Quand il s'agit du dalaï-lama, les dirigeants chinois peuvent se fâcher avec n'importe qui, et même les Etats-Unis. En 2008, il semblait facile en Chine d'encourager l'opinion à s'en prendre à la France, pays de taille moyenne. L'irritation de Pékin à l'égard des Etats-Unis apparait de même nature après l'entretien entre le président américain et le dalaï-lama, le 18 février.
Quand la Chine exige de Barack Obama qu'il ne reçoive pas le leader spirituel tibétain, elle exprime sa colère, sans espérer bien sûr obtenir gain de cause. Après la rencontre, la protestation s'adresse aussi à l'opinion chinoise: «les normes des relations internationales ont été grossièrement violées» et «la relation américano-chinoise est gravement atteinte». La Chine, dont l'économie est en passe d'accéder au deuxième rang mondial, se permet sans complexe de sermonner la puissante Amérique. De Pékin, celle-ci apparait comme économiquement mal en point et alourdie par une dette dont le financement est largement aux mains de la Chine.
Réprobation
Il est fini le temps où, sur le Tibet, les dirigeants chinois pouvaient être nuancés. Le 10 décembre 1998, pour le cinquantenaire de la déclaration universelle des droits de l'Homme, Jacques Chirac reçoit le dalaï-lama à déjeuner à l'Elysée parmi d'autres lauréats du Prix Nobel. La Chine ne publie qu'un communiqué de réprobation. En mai 2008, Gordon Brown prévient par téléphone le Premier ministre Wen Jiabao de sa rencontre avec le dalaï-lama quelques jours plus tard à la résidence de l'archevêque de Canterburry. Pékin se contente de faire part de son «profond mécontentement». Quant aux présidents américains, depuis George Bush père, ils ont tous rencontré le leader tibétain en prenant soin que ce ne soit jamais dans le bureau ovale de la maison blanche et sans tenir compte des rituelles réactions chinoises.
Aujourd'hui, la colère chinoise prend de l'ampleur quand d'autres contentieux sont en cours avec le pays qui accueille le dalaï-lama. En mars 2008, après la répression des manifestations de Lhassa, Nicolas Sarkozy est le seul chef d'Etat occidental à annoncer qu'il n'ira à l'inauguration des Jeux Olympiques que si les autorités chinoises reprennent un dialogue avec des envoyés du chef tibétain en exil. Cette conditionnalité met en fureur le parti communiste chinois qui organise néanmoins quelques séances de dialogue sans résultats. Mais le parcours chahuté de la flamme olympique dans Paris n'arrange pas la relation franco-chinoise. Et après les JO, quand Nicolas Sarkozy, alors Président du Conseil européen, s'apprête à rencontrer le dalaï-lama en Pologne, Pékin annule le sommet économique Europe-Chine qui devait se dérouler à Lyon en présence de Wen Jiabao.
Insistance américaine pour une réévaluation du yuan, vente d'armements à Taiwan, réticence chinoise à des sanctions contre l'Iran: les sujets de discordes ne manquent pas actuellement entre Pékin et Washington. La rencontre du 18 février n'en est que davantage dénoncée par la Chine. Le dalaï-lama est au centre d'enjeux politiques qui dépassent sa cause.
Raisons internes
Recevoir le dalaï-lama permet à Barack Obama d'affirmer qu'il n'est pas dépendant des injonctions chinoises. Mais côté chinois, la vigueur de la dénonciation répond aussi à des raisons internes. A Pékin, les partisans de la sinisation et de la priorité au maintien de l'ordre sont visiblement en position de force. Les dirigeants qui pourraient préconiser une certaine libéralisation au Tibet doivent se ranger à la fermeté de la majorité. Dénoncer «le chacal en habit de moine réfugié en Inde avec sa clique» fait partie du vocabulaire obligé jusque dans les plus hautes instances du parti communiste chinois.
Au comité central, le département du Front Uni gère les relations avec les institutions non communistes. En janvier, cette administration a été chargée d'organiser une nouvelle séquence de dialogue avec deux émissaires habituels du dalaï-lama. En préambule, ils ont été invités à aller visiter la maison natale de Mao Zedong dans le Hunan. Puis au bout d'une semaine, les négociateurs chinois et tibétains ont une nouvelle fois constaté qu'ils étaient dans l'impasse. «Le dalaï-lama ne représente pas les Tibétains, ses envoyés ne sont venus qu'à titre privé, nous n'avons pas à parler avec eux de la situation dans cette province chinoise» a résumé en conférence de presse Zhu Weiqun, vice-directeur du département du Front uni. Cet homme autoritaire craint apparemment d'avoir oublié un argument contre le dalaï-lama quand il demande aux journalistes «ai-je bien répondu à votre question?»
Dans le Parti, les discussions sino-tibétaines de fin janvier avaient sans doute pour but de confirmer l'impossibilité de tout accord. Au département du Front uni, un autre bureau est chargé des relations avec le Vatican, sujet sur lequel les communistes chinois n'ont jamais progressé non plus.
Richard Arzt
Image de Une: Le dalaï-lama après sa rencontre avec Barack Obama, REUTERS/Yuri Gripas