Le groupe France Télévisions est-il masochiste? Il est permis de le croire. Ou alors le modérateur du site internet de France 2 doit être porté disparu dans les neiges de Vancouver, à moins qu'il ne soit enseveli, à Paris, sous une avalanche de posts.
Depuis le début des Jeux olympiques, le forum de France2.fr est ouvert, en effet, à tous les vents venus du Canada et, il faut bien le dire, à tous les commentaires les plus acerbes. C'est même un joli tir aux pigeons dont sortent «plombés» plusieurs envoyés spéciaux des chaînes publiques qui, visiblement, n'ont pas envie de protéger leur personnel.
Cela a déjà été souligné ici. France Télévisions a le mérite de diffuser deux semaines de programmes incontournables pour les téléspectateurs amateurs de sport, mais néanmoins douloureuses pour les finances du groupe assuré de perdre de l'argent en raison de faibles retombées publicitaires. Si un certain nombre de compétitions se déroulent en pleine nuit, décalage horaire oblige, d'autres bénéficient d'une belle exposition, en «prime time», avec parfois un certain succès, taillant même quelques croupières à la Ligue des Champions de football. La quantité offerte est indiscutable. Reste à savoir si la qualité des retransmissions est au rendez-vous.
A lire donc le propre site internet de France 2, elle fait clairement défaut, à l'image de ces quelques saillies cybernétiques attrapées au vol mercredi 24 février:
Montel (Patrick) et ses faux espoirs nous gâchent le spectacle !!!!!! Et le fait qu'il hurle pour un oui ou pour un non, c'est exaspérant !!! Retourne à l'athlétisme Montel ! On t'a suffisamment entendu pour les JO! (signé sanglier averne).
Je n'ai rien contre Nathalie Simon. C'est une personnalité que j'apprécie. MAIS LA JE DIS STOP A NATHALIE SIMON. C'est un vrai chat noir !!!!!!! Chaque fois qu'elle se déplace dans une station, auprès d'un comité de soutien d'un de nos sportifs, ça fait un PSCHITTTTTTTTT (signé arnaudMO)
Par pur respect pour cette athlète, dites à Nelson (Monfort) de prononcer correctement le nom de Cho Ha-Ri rien qu'une fois! Qu'il fasse autant de blagues moisies qu'il veut en disant Haricot pour faire rire les nombreux débiles qui regardent France 2 mais juste une fois, qu'il dise qu'elle ne s'appelle pas Haricot, mais Cho Ha-Ri... (signé Bender 38).
Et ainsi de suite car la liste des reproches est longue. Heureusement, quelques compliments, plutôt rares, affleurent parfois à la surface de la toile :
Je remercie particulièrement France 2 et France 3 pour couvrir aussi bien les Jeux Olympiques d'hiver à Vancouver. Je regarde les retransmissions tous les jours dès que je peux. Ça me donne l'occasion de découvrir des sports tels que le short track, le half pipe, le snowboard, le skeleton, etc. (signé majolier).
Un compliment aussi vite contré par fred6767:
C'est une blague? Vous êtes Daniel Bilalian? (le directeur des sports de France Télévisions)
Que penser sérieusement des retransmissions de France Télévisions? Pas le plus grand bien, ai-je envie de répondre avec les internautes, tout en reconnaissant la difficulté du métier de commentateur sportif, confronté au stress du direct et à l'obligation de tenter de réussir à faire vibrer le grand public pour des disciplines généralement passées sous silence quand elles ne sont pas carrément inconnues (à moins d'être abonné à un réseau spécialisé comme Eurosport, également diffuseur de ces Jeux d'hiver). Malheureusement, à Vancouver, France Télévisions pèche par excès en tous genres.
A France Télévisions, il a été ainsi décrété qu'il fallait sortir la grosse caisse tous les soirs par la voix de Laurent Luyat, en plateau, qui, quotidiennement depuis le 12 février, nous promet une soirée soit «extraordinaire», soit «magique», soit «inoubliable», soit «pleine d'émotions» (quand ce n'est pas tout ça à la fois).
Il a été décidé aussi que le sport ne se suffisait pas à lui-même lors de ces Jeux d'hiver. Alors, il est transformé ou déguisé en un spectacle qui tourne hélas, parfois, au grand guignol avec Nelson Monfort (nous y revenons plus loin) ou à Intervilles (à moins que ce ne soit Interneige) avec Nathalie Simon, envoyée spéciale dans les salles des fêtes des stations dont sont originaires nos plus sérieux espoirs de médailles (qui se ratent généralement quand apparaît la belle Nathalie).
Pour amuser le tapis, la neige et la glace, des vedettes sont également invitées, plus souvent pour vendre leur actualité du moment que pour parler biathlon. Comme Arthur venu faire la promotion de son prochain spectacle et incapable de réfréner un fou rire à la vue du bide de l'impayable Nathalie qui tentait vainement et pathétiquement de faire lever le public pour le compte de la candidature d'Annecy pour les Jeux de 2018.
A France Télévisions, il est également admis que le journaliste est un supporter. La neutralité que devrait observer tout commentateur (et donc journaliste) est laminée chaque jour par des prises de parole qui ressemblent à des encouragements enragés de supporters. Dans son Petit Journal, sur Canal+, Yann Barthès ne s'est pas privé de moquer ce journalisme bleu-blanc-rouge scandé par des «allez!», «c'est maintenant!» ou de «il peut le faire».
Je m'en foutisme, impréparation et très mauvais goût
Ce n'est pas, certes, un défaut propre au service public. C'est une mauvaise manie inhérente à la majorité des médias français (et latins dans leur ensemble). Pour vendre, ou survendre, un événement sportif, il semble impératif de lui donner une couleur nationaliste. Dans les pays anglo-saxons, en revanche, cette fanatisation n'est pas tolérée. A la BBC ou sur NBC, vous n'entendrez jamais, par exemple, un commentateur hurler à l'antenne un «come on!» pour un Britannique ou un Américain. Mais pour France Télévisions, c'est comme si ce n'était jamais assez: il s'agit toujours d'ajouter à la louche des mots comme «incroyable», «fabuleux», «sensationnel» complètement vidés de leur sens pour accompagner les performances des tricolores. Et de crier très fort dans le micro. On a même vu, en plateau, le journaliste Patrick Montel craquer en direct devant Jason Lamy Chappuis. «Je n'avais pas connu ça depuis Marie-Jo (Pérec)», a-t-il sangloté. Trop, c'est trop...
Plus graves, selon moi, sont le je m'en foutisme ou l'impréparation patents de certains journalistes. En plein direct, Jean-René Godard a ainsi confondu Adrien Théaux avec Johan Clarey. «Ah, non, moi c'est...» Dans ce domaine, Nelson Monfort, personnage onctueux par ailleurs mais devenu complètement prisonnier de son personnage «guignolisé», s'illustre tout particulièrement, notamment en patinage de vitesse et en short-track où il paraît constamment dans l'improvisation comme s'il n'avait pas travaillé son sujet. Pour noyer le poisson sous la glace de la patinoire, il dérape alors allègrement dans des blagues d'un goût douteux pour évoquer notamment les patineurs coréens et l'omniprésence du patronyme Lee parmi les compétiteurs de ce pays. Nous eûmes notamment droit à un formidable «nous allons refaire les Lee» suivi très vite d'un merveilleux «les Lee au carré» censés nous faire rire. Sans oublier le désopilant «haricot» déjà cité. Se moquer des noms des sportifs est donc une mission du «service public».
Que dire, sinon, de l'envolée du comparse de Nelson Monfort au patinage artistique, Philippe Candeloro qui, pour évoquer le couple de patineurs français noirs, Vanessa James et Yannick Bonheur, fit cette drôle de sortie: «On les voit bien sur la glace, c'est peut-être parce qu'ils ont une couleur différente de la nôtre, Nelson. Sur la glace, ils ressortent bien.» Mis dans la bouche de Jean-Marie Le Pen, de tels propos auraient suscité la polémique. Là, rien. Mais il est vrai que le CSA doit dormir à cette heure-là.
Yannick Cochennec
Image de une: Le couple de patineurs français Vanessa James et Yannick Bonheur à Vancouver, REUTERS/David Gray
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