Dans une salle du centre événementiel Dürer de Budapest collé au Bois de Ville, deux trentenaires apprêtées se congratulent sous une nuée de flashs et de hourras recouvrant leurs sanglots d’émotion.
Katalin Cseh et Anna Donáth, numéro 1 et 2 de la liste du parti centriste-libéral Momentum soufflant à peine sa deuxième bougie, viennent d’apprendre qu’elles entrent ensemble au Parlement européen grâce aux 9,86% réalisés par leur formation proche d’Emmanuel Macron. Le matin même, la base militante et les sympathisant·es se demandaient fébrilement si l’écurie allait décrocher (ou pas) un mandat.
Momentum émergea au beau milieu de l’hiver 2017 à la faveur de la campagne Nolimpia durant laquelle ce mouvement générationnel, impulsé par des jeunes polyglottes façonné·es à l’étranger et tenant conclave dans une cave récemment quittée pour un appartement du centre de la capitale, collecta plus de 250.000 signatures contre la candidature de Budapest aux Jeux olympiques d’été 2024. Face au succès colossal de la pétition dénonçant le coût démesuré des infrastructures nécessaires, le gouvernement Orbán retira la capitale magyare de la course aux anneaux finalement remportée par Paris.
Cette première victoire permit aux pontes de Momentum de rencontrer leur modèle Emmanuel Macron l’automne de son élection et leur donna le cran de se présenter aux législatives d’avril 2018. «Macron veut faire de la France le pays le plus européen du continent tout en le réformant malgré ses soucis de popularité. C’est une ambition grandiose. Une Merkel cherchant sans cesse le compromis n’a jamais été en mesure d’endosser ce rôle. Macron est à son meilleur lorsque des enjeux européens sont sur la table», déclarait le président du parti András Fekete-Győr au seuil de la crise des «gilets jaunes».
Oligarchie et fonds européens
Reprenant la rhétorique de La République en marche, l’européiste Momentum prône un renouvellement de la vie politique hongroise face à l’hégémonie incontestée du Fidesz aux responsabilités depuis 2010, martèle le duel progressistes versus populistes façon Salvini et encourage une Europe forte affrontant Trump, Pékin et Poutine. Les macronistes magyars clament en parallèle leur attachement aux libéraux européens du remuant Guy Verhofstadt, jamais avare de critiques envers l’autoritarisme d’Orbán et songeant à un nouveau groupe post-Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE) où siègeraient les eurodéputé·es Momentum et Renaissance.
Sur le plan intérieur, Momentum multiplie les réquisitoires contre le clientélisme du «système Orbán» enrichissant un aréopage d’obligés grâce aux enveloppes garnies de Bruxelles. Au cours de cette campagne continentale, les violets ont séduit via un discours convenu mais porteur sur une meilleure utilisation des aides de l’Union européenne servant la modernisation des hôpitaux, l’amélioration des écoles et la création d’emplois au lieu d’enrichir les oligarques favoris de Budapest comme Lőrinc Mészáros, passé de technicien chauffagiste de province à personnalité la plus riche de Hongrie en neuf ans d’orbánisme.
«Débarqué dans la vie publique au moment de son initiative anti-candidature olympique de Budapest, Momentum a dépassé toutes les attentes en perçant dans des endroits aussi inattendus que les très chics premiers et cinquième arrondissement de la capitale ou les villes de Pécs et Nyíregyháza [fiefs municipaux Fidesz, ndlr]. Malgré de faibles moyens, Momentum récolte les fruits d’un énorme travail politique sans s’être emparé d’un sujet aussi emblématique que les États-Unis d’Europe chez Coalition démocratique ou le changement climatique pour les verts du LMP», constate le journaliste Péter Pető.
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Centristes danubiens
Le score inespéré de Momentum accompagne une participation historique de 43,36% supérieure de quinze points au décompte définitif du scrutin européen précédent (seulement 28,97% en mai 2014). En triplant leurs maigres 3% des législatives 2018, les centristes danubiens troisièmes des européennes derrière le Fidesz (treize eurodéputé·es sur vingt-et-un éligibles en Hongrie) et l’étonnante Coalition démocratique (quatre sièges) se sont offert le luxe de supplanter les socialistes du MSZP et les souverainistes du Jobbik, adversaires en chef d’Orbán l’illibéral à l’Assemblée nationale dont Momentum est absent.
L’autre victime de la déferlante Momentum s’appelle La politique peut être différente (LMP), formation écologiste de centre-droit éjectée du Parlement européen intégré de justesse en 2014 avec 5,04%. Déserté en janvier 2013 par les verts de gauche, décrédibilisé en 2018 après avoir favorisé la majorité absolue des deux-tiers conquise par Orbán en refusant toute alliance avec l’opposition et dévitalisé au soir du 26 mai, cet ancêtre de Momentum lancé tambour battant en février 2009 défendait lui aussi la fierté d’être hongrois·e, l’Europe, une politique propre, l’égalité des chances et une éducation de qualité.
«Momentum profite notamment du désaveu des partis traditionnels et de la recherche d’une nouvelle force crédible au sein d’une opposition submergée par le doute», estime le politologue Bulcsú Hunyadi du centre de réflexion Political Capital. «La jeunesse, le volontarisme et l’attachement viscéralement européen de Momentum marqueurs de leur campagne ont été l’autre moteur important de ce succès. L’absence d’assise idéologique précise de Momentum aux yeux de nombreux électeurs hongrois lui a permis d’engranger des voix en provenance du LMP, des socialistes ou du Jobbik», poursuit l’analyste.
«Campagne sans faute»
Défenseur du mariage homosexuel dans un pays où la Constitution sacralise l’union hétérosexuelle, partisan de l’adhésion au parquet européen afin de permettre à Bruxelles d’enquêter sans entrave sur les affaires de corruption entachant la réputation de Budapest et porté par deux femmes têtes de liste alors que la Hongrie comptait le moins de candidates sur l’ensemble des vingt-huit pays de l’UE, Momentum affiche la même fraîcheur politique que le Fidesz libéral des origines. Les comparaisons ressortent régulièrement entre András Fekete-Győr et Viktor Orbán époque jeune dissident anticommuniste.
«Momentum s’est reposé sur un message fort maintenu tout au long d’une une campagne sans faute. Les élections continentales favorisent les petits partis anti ou proeuropéens type Momentum doté d’une vision claire de l’Europe et de son futur», selon la chercheuse Andrea Virág de l’institut Republikon.
Momentum peut célébrer sa percée mais doit encore se bâtir une vraie stature nationale.
«Par ailleurs, tous les sondages publiés dans les semaines précédant le scrutin montraient Momentum au-dessus du seuil des 5% et nombre d’électeurs potentiels qui ne les avaient pas soutenus en 2018 ont appuyé Momentum cette année car ils ne craignaient plus que leur vote soit perdu», souligne l’experte.
Les 52,48% du Fidesz rappellent néanmoins que le discours anti-immigration et anti-Bruxelles répété depuis la crise des réfugiés par l’exécutif et près de 500 médias domestiqués impriment toujours. L’explosion de Momentum, la performance de Coalition démocratique doublant son contingent d’eurodéputé·es (deux à quatre) et l’effondrement des anti-Orbán installés laissent augurer une recomposition de l’opposition hongroise en vue des municipales de cet automne. Momentum peut célébrer sa percée mais doit encore se bâtir une vraie stature nationale. Gare à la crise de croissance.