Revoici le temps du «diktat de la Bundesbank». De l'Allemagne dictant ses volontés monétaires à l'Union européenne. La sévère crise financière grecque a redonné vigueur aux thèses orthodoxes que les Allemands avaient imposées à la création de la monnaie unique, même s'ils ne les ont pas toujours respectées. L'Europe à l'allemande, à tout le moins une Union économique et monétaire à la mode allemande serait-elle de nouveau à l'ordre du jour?
Le paradoxe serait alors que cette hégémonie des conceptions allemandes de l'Europe s'installerait à un moment où le gouvernement allemand n'aurait jamais été aussi faible. La victoire électorale de la coalition entre les chrétiens démocrates d'Angela Merkel et les libéraux de Guido Westerwelle n'est pourtant pas si lointaine. Un peu plus de cent jours qui ont suffi à montrer combien étaient divisés ces «partenaires de rêve» -c'était le slogan électoral d'Angela Merkel au sortir de quatre années de grande coalition avec les sociaux-démocrates.
D'accord sur rien
Si les élections avaient lieu maintenant, la coalition CDU/CSU-FDP n'aurait plus de majorité. Elle est entraînée vers le bas par le parti libéral (FDP) qui, d'après les sondages, a perdu la moitié de ses soutiens après trois mois au pouvoir. Bien que les deux partenaires aient signé un contrat de gouvernement de plus d'une centaine de pages, ils se sont vite aperçus qu'ils n'étaient d'accord sur rien. Le premier accrochage a eu lieu sur la fiscalité. Les libéraux ont fait campagne sur une baisse immédiate des impôts et une réforme en profondeur du système fiscal. Las, les caisses de l'Etat et des collectivités locales -ça compte beaucoup dans un Etat fédéral- ne tolèrent aucune générosité. D'autant que dans le même temps, le gouvernement s'est lié les mains en adoptant un amendement constitutionnel qui limitera dans les prochaines années le déficit budgétaire. Le ministre des Finances, le chrétien-démocrate Wolfgang Schäuble, a renvoyé aux calendes grecques la réforme fiscale, au grand déplaisir des libéraux. Ceux-ci ont cependant pu faire passer une baisse de la TVA au profit des hôteliers et restaurateurs. La mesure s'est retournée contre eux quand on a appris que le propriétaire de la grande chaîne Mövenpick avait largement financé la campagne électorale du FDP.
Le deuxième thème de friction concerne le système de santé. Le ministre libéral en charge de ce dossier est arrivé avec l'intention de démanteler l'assurance-maladie publique au profit des caisses privées. Là encore, il s'est heurté à l'opposition de la CDU et surtout de la CSU bavaroise, soucieuse d'arrêter la baisse de sa popularité par la défense des acquis sociaux.
Le ministre de l'Environnement, un chrétien-démocrate, n'a rien arrangé quand il s'est rallié à une «sortie de l'atome» telle que l'avait prévue les gouvernements de gauche. Il flattait certes la fibre écologiste qui sommeille dans tout Allemand quelle que soit son appartenance partisane, mais il heurtait de front les libéraux partisans de la relance de l'énergie nucléaire et aussi l'industrie électrique allemande que soutient une majorité de chrétiens-démocrates.
Les «paresseux qui vivent de l'assistance publique»
Enfin, le président du parti libéral lui-même, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a mis le feu aux poudres en stigmatisant les chômeurs qui gagnent plus, en ne faisant rien, que beaucoup de salariés. Si nous continuons à ne pas récompenser ceux qui font des efforts, nous sommes guettés par la décadence de l'empire romain, a-t-il dit en substance. L'occasion de cette diatribe lui a été donnée par le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe qui a jugé que les allocations chômage ne prenaient pas suffisamment en compte le coût de l'éducation des adolescents dans les familles de sans-emploi. Depuis, il ne se passe pas un jour sans que Guido Westerwelle ne dénonce les paresseux qui vivent de l'assistance publique alors qu'ils pourraient se rendre utiles, par exemple en déblayant la neige des trottoirs...
Face à ces dissensions au sein de son propre gouvernement, Angela Merkel se fait très discrète. Elle a simplement fait dire par sa porte-parole que le ton de son allié libéral ne correspondait pas à «sa propre diction». Elle se sent plus à l'aise sur le parquet international que dans le microcosme berlinois et elle en vient à regretter, dit-on, le bon temps de la grande coalition avec les sociaux-démocrates (SPD), qui étaient au moins des alliés raisonnables et respectueux. A tel point que les bruits commencent à courir sur la possibilité d'une autre coalition, entre les chrétiens-démocrates et les Verts. Ces derniers profitent de la relative discrétion du SPD et des déboires du parti libéral. Ils n'ont jamais été aussi haut dans les sondages, alors que toute la classe politique allemande a les yeux rivés sur le Land de Rhénanie-Westphalie, où des élections auront lieu au mois de mai.
Elections-clé
Ce scrutin est important à deux titres. A Düsseldorf, la coalition est actuellement la même qu'au niveau fédéral: une alliance entre les chrétiens-démocrates et les libéraux. Si elle perd le pouvoir -ce que semble annoncer les sondages-, le gouvernement d'Angela Merkel n'aura plus de majorité au Bundesrat, la Chambre des Etats, et ne pourra plus faire passer ses réformes qu'au prix de compromis permanents avec l'opposition. Cette coalition pourrait être remplacée par un gouvernement dit «noir-vert», entre les chrétiens-démocrates et les écologistes. Ce serait une première dans un grand Etat régional, et peut-être un galop d'essai pour une alliance au niveau fédéral. Un cauchemar pour les libéraux qui ont passé onze ans sur les bancs de l'opposition et pour Guido Westerwelle, un jeune homme ambitieux, qui s'est donné pour but de ramener son parti au centre de la vie politique allemande. Mais il n'est pas sûr que ses accents populistes lui attirent des sympathie durables et certainement pas le soutien d'une chancelière dont la modération est la marque de fabrique.
Daniel Vernet
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Image de Une: Le Reichstag Thomas Peter / Reuters