«Chez les gaullistes, c'est le chef qui est le responsable!» Martelée par un pilier du parti Les Républicains (LR), cette sentence résume clairement l'état d'esprit peu amène de bon nombre d'élu·es à l'égard de Laurent Wauquiez, président du mouvement, après le naufrage des élections européennes. Celui-ci n'ayant pas envisagé de remettre sa démission au lendemain de ce dimanche noir du 26 mai –«quitte à se représenter», confie un dirigeant–, des parlementaires, mais surtout des maires, ont entrepris de l'encercler tout en contournant le parti.
Ces responsables LR n'en croyaient pas leurs oreilles à l'annonce des estimations calculées par les instituts de sondage au terme du scrutin européen. Avec un score inférieur à 10%, la liste conduite par François-Xavier Bellamy enregistrait le plus mauvais résultat jamais obtenu par la droite parlementaire et républicaine depuis la première consultation européenne de 1979... il y a quarante ans! Les 12,82% obtenus par la liste Sarkozy, en 1999, étaient pulvérisés. Dans aucune élection nationale sous la Ve République, du reste, la droite gaulliste ou néo-gaulliste n'était tombée à cet étiage historique de 8,48%.
Dès le lendemain matin, Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région Île-de-France, déclarait sur RTL qu'à la place de Wauquiez elle aurait démissionné, en précisant, pour ne pas donner l'impression de personnaliser l'échec: «Mais c'est une question très personnelle». Malgré cette précaution oratoire, elle donnait ainsi le signal de la charge contre le président de LR qui, depuis deux ans, n'est pas parvenu à faire l'unanimité sur sa personne dans sa propre famille, en raison de ses choix politico-stratégiques.
L'absence massive des parlementaires
Accusé par ses opposants d'avoir «recroquevillé» le parti Les Républicains sur son noyau identitaire que d'aucuns baptisent «manif pour tous», en référence à cette droite conservatrice qui fut –et est toujours– vent debout contre le mariage homosexuel et dont tous les sondages montrent qu'elle est devenue très minoritaire au sein de la société française, Wauquiez convoquait en urgence le même jour, en réponse à cette offensive, le bureau politique du mouvement –quatre-vingts membres y siègent– pour canaliser la contestation naissante et couper l'herbe sous le pied de ses adversaires.
Lors de cette réunion à huis clos d'une durée de trois heures au cours de laquelle il y avait dix-sept prises de parole différentes, c'est surtout l'absence massive des parlementaires qui était frappante. Gérard Larcher, président (LR) du Sénat, et Bruno Retailleau, président du groupe LR au palais du Luxembourg, qui avait suggéré à Wauquiez de donner sa démission, étaient invisibles.
La démission de Wauquiez était évoquée, Bellamy demandait «pardon» pour son résultat catastrophique –«c'était un peu à la mode chinoise», confie une personne présente–, ce qui lui valait cette réponse de Michèle Alliot-Marie, ex-ministre au long cours: «Quand on fait de la politique, on ne demande pas pardon.» Nadine Morano, autre ancienne ministre, acquiesçait. Et le sénateur de Paris, Pierre Charon, proche de Nicolas Sarkozy, résumait le tout sur Public Sénat en disant: «On était dans une espèce de réunion de famille pour veiller un mort. Sauf que le mort continuait à parler.»
Pierre Charon, à propos du bureau politique des #LR : « On était dans une espèce de réunion de famille pour veiller un mort. Sauf que le mort continuait à parler. » pic.twitter.com/D9L6g6MuFq
— Public Sénat (@publicsenat) 28 mai 2019
Deux logiques s'affrontent depuis le 27 mai
Wauquiez, qui voulait surtout gagner du temps, proposait alors de tenir, à la rentrée, des «états généraux» pour conjurer le risque d'une «disparition» de son parti. Il jouait sur du velours devant une instance très largement façonnée à sa main, malgré la présence de Christian Jacob, président des député·es LR, de Valérie Pécresse, d'Éric Woerth, de Jean-François Copé, mais en l'absence d'autres pointures. C'était sans compter, en tous cas, avec la révolte à venir des élu·es. Elle est montée en puissance à partir du mardi 28 mai et devrait atteindre sa première apogée début juin.
Pour bien saisir ce qui se joue, il faut savoir que deux logiques s'affrontent depuis ce dimanche fatidique. D'un côté, Wauquiez veut tout faire pour différer le débat et pour préserver le parti, stratégie qui conditionne son maintien à sa tête, de l'autre, les élu·es –maires de villes grandes et moyennes, sénateurs, conseillers départementaux et régionaux– veulent sauver leur ancrage territorial et le maillage du pays par la droite.
En clair, deux temporalités et deux logiques sont face à face. D'un côté, le président de LR table sur le temps long en espérant, vacances d'été aidant, que le tsunami contestataire sera devenu une vaguelette. De l'autre côté, les élu·es LR sont confronté·es au temps court des prochaines élections –municipales et sénatoriales en 2020, départementales et régionales en 2021– qui demandent à être préparées dès maintenant car elles ont des conséquences les unes sur les autres. Par ailleurs, une logique d'appareil s'oppose à une logique de terrain. Les tenants de cette dernière tentent donc d'isoler Wauquiez en faisant son siège, mais ils veulent surtout réaliser une opération de contournement. Du parti et de son président.
«Un projet qui rassemble la droite et le centre»
C'est pourquoi Gérard Larcher, figure emblématique de la représentation des territoires à droite, a sonné le tocsin au lendemain de la réunion du bureau politique à laquelle il ne participait pas pour donner un premier signal interne de sa propre stratégie: rien pour le parti, tout pour ses élu·es. Sur France Info, il a proposé aux présidents des deux groupes parlementaires et à ceux des trois grandes associations d'élu·es de se retrouver pour «reconstruire un projet qui rassemble la droite et le centre».
En réalité, cette réunion prévue mardi 4 juin pourrait bien être consacrée à la plantation des jalons d'une stratégie électorale se passant du double apport partisan, intellectuel et matériel, du mouvement néo-gaulliste. Ce qui paraît un peu surprenant dans la démarche de Larcher, c'est qu'au-delà des présidents des deux groupes parlementaires, Jacob et Retailleau, dont la présence est logique, il fait appel aux présidents de trois organismes trans-partisans: François Baroin (LR) pour l'AMF (Association des maires de France), Dominique Bussereau (ex-LR) pour l'ADF (Assemblée des départements de France) et le centriste Hervé Morin pour Régions de France. Leur participation à une opération partisane ne manquera pas de surprendre les représentant·es des autres partis dans les instances dirigeantes de ces trois organismes.
L'offensive prend corps au Conseil de Paris
Si la démarche de Larcher a reçu l'approbation de Wauquiez, qui ne pouvait guère faire autrement au risque de s'isoler lui-même, elle a reçu, en revanche, une fin de non-recevoir de la part du président de l'UDI (Union des démocrate et indépendants). Jean-Christophe Lagarde, dont la liste aux européennes a obtenu 2,5% des suffrages exprimés, admet que «la droite française est en crise» mais ajoute: «Ce n'est pas mon affaire.»
Le Modem de François Bayrou étant engagé dans la majorité présidentielle, il ne reste plus guère que Les Centristes, nouvelle appellation du Nouveau centre de Morin, pour offrir un élargissement aux initiateurs de cette démarche. Or, Morin est déjà engagé aux côtés de LR et il avait appelé à voter Bellamy aux européennes. Ce qui, en fait, restreint d'emblée l'ouverture souhaitée.
Comme l'offensive anti-Wauquiez est enclenchée sur plusieurs fronts, elle va aussi prendre corps au Conseil de Paris pour tenter de donner une autre dimension à cette «stratégie d'ouverture» voulue par Larcher. Il n'a évidemment pas échappé aux maires des arrondissements de la capitale détenus par LR que la liste Bellamy a obtenu, ici aussi, un score catastrophique. Ce dernier non seulement compromet l'ambition de la droite de reprendre la capitale à Anne Hidalgo (PS) en 2020, mais met aussi en péril leur propre réélection. Avec un résultat à peine supérieur à 10%, elle se place en troisième position, loin derrière les écologistes d'EELV (19,95%) ainsi que les macronistes (33,05%), et juste devant les socialistes (8,18%).
La jeune garde lance un appel au sursaut
Plusieurs de ces maires LR envisagent donc de s'affranchir de leur étiquette politique et de constituer un nouveau groupe dissident au sein du Conseil de Paris dont la prochaine session est fixée du 11 au 14 juin. Le but est d'avoir les coudées franches pour opérer les rapprochements «au-delà des logiques partisanes» afin de se sauver eux-mêmes et de partir à l'assaut de la Mairie de la capitale avec des chances de réussite.
Dans cette entreprise, il se trouve que les sortant·es LR ont un intérêt commun avec les futur·es représentant·es LREM: détrôner Hidalgo. Tout dépendra in fine de la stratégie pour laquelle optera le président de la République, qui ne peut évidemment pas se désintéresser des grandes manœuvres parisiennes. Dans ce maelström, Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement et candidate comme cheffe de file de la droite en 2020, risque fort probablement de se retrouver bien seule. Ce qui, semble-t-il, ne fera pas trop de peine à certain·es élu·es de son camp dans la capitale.
Enfin, volet le plus récent de cette préparation d'artillerie, onze jeunes député·es LR ont lancé, jeudi 30 mai, sur les réseaux sociaux, un appel à un «sursaut» de la droite. Ces parlementaires appellent de leurs vœux la «reconstruction d'une alternative crédible» au duel entre Macron et Le Pen qui a ressurgi à l'occasion des européennes. «Nos messages devront être portés, à tous les échelons de notre mouvement, par des figures politiques nouvelles, issues des territoires», écrivent-ils, en annonçant la création d'un «Comité du renouvellement» qui réunira notamment –comme par hasard– des parlementaires, des maires, des élus départementaux et régionaux et d'autres acteurs locaux. L'opération encerclement est lancée.