Le bac 2019 restera dans les annales. Il y eut la grève des surveillant·es, que le ministre Jean-Michel Blanquer a tenté de minimiser en présentant des statistiques biaisées. Mais il y eut aussi cette successions de couacs dans les énoncés, en premier lieu de mathématiques. Mardi 18 juin, c'est l'exercice 4 du sujet de la filière STMG qui posait problème, avec un tableau de valeurs et leur représentation graphique qui ne correspondaient pas. Vendredi 21 juin, un exercice du sujet de terminale S évoquait «quatre questions [...] indépendantes», alors qu'il y en avait cinq.
Le même jour, l'exercice de spécialité proposé aux candidat·es de la section ES parlait de «matrice d'adjacence», là où il aurait fallu écrire «matrice de transition», et la partie obligatoire du même sujet (sur laquelle planchent également les élèves de filière littéraire ayant choisi la spécialité maths) indiquait d'utiliser l'annexe n°1 pour répondre à une question, alors qu'il aurait dû s'agir de l'annexe n°2.
Des erreurs mineures, ponctuelles et ne remettant pas en cause la faisabilité des exercices concernés. C'est d'ailleurs sur l'absence de conséquences importantes que communique le ministère de l'Éducation nationale, qui a précisé à Franceinfo que «les candidats ne [seraient] pas désavantagés à la correction», et qu'il s'agissait «de reformulation et de coquilles, de modifications mineures qui ont été apportées rapidement» par les personnes chargées de surveiller les épreuves.
Dans le même article, le journaliste Alexis Morel recueillait cependant le témoignage d'une enseignante ayant surveillé l'épreuve de mathématiques proposée aux filières ES, qui affirmait que dans sa salle, les modifications ont été apportées après seulement 2 heures 15 minutes d'épreuve (sur un total de trois heures).
On peut déjà s'étonner qu'autant d'erreurs, aussi dérisoires puissent-elles paraître, aient pu passer à travers les mailles du filet. La conception des sujets est présentée comme méthodique, organisée et aussi méticuleuse que possible, afin que les énoncés soient absolument parfaits lorsqu'ils sont soumis aux élèves le jour J –c'est-à-dire, entre autres, un respect total des exigences du programme, une difficulté adaptée et une absence totale de coquilles ou d'imprécisions.
Problème minimisé
Ce qui gêne aux entournures, c'est cette façon qu'ont les porte-parole du ministère de dédaigner l'impact de ces erreurs en promettant simplement que le barême serait modifié de façon à ne pénaliser personne. Il suffit d'avoir déjà passé un examen ou un concours pour le comprendre.
Tout au long de l'année de terminale, et même avant, je travaille avec mes élèves sur la façon d'aborder un sujet de bac, sur les méthodes pour ne pas se laisser impressionner, sur la manière de gérer ses copies et son temps.
Parmi les faits que j'énonce avec beaucoup d'aplomb tout en sachant que ce n'est pas vrai dans 100% des cas, j'explique que les sujets de bac sont clairs, adaptés au niveau exigé et absolument débarrassés de la moindre erreur.
Lorsqu'on travaille dans un lycée qui est tout le contraire d'une boîte à bac, il est indispensable d'essayer de donner confiance aux élèves, qui ont souvent le moral et l'égo dans les chaussettes.
J'insiste beaucoup sur la perfection théorique des sujets proposés, parce que mes énoncés à moi ne sont pas toujours idéaux (que les profs parfaits me jettent la première pierre, pour voir), et aussi parce que certain·es élèves se sont fait une spécialité de remettre en question chaque question de chaque interrogation écrite au lieu de réfléchir à leur réponse.
Cette année encore, j'ai entendu à plusieurs reprises des lycéen·nes me dire: «M'sieur, y a pas une erreur dans votre énoncé?» Après quelques sueurs froides et une vérification aussi rapide que possible, j'ai généralement eu le soulagement de pouvoir répondre que non, mon sujet n'a rien à se reprocher, mais qu'en revanche, l'élève a loupé une donnée / mal lu l'énoncé / mal préparé son devoir surveillé.
Dans ces cas-là, je rappelle toujours que personne n'est parfait, que j'aurais pu commettre une erreur et que c'est bien d'exercer un regard critique, mais que les élèves en question ont tout intérêt à questionner également leurs propres aptitudes.
C'est là que je brandis l'exemple du sacro-saint sujet de bac, en expliquant que le jour de l'examen, il n'y aura aucune erreur dans le sujet, c'est quasiment certain, et qu'il ne faudra donc pas perdre de temps à essayer de mettre en défaut les personnes chargées de sa conception.
Confiance brisée
L'air de rien, c'est aussi une façon pour moi d'inciter les jeunes gens que j'encadre à essayer de se fier un minimum aux institutions –sans évidemment tomber dans le «si c'est l'État qui le dit, c'est que c'est vrai». Leur dire qu'on peut penser ce qu'on veut de la façon dont la France traite certain·es d'entre nous, mais qu'au moins, elle propose des sujets d'examens qu'on peut aborder sans crainte.
Mais revenons au concret: lorsqu'un·e candidate se trouve face à sa copie de bac et bute sur une question, parce qu'on lui a indiqué la mauvaise annexe ou parce que le type de matrice demandée n'est pas clair, que se passe-t-il dans sa tête?
Dans un tout petit nombre de cas, l'élève osera faire appel à la personne qui surveille son épreuve pour lui signaler une erreur possible dans une question, laquelle sera vite passée au crible par tout adulte compétent·e présent·e sur les lieux, avant que le souci ne soit éventuellement communiqué plus haut s'il est avéré. Ensuite, ce sont tous les centres d'examens qu'il faut contacter au plus vite en communiquant un rectificatif officiel.
Plus probablement, l'élève va se dire que son incompréhension n'est pas due à l'énoncé, mais à son propre niveau et passera à la question suivante, voire à l'exercice suivant. Car si les sujets de baccalauréat sont conçus de façon à ce qu'une partie des questions puissent être traitées sans avoir réussi ce qui précède, certaines questions s'enchaînent de façon logique, et une erreur ou absence de réponse peut empêcher de poursuivre l'exercice proposé.
Ça prend du temps, d'éplucher une question. C'est même ce que les profs demandent aux élèves, qui ont trop souvent tendance à survoler les sujets de mathématiques en ayant l'impression que de toute façon, c'est peine perdue.
Ce n'est pas un barême modifié qui rendra aux candidat·es les précieuses minutes passées face à une question mal posée. Ces quelques minutes représentent non seulement du temps perdu, mais aussi du temps passé à tergiverser, à perdre pied, à se dire qu'on n'y arrivera pas, à voir défiler sa vie devant ses yeux.
Vous trouvez que j'exagère? Essayer donc de (re)passer une épreuve de trois ou quatre heures, cela vous rappellera à quel point le temps s'y dilate étrangement.
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Des All Blacks et des Jacques Brunel
Pour enfoncer le clou, ces erreurs apparemment anodines me semblent avoir moins de conséquences sur les résultats des élèves venant de certains lycées que d'autres. La préparation au bac dépend énormément du type d'établissement dans lequel vous évoluez.
Des lycées abordent le bac comme s'il s'agissait de préparer les All Blacks à la prochaine Coupe du monde de rugby: ils tentent de transformer leurs élèves en machines de guerre pleines d'automatismes et de confiance en elles. Une erreur d'énoncé? Pas de problème. Se remobiliser, ça fait partie du job.
Dans un lycée comme le mien, je me sens plutôt comme Jacques Brunel, le sélectionneur des rugbymen français (bientôt remplacé par Fabien Galthié en raison des résultats désastreux de l'équipe de France menée par le tandem Brunel-Laporte): mon effectif est plein de talent, mais ses membres n'y croient pas assez et les déboires sont nombreux.
À chaque contre-performance, il faut des semaines voire des mois pour les remotiver, les remettre dans une spirale positive. Une simple erreur d'énoncé, c'est un tout petit grain de sable et personne ne devrait baisser les bras pour ça; il n'empêche que pour des tas d'élèves en équilibre instable, il peut réellement contribuer à les faire basculer du côté de l'échec.
Il n'est évidemment question ni de demander à ce que les épreuves soient annulées, ni que tous les points de l'exercice soient donnés aux élèves. Le mal est fait, et rien ne permet de le quantifier ou de le réparer.
La seule chose qu'il semble plus que décent d'exiger, c'est qu'à l'avenir, les sujets soient passés au peigne fin par différents comités et relus jusqu'à la dernière minute par des spécialistes de maths et d'autres, de façon à ce qu'aucune coquille ou imperfection ne puisse semer le doute et la confusion chez des élèves ayant un rapport déjà suffisamment conflictuel avec les mathématiques et leur scolarité en général.