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Pourquoi Google veut devenir fournisseur d'accès

Temps de lecture : 6 min

L'avenir du numéro un mondial des moteurs de recherche dépend beaucoup de la rapidité des connexions sur Internet.

La semaine dernière, Google a annoncé qu'il envisageait de lancer un réseau haut-débit «expérimental» dans plusieurs villes des Etats-Unis. Google deviendrait donc le fournisseur d'accès Internet (FAI) d'un petit nombre de clients (de 50,000 à 500,000 selon les villes choisies), offrant une alternative aux sociétés de câblodistribution et de téléphone qui se partagent aujourd'hui le marché.

Cette annonce est, en soi, loin d'être une surprise, puisqu'on sait que depuis quelques années déjà, Google achète de la fibre optique noire - un type de fibre extrêmement rapide installée durant le boom Internet des années 90, et restée inutilisée depuis - et les experts high-tech se doutaient bien que la société allait en faire quelque chose à un moment ou à un autre. Mais ce que à quoi personne ne s'attendait, c'est l'échelle du projet: Google a l'intention d'installer des connexions Internet à 1 gigabit seconde - soit 100 à 200 fois plus rapide que celle que vous avez à la maison.

Mais pourquoi Google se lance-t-il dans ce business? Simplement parce que son futur dépend d'une meilleure connexion Internet. Comme toutes les entreprises du Web, les activités de Google passent par vos lignes de câble, ou de téléphone. Le hic, c'est que les sociétés qui fournissent l'accès à Internet ne se montrent pas vraiment enthousiastes à l'idée de faire avancer les choses. Alors que tout ce qui tourne autour de Google évolue à un rythme effrené - les ordinateurs sont de plus en plus rapides, la capacité des disques durs augmente chaque jour, les logiciels ne cessent de s'améliorer - le haut-débit lui, stagne complètement. Il n'est ni plus rapide, ni plus étendu, ni moins cher. Et c'est la seule contrainte à laquelle Google fait face aujourd'hui - surtout aux Etats-Unis.

Et pourtant, ça n'est pas faute d'essayer depuis des années : Google a réussi à convaincre la Commission Fédérale des Communications (FCC) d'imposer un « accès ouvert » sur les mobiles nouvelles génération et obtenu du gouvernement l'ouverture des « whites spaces » (les plages de fréquences utilisées pour la télévision analogique) pour y déployer l'Internet sans-fil. Mais ses efforts pour révolutionner le haut-débit ne se sont pas montrés particulièrement payants. La société attendait beaucoup des systèmes Wi-Fi municipaux, mais beaucoup de villes ont abandonné l'idée après que les entreprises responsables d'une dizaines de réseaux ont saboté la mise en oeuvre du projet et décidé finalement de couper les vivres. (Google fournit toujours un accès Wi-Fi gratuit dans sa « ville natale » de Mountains View, en Californie.) Et sa tentative de court-circuiter les opérateurs de téléphonie mobile en vendant ses Nexus One directement aux consommateurs n'a pas l'air de nuire plus que ça à l'industrie des télécoms. Google n'aurait vendu que 20,000 Nexus One durant sa première semaine de commercialisation (contre 250,000 Droid chez Verizon, et 1,6 millions d'iPhone 3GS en exclu chez AT&T).

Un nouveau métier pour Google

Que Google veuille devenir un FAI, ça n'est pas une décision ordinaire. Eux-mêmes admettent qu'ils n'ont pas l'intention de poursuivre cette activité à long terme. Leur objectif, c'est simplement de montrer aux consommateurs la promesse d'un Internet très haute vitesse, mais sans devoir gérer les côtés pénibles de ce business, comme le service client ou le support technique - et on les comprend. C'est comme si j'avais une entreprise (très rentable) de coussins de voyage, et que je décidais de lancer ma propre compagnie aérienne, juste pour prouver aux autres compagnies qu'elles peuvent - et doivent - s'améliorer (et qu'elles attireraient plus de gens, et que ces gens utiliseraient plus de coussins).

Aussi extravagante qu'elle puisse paraître, cette histoire de FAI pourrait bien fonctionner, surtout si Google choisit les bonnes régions. Je conseille les pôles tech comme San Francisco, Austin, Boston, certaines zones autour de Washington D.C., et New York - là où des tas de gens veulent (et peuvent se permettre) un Internet ultra-rapide. Si Google parvient à détourner les clients de certaines entreprises de câblodistribution et de téléphone dans ces régions, ça poussera peut-être l'industrie des télécoms à fournir un meilleur service. Et ce sera d'autant plus vrai une fois que les gens auront fait l'expérience d'une connexion à 1GB. Le super haut-débit a les moyens de renverser le business model de toute une industrie : comme on sera de plus en plus nombreux à y avoir accès, on résiliera nos forfaits télévision et téléphone, et on pourra enfin tout stocker sur le nuage Internet. J'ai hâte.

L'internet américain: peu rapide et peu concurrentiel

Mais au train auquel vont les choses, il va falloir s'armer de patience, et attendre. De toute façon, c'est à peu près tout ce qu'on peut faire avec Internet en Amérique : attendre. Selon la société Akamai, qui publie un rapport trimestriel sur « L'état des lieux de l'Internet », la vitesse de connexion moyenne aux Etats-Unis est de 3,8 mégabits par seconde, ce qui nous place 18e du classement, derrière le Danemark, la République tchèque, la Lettonie, la Roumanie, Hong Kong, le Japon, et la Corée du Sud, leader mondial dont le débit moyen atteint 11 mégabits/seconde. Le pire, c'est qu'il n'y a pas qu'en termes de vitesse qu'on est à la traîne : le Harvard's Berkman Center for Internet & Society, qui vient de publier un rapport sur la qualité de l'Internet haut-débit américain selon certains critères comme la vitesse, le taux de pénétration, le prix, place le pays dans la « moyenne » des connexions large bande « première génération ». Mais le décalage est encore plus flagrant pour le haut-débit nouvelle génération : Akamai estime que 10% des clients sud-coréens possédant une connexion Internet haute-vitesse peuvent profiter de pointes à 25MBPS, contre 1% seulement aux Etats-Unis.

La raison d'un tel retard, c'est que les entreprises qui fournissent le haut-débit en Amérique n'ont pas de véritable concurrence. Pour avoir accès à Internet, les Américains doivent choisir une entreprise de câblodistribution ou bien de téléphone - et la plupart du temps, il n'y a qu'un seul fournisseur disponible. Toutes ces sociétés de télécoms savent qu'on ne peut pas se passer d'elles, et ne voient donc pas la nécessité d'améliorer leurs services. Et c'est là précisément que Google pourrait devenir le moteur du changement : ils savent déjà gérer d'énormes réseaux grande vitesse pour pas cher, possèdent les meilleurs data centers du monde, et ont une compétence inégalée pour déplacer des données d'un continent à un autre. Google n'a pas encore dévoilé le prix d'une connexion à 1GB, mais son savoir-faire suggère qu'il sera en mesure de facturer beaucoup moins que les entreprises qui squattent aujourd'hui le marché. Et certains auront du mal à résister aux sirènes d'une connexion haut-débit peu chère doublée de la satisfaction de plaquer sa compagnie de câble ou de téléphone.

Bien évidemment, Google ne fait pas tout ça par pure charité ; plus notre connexion Internet sera rapide, plus Google gagnera d'argent. Mais c'est une entreprise obsédée par la vitesse, et dont les ingénieurs sont constamment à la recherche de nouveaux moyens de propulser le contenu Google dans nos maisons. La pluart de ses choix en matière de design ont d'ailleurs été faits en prenant en compte ce paramètre. Pourquoi lorsqu'on effectue une recherche, la première page n'affiche que 10 résultats, et pas 20, ou bien 30 ? Parce que sinon, ça augmenterait d'une demi-seconde le temps de chargement de chaque recherche. Une demi-seconde c'est peut-être un détail pour vous, mais selon les tests effectués par Google, les gens chez qui on affichait 30 résultats au lieu de 10 faisaient 25% de recherches en moins.

Mais Google ne serait pas le seul à profiter d'un Internet plus rapide ; nous aussi. Avec une connexion 1GB on pourrait télécharger un film HD en seulement quelques minutes. Et parce que toute notre musique se trouverait sur un serveur, on y accèderait de n'importe où dans le monde. Les appels vocaux et vidéo seraient d'une qualité irréprochable, et on pourrait jouer à des jeux vidéo complexes sur des consoles à distance. Un grand nombre d'entreprises investissent déjà beaucoup d'argent dans des systèmes de vidéoconférence immersive qui recréent des réunions «réalistes» par le biais de projecteurs et de caméras HD. Ces systèmes, qui exigent d'énormes ressources notamment en termes de débit, pourraient réduire le coût des déplacements et stimuler le travail d'équipe entre des employés se trouvant sur des continents différents. On peut aussi envisager les possibilités de chirurgie robotique à distance : grâce à Internet, même si vous vous trouvez à des dizaines de kilomètres d'un hôpital réputé, vous pourriez quand même vous faire opérer.

Et tout ça, c'est dans la limite de ce que nos cerveaux nous permettent d'imaginer ; Internet, comme on a pu le constater, est une plateforme qui donne vie à des choses incroyables, des choses auxquelles nous n'aurions peut-être jamais pensé. Un super haut-débit c'est la promesse de voir un jour ces rêves se réaliser. Et on peut remercier Google d'y croire.

Farhad Manjoo est chroniqueur de Slate.com spécialisé dans les nouvelles technologies
Traduit par Nora Bouazzouni.

Image de une: Dessin d'artiste d'un véhicule supersonique, le Bloodhound SSC. DR

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