le Vieux-Port sa version de la bouillabaisse et de l'aïoli revisité avec doigté (étoilé). Pour les amateurs et gourmets.

Au restaurant Une Table, Au Sud, bouillabaisse autour du rouget | unetableausud

2 quai du Port 13002 Marseille. Tél. 04 91 90 63 53. Menus au déjeuner à 39 ou 56 euros (du mardi au vendredi), 58, 72, 105 et 135 euros. Carte de 60 à 90 euros. Fermé dimanche soir et lundi. Affilié à Châteaux & Hôtels Collection.

Saisons

Une ode à la mémoire marseillaise par un jeune chef, Julien Diaz étoilé, axé sur les produits locaux, poissons et légumes, escortés de vins adéquats. Peu de couverts, des trouvailles et des prix très raisonnables.

8 rue Sainte-Victoire 13006 Marseille. Tél. : 09 51 89 18 38. Menus au déjeuner à 24 ou 29 euros. Au dîner, menus à 55 ou 85 euros. Carte de 50 à 80 euros. Fermé samedi et dimanche.

Le Môle Passédat

Au second étage du Mucem, admirable musée, le bistrot lumineux de Gérald Passédat, enfin aidé par la municipalité. Pêche de saison, poissons à l'antiboise et calissons glacés. Rosés de Bandol. Accueil chaleureux.

À La Table du Môle Passédat-Mucem, assiette de légumes, purée et anchois | Richard Haughton

1 Esplanade J4 13002 Marseille. Tél. 04 91 19 17 80. Menus au déjeuner en 3 services à 55 euros, 75 euros au dîner. Carte de 80 à 100 euros. Fermé mardi.

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