Parmi les réseaux sociaux les plus populaires, Instagram détient un avantage indéniable: le clash et le cyberharcèlement y sont moins fréquents. Disons que l'insulte n'y est pas la règle première
Cela pourrait suffire à faire de cet espace un éden numérique s'il n'était pas peuplé de créatures qui se sentent obligées de faire partager aux autres leur vie de rêve: vacances paradisiaques, appartements sublimes, alimentation de licorne, apéros y compris –l'apéro étant quand même un truc qui consiste à picoler en grignotant de la merde–, eh bah même leurs apéros ressemblent à des rêves de princesse. Chez ces personnes, le papier peint, le vernis à ongle, le toast d'avocat, tout est inspirant –a fortiori si cette inspiration peut s'acheter sur un site de commerce en ligne.
Bref. Il est de notoriété publique que la consultation quotidienne d'Instagram a tendance à vous faire sentir comme la personne la plus misérable du monde. On a beau savoir que tout cela est faux. Intellectuellement, on comprend que l'authenticité de ces mises en scène ne vaut pas mieux que celle de n'importe quelle pub à la télé. Il n'empêche, ces images résonnent dans la partie de notre cerveau qui échappe à la raison.
La chasse au faux est ouverte
Mais voilà, depuis quelques mois, le soupçon d'un fake généralisé au royaume des princesses s'étend. Instagram s'est lancé dans la chasse aux comptes grossis artificiellement. Plus un compte est suivi et liké, plus le profil est mis en avant. Or followers et likes peuvent s'acheter assez simplement. Instagram a décidé de lancer un programme d'intelligence artificielle pour les débusquer. La chasse au faux commence, qui n'est pas anodine. Dans la presse, on se demande souvent où est passé l'argent de la pub qui a déserté les journaux: une grosse partie est allouée aux budgets à destination des personnes dont les profils sont reconnus comme influents. Plus un compte est suivi, commenté, liké, plus il intéresse les marques qui le rémunèrent.
Mais le monde est devenu tellement dingue que, désormais, certain·es font semblant d'avoir un partenariat avec une marque de luxe. C'est aussi simple que de remercier Chanel ou Vuitton en légende de votre photo pour avoir l'air d'être quelqu'un d'important. (Rappelons qu'il n'y a pas si longtemps, le but était inverse: accepter un partenariat avec une marque se faisait discrètement, de façon planquée, sans l'ébruiter.)
Chiffres et partenariats ne sont pas les seules choses que l'on peut faker sur Instagram. On peut tout falsifier. Ainsi, l'instagrammeuse Gabbie Hanna a réussi à faire croire à 3 millions de membres qu'elle séjournait à Coachella pendant plusieurs jours. Elle a ensuite publié une vidéo pour montrer par quels procédés elle avait truqué toutes ses images et vidéos. Mieux: vous pouvez en faire autant. Le site Fakeavacation (falsifie tes vacances) propose aux personnes qui ne maîtrisent pas Photoshop de créer de faux clichés. Il suffit de choisir sa destination. (J'ai d'abord cru à un canular, d'autant que les montages sont mal foutus, mais il semblerait que ce soit vrai. De toute façon, même si c'était faux, une personne s'empresserait aussitôt de le faire pour de vrai.) Le service vous en coûtera environ 50 dollars (44,7 euros).
Images issues du site Fakeavacation.
L'Obs relaie également qu'à New York a ouvert fin 2018 un appart instagrammo-compatible à louer pour y prendre des photos, et que la société russe Private Jet Studio propose, elle, de prendre la pause dans un jet privé qui ne décolle pas du tarmac (comptez 212 euros de l'heure).
Vive le moche
Ça me dégoûte. Au sens premier. Jusqu'à la nausée. Ça me fait regretter les photos de ma jeunesse, celles avec les points rouges dans les yeux à cause du flash. Justement. Il semblerait que les ados aient la même réaction. Peut-être aussi parce qu'Instagram leur semble un truc de vieux: la jeunesse change radicalement les usages du réseau. Sur ce sujet, je vous conseille la lecture en anglais d'un très bon article de The Atlantic qui annonce la fin des murs roses et des macarons pastels. Les ados reviendraient aux photos brutes, sans filtre et sans retouche.
Dans mes bras jeune fille!
Les ados iraient même plus loin en cherchant à désembellir leurs photos, d'après l'article. Kurt Cobain aurait approuvé ce message (qui va très bien avec leur mode des joggings moches et des blousons de ski, d'ailleurs –aucun jugement négatif de ma part, j'ai toujours dit que je ne pourrais pas vivre dans un monde d'où la laideur aurait été bannie).
Un consultant expert en stratégie explique à la journaliste que l'esthétique dominante d'Instagram qui primait jusqu'ici est finie. Tout passe, tout lasse. Les Instagrammeuses de 25 ans qui gagnaient leur vie grâce à des partenariats sont donc déjà passées de mode. (Vous sentez comme une pointe de jubilation de vieille peau? C'est normal.) Leur compte s'amenuiserait chaque mois, les photos de leurs ongles manucurés tenant une tasse de café nappé d'une mousse en cœur n'agrègeraient plus les likes. Monde cruel.
Vivement un filtre qui permettrait de rougir les yeux, brûlés au flash comme on le découvrait au siècle passé après développement de la pellicule (J'écris ça en étant à peu près certaine que cet effet existe déjà.)
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.