Matthias Le Goff est vice-champion du monde de natation. Après avoir tenu des propos homophobes en direct à la télé, il est obligé d'entraîner une équipe de water-polo gay, appelée Les Crevettes pailletées. Leur objectif: se qualifier aux Gay Games, une compétition sportive internationale réservée aux athlètes LGBT+.
Pendant que Matthias tente de devenir une personne décente, j'ai le ventre noué. Le film enchaîne les clichés sur les hommes gays, transforme son seul personnage trans en une vaste blague, minimise l'homophobie et rit de l'activisme des hommes qui ont survécu à la crise du sida.
L'hétéro sauveur de gays
Ne vous trompez pas, ce n'est pas parce que les membres des Crevettes pailletées sont sur l'affiche que ce film est sur eux. Non, ce film, c'est l'histoire d'un homme hétéro colérique qui va apprendre à devenir une meilleure personne et un meilleur père en fréquentant des hommes gays. Matthias va découvrir que les gays sont des êtres humains comme les autres (scoop!) à ceci près qu'ils se sont émancipés des injonctions à la virilité et ont survécu à la discrimination. À leurs côtés, il va alors pouvoir remettre en question son rapport à la masculinité et son refus d'exprimer ses sentiments et de profiter de la vie.
Les Crevettes pailletées ne sont pas de simples personnages unidimensionnels permettant de donner vie à l'arc de rédemption de Matthias, ce sont aussi des losers qui attendent d'être sauvés. Et quel meilleur sauveur qu'un homophobe? Car oui, Matthias est le véritable héros du film. Avant son arrivée, les Crevettes pailletées n'ont pas d'ambition, ils sont trop occupés à faire les idiots dans l'eau et au bar pour s'entraîner sérieusement. Cette bande de folles est bien incapable de se concentrer pendant plus de cinq minutes ou de fournir des efforts. Matthias va leur montrer comment se concentrer, travailler et obtenir des résultats. Heureusement que l'homophobe est là!
Oui, il est homophobe mais...
Si ce retournement de situation est possible, c'est que l'homophobie de Matthias lui est vite pardonnée. Oui, il a traité un journaliste de «pédé», oui il considère que les Crevettes pailletées sont des idiots, mais s'il accepte de nager dans la même eau qu'eux, c'est qu'il n'est pas si méchant!
À aucun moment, Matthias ne revient sur ses propos ou ne cherche à comprendre pourquoi il avait tant d'a priori sur les hommes gays. De toute façon, les gays du film ne lui en tiennent pas rigueur, son homophobie est mise sur le compte de l'ignorance. Une des Crevettes pailletées finit même par lui dire: «T'es pas homophobe, t'es juste un peu con.» Tout va bien alors. Faut-il rappeler que l'homophobie ne disparaît pas au contact d'une personne LGBT+? Qu'avoir un bon ami gay n'empêche pas d'être homophobe? Pour s'en défaire, il faut faire un travail sur soi, s'interroger sur ses actes et rechercher l'origine du problème. Bref, réaliser un exercice de déconstruction de ses stéréotypes et idées reçues.
Dans tous les cas, l'homophobie n'est pas un petit défaut que l'on peut ignorer. Traiter quelqu'un de pédé est grave, émettre des propos homophobes est dangereux. Les jeunes hommes gays grandissent toujours en 2019 en entendant ce genre de propos. Qu'importe qu'ils soient dirigés vers eux ou pas, ils vont intégrer que l'homosexualité est perçue par de nombreuses personnes comme une tare. Cela a des conséquences.
D'après le rapport annuel 2018 de SOS Homophobie, l'homophobie peut conduire les personnes LGBT+ à la tristesse, au repli sur soi, à l'inquiétude, l'angoisse, la dépression, aux conduites à risque et à des tentatives de suicide. Les jeunes LGBT+ seraient quatre à douze fois plus susceptibles d'essayer de se donner la mort que les jeunes hétéros, selon les études. La vie des personnes LGBT+ est aussi menacée par les autres. Quand une société accepte que des propos homophobes soient tenus, elle valide d'une certaine façon l'homophobie, créant un contexte favorable aux agressions homophobes. Parfois, les victimes n'y survivent pas. Bref, l'homophobie, même légère, contribue à créer un monde dans lequel la vie des personnes LGBT+ est en danger.
Les Crevettes pailletées aborde le sujet brièvement. Le personnage de Joël, un ancien militant, est là pour rappeler que les gays doivent toujours lutter contre l'homophobie. Il a le courage de dire ce que nous préférerions oublier et cela lui vaut les moqueries de ses camarades. Joël est réduit au cliché du militant embêtant qui empêche de s'amuser. Pourtant, c'est grâce aux sacrifices d'hommes comme lui que nous pouvons aujourd'hui avoir des films sur des hommes gays à l'écran.
Attention, clichés
Ici, les gays n'ont qu'une chose en tête: baiser. Dragueurs compulsifs, ils apprécient particulièrement draguer les hétéros. Une attitude qui laisse Matthias perplexe: «Mais pourquoi vous êtes obligés de montrer vos bites en permanence?», demande-t-il. On se demande aussi.
Autre cliché confirmé par Les Crevettes pailletées: tous les hommes gays aiment et sont capables de se transformer en drag queens à tout moment et en tout lieu. Les personnages du film n'ont ainsi aucun mal à offrir une représentation fabuleuse de Céline Dion en plein restaurant de campagne bavaroise. On y croit…
Le journaliste gay qui se fait traiter de pédé au début du film est, lui, un cliché de l'homo snob et désagréable. Être gay reviendrait, dans cet univers, à être soit prétentieux et ennuyeux soit léger et obsédé.
Les lesbiennes ne sont pas mieux traitées: on les y voit masculines, agressives, limite méchantes, et donnent un bon prétexte aux Crevettes pailletées d'enchaîner les propos sexistes. «Dans lesbienne, y a hyène», explique Joël.
Et puis, il y a Fred… Fred est une femme trans qui ne ressemble en rien à une femme trans. Drapée de robes Jean Paul Gaultier, juchée sur des cuissardes lamées, habillée de chapeaux géants, elle ressemble plutôt à une drag queen en représentation. Normal, Fred est jouée par Romain Brau, un homme cis qui performe en «créature travestie et chantante» (comme on dit au cabaret Madame Arthur où il travaille), oubliant un peu vite qu'une femme transgenre ne se déguise pas en femme, elle est une femme. La transphobie dont elle est victime est traitée avec autant de légèreté et d'incohérence que l'homophobie de Matthias.
Tout n'est pourtant pas à jeter et il faut saluer les efforts des deux réalisateurs et scénaristes, Maxime Govare et Cédric Le Gallo. Ainsi, l'agression des Crevettes pailletées à une station essence donne lieu à un débat au sein de l'équipe sur l'attitude à aborder dans la vie de tous les jours: faut-il se fondre dans la masse pour ne pas se faire embêter ou assumer et clamer son identité gay? Un micro-débat sur l'hétéronormativité bienvenu.
Et certains personnages sont plus intéressants: Alex, un homme noir et gay –oui, ça existe– qui réussit très bien dans la vie, Cédric un père de famille qui doit se faire à sa nouvelle identité de papa ou Vincent, un jeune homme qui a dû fuir sa campagne face à l'homophobie.
Une occasion ratée
Les personnages mis en scène dans Les Crevettes pailletées ne sont pas irréalistes en soi. Des Alex, Joël, Cédric, Fred ou Vincent, il y en a dans la vraie vie, et certains font du water-polo. Cédric Le Gallo, l'un des deux scénaristes et réalisateurs du film, en sait quelque chose: il fait partie de l'équipe de water-polo gay Shiny Shrimps. Mais ils ne représentent qu'une petite portion des LGBT+. Il y a autant de types de gays qu'il y a de types d'hétéros. Il est simplement dommage que Les Crevettes pailletées renforce des clichés dont les LGBT+ ont déjà du mal à se débarrasser: ceux des gays prédateurs sexuels, des militants casse-pieds, des femmes trans à la féminité ridicule ou encore des gays incapables d'arrêter de faire la fête pour élever un enfant.
Bien sûr, Les Crevettes pailletées ne pouvait pas représenter tous les gays de France. Ce n'est qu'une simple comédie. Mais les personnages de ce film grand public vont représenter les gays aux yeux de certaines personnes. On aurait pu croire qu'un réalisateur gay aurait compris l'importance de mettre des LGBT+ au centre de l'histoire, d'offrir un portrait nuancé des personnages gays, de condamner le harcèlement sexuel de certains, d'écrire un personnage trans réaliste voire de recruter une femme trans pour jouer ce rôle, ou encore de laisser de l'espace pour parler homophobie, transphobie et les condamner vivement. Mais non.
Bien sûr, le grand public ne sera pas le seul à apprécier ce film, de nombreuses personnes LGBT+ vont se ruer au cinéma et le recommander à leurs ami·es. Oh, le plaisir de se voir enfin représenter à l'écran, de voir des gays de tous âges et milieux sociaux au cinéma! Enfin! Mais la communauté LGBT+ mérite mieux. Elle mérite un film qui mette en scène des personnages réalistes au centre de son histoire, pas un film qui réconforte les hétéros qui se pensent tolérants.