Cet article est le premier volet de notre récit sur le procès en appel d'Edith Scaravetti, reconnue coupable en mars 2018 de l'homicide involontaire de son compagnon Laurent Baca.
Pour relire nos articles sur le procès en première instance:
> Épisode 1: «Je suis un monstre, je suis un monstre! J’ai retourné l’arme contre lui»
> Épisode 2: «Il n’y avait pas de bleus, pas de traces, et elle marchait très bien»
> Épisode 3: «Je m’y suis mal prise, c’est vrai. Mais je voulais vraiment l’aider»
> Épisode 4: «Je veux que Maman reste le moins longtemps possible à la maison d’arrêt»
En ce jour de mai 2019, Jocelyn Scaravetti s'avance dans la cour d'assises du Tarn-et-Garonne à Montauban. Son visage a la couleur des murs: un blanc laiteux et froid. Entre ses doigts, il triture un papier signé. Le bruit de la feuille, pliée puis dépliée, bruisse dans le micro de la barre et résonne dans le silence de la petite salle d'audience.
Le président Alain Gaudino pince les lèvres: «Il semble que Jocelyn Scaravetti ait été convaincu de se présenter par mandat d'amener.» Il lit l'heure à laquelle les gendarmes ont débarqué chez le témoin, 6h35, avant de lever les yeux sur lui. «Pour quelles raisons, en tant que témoin, vous prenez la liberté de ne pas vous présenter? Vous êtes le frère de l'accusée!»
Dans le box, Edith Scaravetti se tient droite, les yeux fixés sur un point ancré au sol. Tout au fond de la pièce, sur les derniers bancs du public, la compagne de Jocelyn Scaravetti pleure en silence.
«Vas-y, mais vas-y! »
Un an auparavant, le 23 mars 2018, Edith Scaravetti a été reconnue coupable de l'homicide involontaire de Laurent Baca, le père de ses trois enfants, et condamnée à trois ans d'emprisonnement par la cour d'assises de la Haute-Garonne.
Dans la nuit du 5 au 6 août 2014, elle avait tué son compagnon d'un coup de carabine dans la tête puis enterré son corps dans le jardin, avant de le déterrer trois semaines plus tard pour le monter dans le grenier de la maison familiale, où elle l'avait emmuré dans un sarcophage de béton.
La cour de Toulouse avait conclu à un délit d'homicide par imprudence, un accident.
Selon le récit d'Edith Scaravetti, Laurent Baca l'avait réveillée la nuit des faits à 3 heures du matin, tirée du lit par les pieds, frappée à plusieurs reprises, poussée dans les escaliers. Il s'était allongé sur le canapé du salon, avait posé le canon de la carabine sur sa tempe et l'avait défiée de tirer: «Vas-y, mais vas-y! Bouge-toi, sers à quelque chose au moins une fois dans ta vie!» En attrapant l'arme pour la lui retirer, le coup était parti, et Laurent Baca mort sur le coup.
Pendant trois mois et demi, elle avait menti à tout le monde, à sa famille et ses enfants: il allait revenir. Laurent était parti en Espagne pour faire du trafic de stupéfiants, ou peut-être était-il allé chercher Gaétan*, son fils aîné né d'une précédente union, à Nîmes.
«Son comportement irrationnel après les faits [n'est] pas de nature à modifier l'analyse de la cour d'assises.»
Lors de la perquisition, les enquêteurs avaient senti l'odeur de putréfaction imprégnant les murs. Edith avait tout avoué: les coups qui pleuvent, le goût immodéré de Laurent Baca pour l'alcool et le coup de feu mortel.
Dans l'arrêt rendu par la cour d'assises de Toulouse, il est écrit: «Son comportement irrationnel après les faits, dont font partie le déplacement du corps dans deux endroits différents et les mensonges aux proches, ne sont pas de nature à modifier l'analyse de la cour d'assises quant aux évènements de la nuit des faits, et encore moins de la vie de couple dans la période antérieure.» Edith Scaravetti était reconnue comme victime de violences conjugales, et non comme meurtrière.
À l'annonce du verdict, Jocelyn Scaravetti avait couru dans les escaliers de la cour d'assises, des larmes roulant sur ses joues, pour serrer Edith dans ses bras. À la barre, il avait raconté, avec sa compagne, les emportements inexpliqués de Laurent Baca, les fêtes familiales où plus personne ne voulait l'inviter parce qu'il buvait trop, Edith de plus en plus effacée et cette culpabilité de n'avoir rien vu ni rien fait, que l'on porte en soi à tout jamais.
Le 23 mars 2018, après trois ans et demi de détention préventive, Edith Scaravetti avait donc quitté la maison d'arrêt pour rejoindre ses enfants chez son frère Jocelyn.
Quelques heures plus tôt, l'avocat général avait requis une peine de vingt ans d'emprisonnement pour homicide volontaire. Alors sans surprise, dès le 26 mars, le parquet faisait appel de cette décision. Le second procès devait s'ouvrir en mai 2019 devant la cour d'assises de Montauban.
«On ne se parle plus»
Un an après, tout a changé.
Le président Alain Gaudino fixe Jocelyn Scaravetti: «Quels sont vos rapports avec votre sœur?»
Les avocats de la défense, Me Catala et Me Boguet, ont la tête baissée sur leur dossier.
«On ne se parle plus», souffle le frère de l'accusée.
Le président ne répond rien. Jocelyn Scaravetti plaque la feuille de papier contre le chevalet des témoins.
«Quand elle est sortie, elle est venue vivre à la maison. Et puis elle est partie, et depuis, on ne se parle plus. Je ne la vois plus depuis septembre, quand elle est partie avec les enfants.»
Le président le scrute.
«Elle m'a dit qu'elle ne se sentait pas bien chez moi, qu'elle était compressée. Qu'elle était compressée, qu'elle voulait vivre sa vie… Du jour au lendemain, elle est partie. Comme ça, du jour au lendemain.»
«C'est une culture familiale où on ne parle pas. On se débrouille tout seul, et les problèmes sont tus», précise l'enquêtrice de personnalité. Elle prend pour preuve ce moment avant le premier procès, dans le bureau de l'avocat d'Edith, rapporté par son second frère: «Quand l'avocat a parlé du viol d'Edith, j'ai regardé mon père, ma mère, mon frère… J'étais le seul surpris! J'étais sur le cul.»
À l'âge de douze ans, Edith Scaravetti a été victime d'un viol. La seule personne à qui elle s'était confiée, des années plus tard, était Laurent Baca. Il avait prévenu sa famille. Sa mère s'était précipitée chez elle pour en parler. Mais comprenant son désarroi, Edith avait refusé d'évoquer le passé. Et puis les choses en étaient restées plus ou moins là.
«Avec tous les aléas qu'il a faits… Pourquoi je m'inquièterais pour cette personne?»
Pour le procès en appel, Me Boguet a fait citer Émile, le père d'Edith, absent en 2018, en tant que témoin. Il est chauffeur-livreur. À la barre de Montauban, il raconte comment il a appris la disparition de son gendre Laurent Baca par des collègues de travail, qui l'avaient vu dans le journal.
Les juré·es ne voient pas un muscle, pas une ride tressauter sur le visage d'Émile Scaravetti: «Je me suis dit: “Ben, il est parti.”»
Le président fronce les sourcils. Est-ce qu'il ne s'est pas inquiété? Le père d'Edith Scaravetti rétorque: «Avec tous les aléas qu'il a faits… Pourquoi je m'inquièterais pour cette personne?»
Alors le président insiste. Après tout, il est la première personne que sa fille a appelé le matin des faits. Il n'a pas décroché certes, mais ne l'a-t-il jamais rappelée pour savoir ce qu'elle voulait? Ne cherche-t-il pas à savoir comment elle va après la publication dans la presse de l'avis de disparition, elle qui se retrouve alors seule avec trois enfants?
«Si: quand ma fille vient prendre des nouvelles, je lui demande: “T'as des nouvelles?”»
Il hausse les épaules.
«Et elle dit non, et voilà.»
Le président lui fait remarquer qu'il ne parle pas beaucoup, qu'il semble détaché –comme l'est sa fille assise dans le box des accusés– voire «indolent», que tout ça semble lui passer au-dessus. Le père d'Edith esquisse un faible sourire: «Vous savez, dans le camion, à part chanter et écouter les informations, vous êtes tout seul.»
L'experte psychologue raconte à la cour, à propos des deux entretiens en détention avec Edith Scaravetti: «La discussion est entrecoupée de silences et de profondes respirations.»
«J'arrive pas à trouver les mots»
Dans le box, où elle comparaît libre, l'accusée n'a pas un regard pour son frère pendant qu'il dépose à la barre. Jocelyn ouvre la paume de sa main. «Les enfants, j'ai des nouvelles par le portable, mais…» Il tient à ajouter: «Je lui ai dit, à l'éducatrice, qu'il n'y avait pas de souci, que si les enfants voulaient venir à la maison, c'est quand ils voulaient.»
Quand Edith a été incarcérée, en novembre 2014, Jocelyn Scaravetti a tout de suite déposé un dossier auprès du juge des enfants: «À l'époque je n'avais qu'une fille, j'avais de la place.»
Dans l'attente du procès, durant quatre ans, il a ainsi élevé Élodie*, Franck* et Justine*, les enfants d'Edith et Laurent. «Les petits» sont alors âgés de 9, 8 et 7 ans.
Une nouvelle vie a pris forme. Jocelyn s'organisait pour les emmener un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires chez les grands-parents Baca, les samedis matins –et parfois le mercredi après-midi s'il ne travaillait pas– au parloir.
Il y eut les travaux entrepris pour que chacun puisse avoir sa chambre, les questions des petits auxquelles les grands ne savent pas toujours bien répondre et les pleurs inconsolables parce que «Maman me manque». Mais dans l'ensemble, ça se passait mieux. «Quand je dis mieux, c'est dans une situation critique, quand même», nuance-t-il.
Il rapporte: «Aujourd'hui, il y a les SMS pour les anniversaires, et de temps en temps “Ça va?”»
«On ne comprend pas: pourquoi ne pas vouloir venir à la cour d'assises?», insiste Me Le Bonjour, l'avocat de la sœur de Laurent Baca. Jocelyn Scaravetti bafouille: «J'ai essayé de faire beaucoup de choses, pour essayer d'améliorer…», baisse un peu la tête: «J'arrive pas à trouver les mots.»
Sa compagne lui répète souvent: «Quand on a des problèmes, il faut en parler», alors Jocelyn est prêt à essayer. Il marque une pause pour réfléchir à des mots utiles dans une cour d'assises.
«Comme ça fait des mois que c'est rompu, je me suis dit: “Bon, ben tu veux te débrouiller toute seule…”»
Le président, à qui il a d'abord avancé qu'il travaillait pour justifier son refus de comparaître, tente à son tour de se radoucir: «Est-ce que vous ne pensez pas que vous pouvez aider votre sœur aujourd'hui? Alors, pourquoi vous ne vouliez pas venir?»
«J'avais pas envie de venir, j'avais pas envie de venir..., admet Jocelyn Scaravetti dans un sanglot. J'avais pas envie de repasser à la barre, de revenir au tribunal.»
Un chagrin sourd s'empare d'Edith Scaravetti. Le menton tremble, ses joues rougissent d'émotions contenues, ses yeux s'embuent de larmes. Elle peine à trouver son souffle.
Jocelyn Scaravetti poursuit: «Ça m'a embêté, un peu. Comme ça fait des mois que c'est rompu, avec Edith et les enfants, je me suis dit: “Bon, ben tu veux te débrouiller toute seule…”»
L'avocat général veut savoir pourquoi Edith est partie, si cela a quelque chose à voir avec les faits qui lui sont reprochés, si c'est par rapport au dossier. Edith Scaravetti se lève, un mouchoir en papier dans la manche de son gilet.
«C'est par rapport à mes enfants que je suis partie.»
Elle assure que les enfants étaient perdus dans l'autorité, qu'ils ne pouvaient pas parler de leur père comme ils voulaient, qu'il fallait à chaque fois changer de sujet. Les magistrats affichent une mine perplexe. Mais comment décrire la vie d'après, celle qui survient après une détention longue de plusieurs années entre quatre mêmes cloisons?
Le président, lui, veut bien parler de Laurent Baca. Et surtout –ou justement– de ce qu'Edith Scaravetti peut dire de lui.
Il sort du dossier l'audition d'une amie d'Edith, interrogée par les enquêteurs après les faits. «Edith a dit qu'elle le détestait et qu'elle se fichait que les enfants aillent en foyer, car ça lui ferait des vacances.»
À l'intérieur du box vitré, Edith ne l'entend plus. Les mains tremblant autour de son mouchoir et la gorge nouée par la douleur, elle ne parvient pas à respirer. Son avocat, Me Boguet, demande une suspension d'audience.
Alors, sans se retourner, Jocelyn Scaravetti quitte la petite salle d'assises aux murs blancs, sa feuille de convocation à la main.
* Les prénoms ont été changés.