Égalités / Parents & enfants

Le service national universel ne favorisera pas la mixité

Temps de lecture : 5 min

Modelé sur les colonies de vacances, le SNU ne parviendra pas à créer le lien social que le gouvernement appelle de ses vœux.

Parce qu'il produit de la norme, le modèle des colos échoue à intégrer les singularités qui s'en écartent. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse avec des jeunes vêtu·es de l'uniforme officiel du service civique au ministère le 18 avril 2019. | François Guillot / AFP
Parce qu'il produit de la norme, le modèle des colos échoue à intégrer les singularités qui s'en écartent. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse avec des jeunes vêtu·es de l'uniforme officiel du service civique au ministère le 18 avril 2019. | François Guillot / AFP

Annoncé en juin 2018, le Service national universel (SNU) se construit à grands pas. Le secrétaire d'État en charge du dossier, Gabriel Attal, multiplie les annonces et les réunions en région. Si le dispositif se construit avec des volontaires en 2019, l'idée est de le généraliser à toute une classe d'âge et de le rendre obligatoire.

Pour répondre aux finalités définies –construire «un moment de cohésion, de mixité, de cohésion sociale et territoriale, autour des valeurs de la République»– le gouvernement a fait le choix d'utiliser deux outils: le déplacement et l'internat pendant quinze jours.

Les jeunes y suivront-ils des activités d'intérêt général, de développement personnel, s'y formeront-ils à un sport de combat ou à des pratiques militaires? Le contenu de ce service reste encore très flou.

On connaît cependant déjà la forme pédagogique adoptée, n'en déplaise au secrétaire d'État qui vante «une hybridation pédagogique inédite» dans une interview à Valeurs actuelles. Le modèle présenté sur le site internet du gouvernement ou dans les fiches de postes des «tuteurs» correspond en fait en tous points à celui des colonies de vacances.

Le groupe au centre

Construit à partir des années 1930 avec des finalités sanitaires, le modèle des colonies de vacances se structure à partir des années 1950 autour de trois notions fortes: l'éducation, les besoins des enfants et le groupe. Pour faire court, les adultes savent ce qui est bon pour les enfants et mettent en place une organisation pour apprendre et faire vivre les bonnes valeurs choisies par l'instance organisatrice qui est soit une association, soit un comité d'entreprise, soit une collectivité.

Les enfants, regroupés par tranches d'âges, sont répartis en groupe de vie animé par une personne référente. La journée est découpée pour permettre le respect du rythme et des besoins de l'enfant, l'ensemble de la structure est pensée par l'adulte, pour l'enfant, mais aussi pour l'adulte et ses visées éducatives.

Les colos séparent les publics: aux enfants favorisés les séjours aux Baléares, à ceux des quartiers les opérations «Ville Vie Vacances».

Progressivement, le modèle s'assouplit pour permettre une adaptation à quelques enfants en situation particulière. Le groupe reste central, il est important que tout le monde fasse la même chose au même moment. Tout devient éducatif, même jouer ou dormir, mais jamais au point que l'adulte n'y trouve plus son confort.

Ce modèle pédagogique a l'incroyable capacité de s'adapter à tout sans jamais vraiment changer: il reprend les activités à la carte ou les activités «fun» lorsque le modèle «Club Med» est à la mode (dans les années 1970) ou il intégrera les mini-motos lorsqu'il faudra agir sur les rodéos en banlieue (les années 1980). Surtout les colonies séparent les publics: aux enfants favorisés les séjours aux Baléares, aux enfants en situation de handicap les vacances adaptées, aux enfants de quartiers les opérations «Ville Vie Vacances».

Une parenthèse enchantée?

Cette forme pédagogique appuyée par la notion de projet permet à l'instance organisatrice de décider de tout, des finalités jusqu'à la réalisation concrète, sans jamais avoir à rencontrer les personnes concernées: objectifs, activités, découpage horaire, personnel encadrant, etc.

Le service national universel reprend cette forme en y ajoutant une pointe d'imagerie militaire avec le drapeau, l'uniforme et la Marseillaise, et une once de scolaire avec les modules de formation plaqués et décidés par le haut. Il reprend même pour cette phase de préfiguration le cadre juridique des colos (les accueils collectifs des personnes mineures), les contrats d'engagement éducatif et les lieux d'accueil. Le SNU serait en fait une colo d'État qui deviendra obligatoire…

En quoi cela poserait-il problème? Les colos ne permettent pas de construire mixités, cohésion, valorisation des territoires ou orientation professionnelle, c'est-à-dire les finalités définies pour le SNU. Les jeunes en ressortiront, à coup sûr, avec des rencontres, peut-être des amitiés ou des amours. En aucun cas cela permettra d'aller au-delà et d'imaginer que la cohésion de la nation serait renforcée.

Depuis l'évaluation du dispositif GénérationCampsColos mis en place au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, on sait que les colonies de vacances ne construisent pas de mixité. Tant historiquement qu'économiquement, elles sont segmentées pour répondre aux besoins spécifiques de groupes d'enfants hétérogènes regroupés entre eux.

Les colos produisent des expériences de vie commune que chaque jeune ne vivrait pas avec ces parents ou sa famille –qui sont profitables à condition de s'inscrire dans une continuité, dans un rapport au personnel encadrant dépassant le strict cadre des dix à quinze jours de colo. À défaut, elles sont vécues soit comme une parenthèse enchantée soit comme un moment de souffrance. Pour la continuité, il faut se tourner vers les scouts ou les mouvements de jeunesse.

Norme et singularités

Qui est parti en colo sait que les amitiés y sont éphémères. Les travaux sur les dynamiques de groupe démontrent que leur cohésion ne dure que le temps des vacances. Les promesses et les engagements y restent. Dès le retour à la vie ordinaire, à la maison, les enfants et les jeunes reprennent habitudes, activités et écoles.

À la colo, et si elle existe, la cohésion se fait autour d'activités communes et d'une obligation de faire ensemble dans un temps imparti. Pour prétendre au même effet à l'échelle d'une nation, il faudrait un temps si long qu'il est impossible à mettre en œuvre… sauf à l'école si elle était réellement mixte et universelle.

La jeunesse qui ne rentre pas dans le cadre sera-t-elle exclue comme en colo?

Il faut encore ajouter que ce modèle pédagogique ne permet pas d'intégrer les singularités. Sa manière de construire de la norme va vite poser des questions et des débats interminables au sein des équipes d'encadrements. Comment construire une pédagogie de la mixité lorsque les unités ou chambrées ne sont pas mixtes? Un adolescent en situation de handicap peut-il être accueilli avec une autre personne, un frère, une sœur?

Comment un jeune qui ne rentre pas dans le cadre sera-t-il géré? Sera-t-il exclu comme en colo? Être exclu d'un «séjour» obligatoire, quel sens cela prend-il? Si, comme pour bon nombre d'adolescent·es, l'impossibilité d'entrer dans le cadre était liée à une situation extérieure ou familiale complexe, quelle gestion envisager? Autant de situations complexes et humaines que le modèle de la colonie ne prend pas en compte.

En utilisant le modèle pédagogique des colonies de vacances, le service national universel ne sera jamais universel. Si les mixités sont vraiment l'enjeu du SNU, alors nous devons encore proposer et construire un dispositif ouvert, accueillant, respectueux des personnes, démocratique et appuyé sur des pédagogies dédiées à construire de la rencontre entre des groupes d'enfants issus de milieux, de cultures, de territoires différents.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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