À la veille des élections européennes –et alors que le pays vient de fêter les 15 ans de son adhésion à l'Union– le drapeau bleu étoilé était partout dans les rues de Varsovie, jusque dans les parterres de fleurs.
Les sondages annonçaient une participation record au scrutin –y compris aux États-Unis, où les personnes originaires de Pologne inscrites sur les listes sont passées à 8.000 contre 5.000 en 2014. Ils ne se sont pas trompés, elle a bondi de près de vingt points par rapport au scrutin précédent.
Si la population polonaise s'est mobilisée, c'est pour faire gagner les conservateurs et souverainistes du parti majoritaire, le PiS, Droit et Justice qui totalisent 45,38% des voix (vingt-six sièges), suivis des conservateurs de la Coalition européenne (38,47% des voix, vingt-deux sièges) et des sociaux-démocrates de Wiosna (6,06%, trois sièges).
L'Europe plébiscitée par 90% de la population
Routes en construction, développement d'internet, constructions d'école… Partout en Pologne fleurissent, bien en vue, les panneaux qui signalent les projets financés par l'Union européenne (UE) –c'est le pays qui reçoit le plus de fonds de fonds structurels: plus de 86 milliards d'euros pour la période 2014-2010. Le peuple polonais n'est pas ingrat, il se dit pro-européen à plus de 90%, et 56% se sentent même polonais et européens, selon des sondages de ces dernières semaines de l'Institut CBOS.
Comment expliquer, alors, la victoire des conservateurs et eurosceptiques du PiS, juste devant la Koalicja europejska (à laquelle participe notamment Plateforme Civique –Platforma Obywatelska–, abrégé en PO), centre-droit, le parti du président du Conseil européen et ancien ministre polonais Donald Tusk)? Le PiS, au pouvoir depuis la fin 2015, mène une bataille contre la Commission européenne sur tous les fronts: État de droit avec la réforme de la justice, refus d'accepter les quotas de migrant·es, atteintes à la liberté de la presse… L'une des premières actions de Beata Szydło, à peine nommée Première ministre, fut de retirer le drapeau européen de la salle où allaient se tenir l'ensemble des conférences de presse. À Bruxelles, le cas polonais donne la migraine, car le déclenchement de l'article 7 du traité européen, qui permettrait de prendre des sanctions, est dans les faits extrêmement compliqué.
Pour l'Europe mais contre la zone euro
Dès le lancement de la campagne, pourtant, le PiS a adouci son discours. «Appartenir à l'Union européenne est une condition nécessaire au patriotisme polonais», a même déclaré son très influent chef, Jarosław Kaczyński, lors d'une interview sur la chaîne de télévision TVP, en avril. Le président de la République, Andrzej Duda, issu du parti ultra-conservateur, a même proposé d'inscrire l'adhésion à l'Union européenne (et à l'Otan) dans la Constitution polonaise.
Pour plaire à son électorat et se distancier des partis d'extrême droite qui réclament une sortie de l'Union, «le PiS joue aujourd'hui la carte europhile, mais le seul sujet vraiment concret qui est abordé sur l'Union européenne pendant cette campagne, c'est l'appartenance à la zone euro, qui est obligatoire mais à laquelle 70% des Polonais, tout comme le PiS, est opposée, explique Jolanta Szymańska, qui dirige le programme Union européenne de l'Institut polonais des Affaires étrangères (PISM). Le problème de l'État de droit a complètement disparu de l'agenda politique. Quant aux migrants, le discours du PiS aujourd'hui c'est “Nous avions raison de bloquer les migrants aux frontières et de vouloir agir en dehors des frontières”, regardez les autres pays n'en ont pas voulu non plus…»
«Les déclarations sur l'Europe à deux vitesses d'Emmanuel Macron ont beaucoup déplu.»
Jaroslaw Kaczynski, lors de son intervention télévisée, avait immédiatement nuancé: cela ne signifie pas «que l'on doive être d'accord sur tout». Une position partagée par les nouveaux membres. Ils ont demandé davantage d'intégration et plus d'égalité entre les États dans une déclaration commune, le 1er mai. «La relation avec l'UE est un problème de “taille moyenne”, analyse Jolanta Szymańska. Les petits pays, comme Malte, n'ont absolument aucune ambition de peser dans la balance, ils se contentent de suivre. La Pologne est un pays suffisamment grand pour vouloir jouer en première division, pour faire partie de ceux qui décident. PO coopérait avec la France et l'Allemagne (le triangle de Weimar), mais de manière suiviste, le PiS maintenant veut montrer que l'Union européenne n'est pas l'affaire de six États-membres seulement. Les déclarations sur l'Europe à deux vitesses d'Emmanuel Macron, notamment, ont beaucoup déplu.»
Valeurs morales et religieuses
Maintenant que les grands rêves des années 1990 ont été réalisés, à savoir faire partie de l'Otan et de l'Union européenne, «les positions de la PO et du PiS ne sont pas si différentes. Ils ont la même position sur les travailleurs détachés ou le Brexit par exemple. Mais ils ont besoin de montrer qu'ils sont différents». Une différence qui, pour cette campagne, se joue surtout sur la question des valeurs morales et religieuses, notamment contre la communauté LGBT+, cible d'attaques très violentes de la part du PiS. Divorce, avortement, homosexualité, sont les «dérives» de l'Ouest contre lesquelles les conservateurs entendent protéger la population polonaise. Un discours qui résonne particulièrement en milieu rural. Et qui explique aussi comment l'un des pays les plus europhiles de l'UE puisse soutenir un gouvernement eurosceptique.