Égalités / Culture

«Clitoris», «vagin» et «utérus» sont des termes sexistes

Temps de lecture : 5 min

Vous pensiez les parties intimes du corps féminin libres et indépendantes? Erreur. Par les termes choisis pour les définir, elles sont elles aussi l'incarnation de la domination patriarcale.

Le mot «vagin» dénomme «une gaine, un fourreau où était enfermée l'épée». | Charles via Unsplash
Le mot «vagin» dénomme «une gaine, un fourreau où était enfermée l'épée». | Charles via Unsplash

Cet article est publié en partenariat avec l'hebdomadaire Stylist, distribué gratuitement à Paris et dans une dizaine de grandes villes de France. Pour accéder à l'intégralité du numéro en ligne, c'est par ici.

Si vous vous intéressez un peu au corps féminin, vous serez ravi·e d'apprendre que c'est un territoire sur lequel l'homme n'a évidemment pas pu s'empêcher de jouer à l'explorateur sexuel géographe en nommant de son propre chef les parties intimes comme si elles étaient une terre vierge à conquérir. Résultat: les noms de dieux mythologiques ou de vieux anatomistes blancs squattent aujourd'hui toute la zone du bassin féminin.

Pour cette raison, de plus en plus d'organismes et de personnalités comme la physicienne australienne Leah Kaminsky ou la professeure de sciences cognitives Lera Boroditsky (Université de Californie à San Diego) militent pour changer le nom des parties intimes féminines. L'été dernier, le très reconnu et suivi healthline.com, site médical américain, a proposé à son tour un guide sexuel dans lequel certaines parties génitales ont été renommées afin d'être plus inclusives.

L'idée? Sonner le glas des clichés liés au genre ainsi que la domination du masculin dans le corpus des connaissances médicales; car comme l'indiquait la sexologue américaine Kenna Cook dans un article pour le site Bustle, en janvier 2018: «Les mots liés au sexe dans l'anatomie sont faits pour renforcer l'hétéronormativité et une idée du sexe uniquement basée sur la reproduction.» Petit tour d'anatomie qui montre qu'il serait peut-être temps d'envisager une sérieuse séance de renaming (comme on dit chez les marketeux).

1. Le clitoris

Le nom de l'appendice le plus méconnu et incompris de l'histoire vient du grec ancien kleitoris: c'est-à-dire ce qui sert à fermer, un verrou ou une clé. Dans son étude «De l'anachronisme et du clitoris», issue de l'ouvrage collectif Le Français préclassique (éd. Champion, 2011), la professeure de littérature Michèle Clément explique: «Le verbe grec “cleitoriazein” et le substantif “cleitorida” apparaissent déjà chez Rufus d'Ephèse [médecin romain de renom, ndlr] dans son traité Du nom des parties du corps humain (vers Ier ou IIe siècle ap. J.-C.); il mentionne les deux mots lorsqu'il nomme les “parties honteuses de la femme”.»

La linguiste y rappelle également qu'à l'époque, l'utilisation du mot servait à désigner indifféremment les parties extérieures du sexe féminin, venant confirmer le désintérêt des médecins pour cette partie du corps et ce, jusqu'au milieu du XVIe siècle.

Et si on disait…
«Éminence». Puisque le mot sert en anatomie à désigner tout ce qui peut être une bosse, une excroissance ou un appendice et que, dans le langage courant, il désigne, selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales: «Le haut degré d'élévation, de grandeur et de supériorité de quelqu'un ou quelque chose.»

2. Le vagin

Dit à l'anglaise («veujaïïna»), le mot vagin sonne comme un synonyme d'empowerment féministe. Pourtant, le mot vient du latin vagina qui dénomme «une gaine, un fourreau où était enfermée l'épée». Une fois de plus, le mot désigne par extension la vision hétérosexuelle masculine et hétéronormée du sexe: le vagin ne servirait donc qu'à envelopper un pénis. La première occurence du mot vagin date de 1674 quand Nicolas de Blégny, essayiste et chirurgien français, l'a utilisé dans son ouvrage Observations curieuses et nouvelles sur l'art de guérir la maladie vénérienne. Info bonus: à la suite de ces travaux remarquables, le scientifique a été nommé chirurgien de la Reine en 1678.

Et si on disait…
Le site médical américain Healthline propose sérieusement de remplacer le mot vagin par l'expression trash mais pragmatique «front hole» –comprenez «trou de devant». À vous de voir.

3. L'utérus

«Utérus» vient du grec ancien hysterica, un terme qui a aussi donné le nom hystérie (vous connaissez l'histoire par cœur). Hippocrate, le père de la médecine, et ses copains grecs ont été les premiers à avancer le fait que l'utérus était particulièrement enclin à perdre les pédales (ainsi qu'à produire des émanations toxiques) quand il était infructueux. Et que la seule solution pour y remédier était le mariage…

L'idée a persisté à travers les siècles au point que l'hystérie devienne un diagnostic médical automatique dans une profession dominée par des médecins hommes, qui, pour en guérir les femmes, prônaient un massage des parties génitales afin de déclencher des «paroxysmes». Pour rappel, l'hystérie n'a été enlevée de la liste des maladies modernes de l'association américaine psychiatrique qu'en 1952.

Et si on disait…
«Nidus», soit «nid» en latin. Parce que l'utérus est le nid de la vie et qu'on voulait que ça sonne ancien et scientifique.

4. Les trompes de Fallope

Les trompes de Fallope tirent leur nom de leur découverte par le chirurgien, naturaliste, botaniste et anatomiste Gabriel Fallope au XVIe siècle, établi dans les Pouilles. Il a aussi donné son nom au ligament qui touche lesdites trompes sous le nom de ligament de Fallope. On le connaît aussi pour avoir fait l'analogie entre le clitoris et la verge et pour avoir reconnu que celle-ci ne pénétrait pas l'utérus durant le coït. Mais ce n'est pas une raison pour mettre son nom partout.

Et si on disait…
«Salpinx». Selon le dictionnaire de l'Académie de médecine fondée en 1820, on ne parle plus de trompes de Fallope mais de tubes utérins ou de salpinx, le salpinx désignant ce petit instrument à vent de la famille des trompettes utilisé en Égypte antique. Et en grec ancien, salpinx signifie (on vous le donne en mille): trompette. CQFD.

5. Les glandes de Bartholin

Dans l'épaisseur des grandes lèvres de l'appareil génital féminin se cachent les glandes de Bartholin. Elles se nomment ainsi d'après l'anatomiste danois Caspar Bartholin le Jeune, qui en a simplement fait la description au XVIIe siècle en se rendant compte qu'elles étaient à l'origine de sécrétions filantes, incolores et lubrifiantes facilitant la pénétration du pénis lors de rapports sexuels.

Et si on disait…
Aujourd'hui, d'après le dictionnaire médical de l'Académie de médecine (encore lui), on nomme désormais les glandes de Bartholin «glandes vestibulaires majeures». Un progrès. Cela dit, l'infection dont elles peuvent être victimes se nomme toujours «bartholinite»… Essaie encore.

6. L'hymen

L'hymen tire son nom du dieu grec Hymen ou Hyménée, le dieu du mariage, mort écrasé sous sa maison le jour de ses épousailles (ce qui en dit long sur l'obsession dont l'hymen féminin fait l'objet lors de la nuit de noces). On attribue au dieu Hymen de nombreuses légendes: il serait un magnifique jeune homme blond ayant délivré des jeunes filles vierges enlevées par des pirates et aurait exigé, pour les rendre à leurs parents, d'obtenir la main de sa préférée, même si celle-ci le dédaignait. Sympa. C'est André Vésale, considéré comme le plus grand anatomiste de la Renaissance, qui, au XVIe siècle, a mis le nom d'hymen au goût du jour en s'en servant pour désigner la membrane qui couvre partiellement l'ouverture du vagin.

Et si on disait…
En 2009, l'association suédoise pour l'éducation sexuelle a sorti un livret d'information sur l'hymen qu'elle a préconisé de renommer «couronne vaginale». Problème: la couronne renvoie aussi au mariage et à la mythologie tout en étant associée au mot vaginal, lui aussi problématique. Voilà pourquoi l'autrice suédoise Therese K Agdler a prôné dans une chronique publiée dans l'Östersund Posten la même année, l'utilisation de l'expression «pli de la muqueuse».

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