On pensait leur avoir dit adieu à l'issue d'un troisième volet plombant, où même les ours parfumés à la fraise étaient pourris de l'intérieur. Mais Woody, Buzz et les autres n'avaient pas dit leur dernier mot.
C'est en tout cas ce qu'a décidé Pixar, qui a cependant annoncé qu'après Toy Story 4, il serait temps d'arrêter «pour quelques années» de produire des suites de ses films à succès. Place aux œuvres originales, comme En avant, prévu pour mars 2020, et Soul, qui devrait sortir dans pile un an, en juin 2020.
En attendant, il serait idiot de bouder son plaisir devant un film tout à fait à la hauteur des précédents, contrairement à d'autres quatrièmes volets de triste mémoire –Indiana Jones et John McClane vous en parleront mieux que moi.
La gestation de ce Toy Story 4 fut pourtant compliquée, à l'image de la démission inopinée du tandem de scénaristes Rashida Jones - Will McCormack (Celeste and Jesse forever) pour cause de divergences artistiques et de gestion patriarcale.
À LIRE AUSSI Rashida Jones explique pourquoi elle quitte Pixar
Pareils mais en mieux
Toy Story 3 semblait avoir bouclé la boucle, marquant la fin d'une ère pour les jouets chers à nos cœurs. Andy, l'enfant qu'il leur a fallu divertir pendant de nombreuses années, était désormais trop grand pour continuer à se soucier d'eux.
C'est dans la transmission que ce numéro 4 se réinvente: Woody, Buzz et les autres débarquent finalement dans une nouvelle famille, celle de la petite Bonnie, qui s'apprête à effectuer sa première rentrée en maternelle. Mise en place dans le film précédent, la fillette a cette fois totalement pris la place d'Andy.
La première surprise de ce Toy Story 4 tient à sa façon de réinventer les personnages du cosmonaute et du cowboy tout en évitant de les trahir.
Buzz l'éclair est quasiment relégué au rang de personnage secondaire, mettant ses compétences au service du groupe sans tirer la couveture à lui. Quant à Woody, s'il reste un personnage de premier plan, son ego surdimensionné et son goût pour les comportements médiocres semblent s'être dissipés avec l'âge et l'expérience.
Ce qui rend le film si émouvant, c'est cette façon jamais angélique de mettre le collectif au centre de tout. Le but est toujours d'aider les autres, principalement les plus faibles, avant de penser à soi-même.
Cette solidarité opère par l'intermédiaire du personnage de Fourchette (Forky, en VO). Fabriqué par Bonnie lors de sa journée d'intégration à l'école, Fourchette est un simple couvert en plastique agrémenté d'yeux asymétriques et de demi-bâtons d'esquimau en guise de pieds –un objet tellement fait de bric et de broc qu'il se considère moins comme un jouet que comme un déchet. Sauf que Bonnie adore cet étrange bonhomme qu'elle a créé de ses mains à partir d'éléments trouvés dans une poubelle.
«Ils disent “C'est beau” d'une bouteille en plastique / C'est vrai que c'est beau, les bouteilles en plastique», chantait le poète Philippe Katerine à propos des enfants de moins de trois ans –et c'est si vrai.
D'ordinaire, Woody aurait tout fait pour bouter Fourchette hors de la chambre de Bonnie afin de conserver ses chances de rester l'un de ses jouets favoris. Mais cette période semble révolue. Il se sent investi d'une forme de responsabilité: rendre Bonnie heureuse à tout prix, y compris en se mettant en retrait au profit d'un bidule en plastique.
C'est lorsque Fourchette, qui ne se sent pas capable d'être le nouveau compagnon préféré de la petite fille, saute du camping-car familial que démarrent les péripéties de toute la bande.
La parentalité est au cœur de ce Toy Story 4. Au sein d'une franchise où les adultes sont souvent resté·es hors champ, Woody endosse le costume de père de substitution. Se soucier du bien-être de Bonnie, permettre à Fourchette de trouver sa place dans l'existence, s'imposer en rassembleur plutôt qu'en irascible arriviste: les missions du shérif sont aussi nombreuses qu'épuisantes et elles lui feront prendre conscience qu'être irremplaçable aux yeux des personnes dont on a la responsabilité constitue parfois une charge trop lourde à porter.
Ne l'appelez plus «la Bergère»
Outre Woody et Fourchette, le troisième personnage-clé de ce Toy Story 4 se nomme Bo –celle que l'on a souvent décrite comme «la Bergère», parce que son nom était visiblement trop compliqué à retenir.
Elle qui n'était pas le personnage le plus passionnant de la franchise en devient ici un fer de lance, les années qui se sont écoulées entre le troisième film et celui-ci lui ayant permis d'explorer le monde en solo, de devenir plus aguerrie que jamais et de se débarrasser à jamais de ses atours gnangnan.
À LIRE AUSSI Plaidoyer pour les voyages en solo
Lorsque Bo se fait arracher le bras et le refixe avec de l'adhésif en rigolant, la référence devient évidente: l'ex-bergère est en fait directement inspirée de cette nouvelle génération d'héroïnes badass menée par la fameuse Imperator Furiosa, magistralement interprétée par Charlize Theron dans Mad Max: Fury Road.
À l'instar d'Inkoo Kang sur Slate.com, les critiques soulignent que Bo est sans doute le premier personnage féminin de la saga Toy Story à ne pas être un simple alter ego d'un personnage masculin déjà existant.
Jessie la cowgirl n'était qu'un double de Woody, Madame Patate est surtout là pour préparer les affaires de son mari... Bo, elle, existe par et pour elle-même, rêvant principalement de grands voyages et de découvertes en compagnie de Be, Bop et Lula, ses brebis siamoises.
Que Woody, en cours de film, finisse par être tenté de se joindre à elle n'entrave en rien la destinée de celle qui se déplace en sconce à moteur. Bo n'est pas un love interest, c'est un modèle, une inspiration, au-delà même des questions de genre.
Contrairement à Bo, certains personnages du film ne rêvent que d'une chose: trouver leur enfant, c'est-à-dire le petit être mignon et grognon qu'ils pourront chérir pendant des années.
C'est notamment le cas de Duke Caboom, cascadeur et motard canadien qui rêve de trouver sa place après avoir été rejeté par son premier propriétaire. Proprement hilarant (ses scènes rappellent le ton de l'univers Lego mis en place par Chris Miller et Phil Lord), Caboom est une leçon d'écriture à lui tout seul: il prouve que l'on peut exprimer des choses très profondes tout en le faisant de façon extrêmement drôle, et sans rire au détriment de quelqu'un.
La leçon de Toy Story 4 est simple, mais elle est énoncée de façon aussi imaginative que possible: vous voulez fonder une famille? Pas de problème. Vous ne voulez pas fonder de famille? Pas de problème. Vous aimeriez bien fonder une famille mais c'est compliqué? Ne culpabilisez pas.
Rashida Jones, Will McCormack et les scénaristes qui leur ont emboîté le pas ont décidément tout compris à leur époque.