Politique / Santé

«Ça nous tue depuis 50 ans»: les habitant·es de la Cité du Cancer témoignent

Temps de lecture : 3 min

La ville de Reserve compte la dernière usine des États-Unis à émettre du chloroprène. Là-bas, le risque de développer un cancer est cinquante fois supérieur à la moyenne nationale.

Des crabes |  Harshil Gudkavia Unsplash
Des crabes | Harshil Gudkavia Unsplash

Reserve est une petite ville de Louisiane, établie au bord du Mississippi, à une cinquantaine de kilomètres de la Nouvelle-Orléans. Avec un peu moins de 10.000 habitant·es, elle est surtout la ville où le risque de développer un cancer est le plus élevé du pays, en raison de la toxicité de l’air.

Usine à cancers

Il y a trois ans, l’Agence de protection de l'environnement (EPA) a mené une étude sur le terrain pour en évaluer les causes. L’usine de Pontchartrain Works, bâtie sur une ancienne plantation, fut désignée comme la principale responsable de ce risque cancérigène cinquante fois supérieur à la moyenne nationale.

Ayant appartenu pendant plusieurs décennies au grand groupe industriel de chimie DuPont, l’usine est désormais sous la direction de la société japonaise Denka. Elle est le dernier endroit des États-Unis à émettre du chloroprène, une substance chimique reconnue comme étant un facteur cancérigène probable – ce qu’ont contesté tour à tour les propriétaires de l’usine.

En dépit de ces dénégations, les habitant·es de la ville décrivent un quotidien marqué par l'indigence sanitaire. Oliver Laughland, Jamiles Lartey et Julie Dermansky livrent dans le Guardian un reportage mené auprès de cette population, principalement noire et pauvre.

«C’est ici que j’ai les moyens de vivre»

Il y a d’abord Augustine Dorris, une enseignante de soixante-dix ans à la retraite, qui explique: «je ne voulais pas mourir devant mes élèves. J’étais dans la salle de classe, je m’évanouissais et me réveillais avec les enfants qui couraient partout. Je ne savais pas où je me trouvais après les crises».

Celle qui peine à trouver son souffle pour raconter son histoire a passé sa vie à Reserve, à six pâtés de maison de l’usine. Ses crises d’épilepsie ont précipité sa retraite. Avant cela, elle a dû essuyer un cancer du sein, une mastectomie et une hystérectomie. Elle n’a jamais été complètement diagnostiquée pour ses crises d’épilepsie. Si elle n’a aucun doute quant à la responsabilité de l’usine, elle passera tout de même le reste de sa vie à Reserve: «c’est ici que je vis. C’est ici que j’ai les moyens de vivre».

Margaret Fiedler elle, avait déménagé de LaPlace à Reserve, il y a vingt-ans, pour se rapprocher de sa fille. Elle a atterri près de la clôture de l’usine, sans y penser à l’époque. «Il a fallu quelques années pour que les affections chroniques des sinus apparaissent. La tumeur a suivi plus tard, et lui a causé une douleur invalidante depuis», raconte le Guardian.

Après trois opérations chirurgicales, ses infections n’ont pas cessé, et elle subit des saignements de nez presque quotidiens. «Depuis près de cinquante ans, le glas sonne en continu», raconte Fiedler. «Mais comme nous sommes dans un environnement de production industrielle et que le taux de mortalité a une lente progression, nous ne sommes pas comptés». En attendant, elle, décompte les maladies rénales et les cancers de ses voisins, dont beaucoup sont morts jeunes.

Allen Schnyder, Lydia Gerard, Sheila Ivory… toutes et tous racontent différemment une même histoire, de proches disparus et de maladies chroniques. Ivory, qui avait l’habitude de chanter du gospel dans sa paroisse, y a ainsi découvert ses premiers symptômes en quelques années: «j’ai commencé comme une soprano. Maintenant je sonne juste comme une grenouille». Après deux opérations de la thyroïde, on lui a découvert un cancer, puis une tumeur de la glande surrénale. «Je n’avais aucun de ces problèmes avant de déménager ici», glisse-t-elle.

Une industrie à 80 milliards de dollars

Depuis les révélations de 2015 de l'EPA, aucun changement significatif n'a été entrepris concernant l'usine et la ville de Reserve. Bien que Denka ait signé en 2017 un accord avec l'État de Louisiane visant à réduire sa pollution, les taux demeurent démesurément élevés.

Démesuré, est également le chiffre d'affaires de l'industrie pétrochimique dans la région. En Louisiane, cette dernière génère près de 80 milliards de dollars par an, et représente deux emplois sur sept. Couplée à une faible protection de la part des syndicats, cette situation pose un terreau favorable à l'inaction politique.

Pendant un an, le Guardian a décidé de suivre ces habitant·es qui se battent pour un air pur, dans ce qui est devenu le «dépotoir de l’Amérique». Il livrera leurs récits.

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