Économie

Toyota, c'est plus fort que toi

Temps de lecture : 5 min

Le bug du constructeur japonais ne doit pas nous faire oublier que l'électronique rend les voitures bien plus sûres. Le point faible reste l'humain.

Quand les propriétaires de Toyota Prius amèneront leur voiture chez le concessionnaire, il ne faudra qu'une trentaine de minutes à celui-ci pour réparer le véhicule. Même si le rappel de la marque japonaise concerne un défaut du système de freinage, pour le corriger, nul besoin d'enlever les roues, de soulever le capot, ni même de toucher aux freins. Car il ne s'agit pas d'un défaut mécanique, mais d'une faille logicielle.

La Prius, comme d'autres voitures hybrides, possède un système de freinage régénératif — lorsqu'on appuie sur la pédale de freins, une partie de l'énergie du véhicule recharge la batterie. Mais sur certains modèles construits en 2010, le programme qui contrôle le système de freinage est défectueux, ce qui provoque parfois un décalage entre le moment où l'on appuie sur la pédale, et le moment où la voiture freine effectivement. Pour remettre tout ça en ordre, votre concessionnaire n'aura qu'à télécharger et ensuite installer une nouvelle version du logiciel sur votre Prius — comme un correctif de sécurité Windows, quoi.

Vous trouvez ça un peu bizarre? Vous ne devriez pas. De nos jours, les voitures sont bourrées d'électronique. Certains estiment même qu'il y a autant de logiciels sur les nouvelles voitures que dans votre PC. Autant de petits programmes qui contrôlent des milliers de fonctions comme le verrouillage des portes, la position des sièges, ou le démarrage. La transmission n'y échappe pas: des composants électroniques déterminent la bonne vitesse et adaptent en permanence certains éléments subtils afin d'optimiser la consommation de carburant. Le fonctionnement de la plupart des systèmes de sécurité — airbags, régulateurs de vitesse, contrôle de stabilité — dépend lui aussi en grande partie de logiciels.

Et comme c'est le cas pour la Prius et son système de freinage, les ordinateurs font désormais partie intégrante de nos voitures, et se sont greffés sur ce qu'on considérait auparavant comme des parties purement mécaniques. Un grand nombre de véhicules — y compris les Toyota concernées par le rappel — disposent aujourd'hui d'un «contrôle électronique de stabilité» (ESP), c'est-à-dire qu'il n'y a plus de connexion physique entre votre pied et le moteur. Lorsque vous accélerez, la pédale n'actionne aucun câble — comme dans les vieilles voitures, mais envoie un signal électronique à l'accélérateur pour que celui-ci brûle plus de carburant.

Les systèmes de direction électronique les plus avancés, ou «steer-by-wire», ont carrément remplacé l'arbre et la colonne de direction. Quand vous tournez à droite, la voiture envoie un signal au moteur pour changer l'orientation des roues. En fait, votre volant fonctionne un peu comme celui de votre Xbox.

L'informatique me passionne, et je m'amuse parfois de la place qu'occupent aujourd'hui les ordinateurs dans nos vies. Pourtant, l'informatisation des voitures est une chose qui me terrifie. Et tout cet imbroglio autour de Toyota prouve que je suis loin d'être le seul. Le constructeur affirme n'avoir trouvé aucun lien entre les problèmes d'accélération soudaine de certains véhicules et un potentiel défaut du régulateur de vitesse. Mais clients et agents de la sécurité publique ne sont pas convaincus; après tout, on ne sait pas vraiment ce qui se passe dans ces ordinateurs.

Ces craintes sont tout-à-fait compréhensibles, bien qu'irrationnelles. Même si ça peut nous sembler effrayant, introduire des ordinateurs dans nos voitures a plus d'avantages que d'inconvénients. D'abord, les voitures vont commencer à évoluer et progresser au même rythme que les ordinateurs. Ensuite, la beauté d'un logiciel, c'est qu'on peut le mettre à jour à distance. Plus le temps passe, et plus le téléphone portable que vous avez acheté hier s'améliore, profitant de nouvelles fonctions disponibles en téléchargement.

Bientôt, ce sera pareil pour les voitures: grâce à des correctifs logiciels, elles économiseront plus de carburant et leurs systèmes de sécurité seront plus sûrs. Si un problème est détecté, il sera bien plus facile de le corriger. Les rappels comme ceux de la Prius ne seront plus nécessaires, puisque dans le futur, votre voiture sera capable de se mettre à jour toute seule si quelque chose ne va pas, comme votre PC télécharge des correctifs pendant que vous dormez.

Pour beaucoup de gens, la perspective n'est pas réjouissante. Nous n'aimons pas l'idée que des ordinateurs contrôlent nos voitures, parce qu'un logiciel, c'est quelque chose d'assez opaque. Autant il est plutôt simple de comprendre ce qui relie mécaniquement la pédale d'accélération au moteur, autant lorsqu'il s'agit d'un ordinateur, on est perdus. Et puis avec l'informatique, c'est plus difficile de savoir quand quelque chose cloche.

Si on entend un grincement bizarre quand on tourne le volant, ça vient sûrement de la colonne de direction, et il va falloir aller au garage pour la faire réparer (ou le faire soi-même). Mais si à la place de la colonne il y a simplement un ordinateur, il faudra faire confiance à la machine pour qu'elle s'auto-diagnostique — surtout que comme vous n'avez pas accès à l'ordinateur, vous pouvez oublier le bricolage maison.

Un logiciel, ça n'est jamais infaillible, et dans des systèmes extrêmement complexes, les erreurs sont inévitables. Chez Microsoft, on considère qu'un système d'exploitation est prêt à être commercialisé s'il présente moins de 500 bugs connus. Et attention, il s'agit uniquement de ceux qu'on connaît, donc qu'on peut prévoir: un logiciel c'est toujours très difficile à tester, et certaines erreurs ne peuvent tout simplement pas être détectées à l'avance.

Les ordinateurs font tellement de choses à la fois qu'on ne peut pas prédire leur comportement dans une situation réelle donnée. Toyota a engagé des ingénieurs indépendants pour examiner le régulateur de vitesse de leurs véhicules. Mais de la même manière qu'il est souvent impossible de reproduire la combinaison d'erreurs qui a fait planter votre PC, ils ne seront pas en mesure de tester toutes les situations qui pourraient causer une défaillance du régulateur. Voilà ce que ça coûte de remplacer la mécanique par l'électronique. Ça rend nos voitures plus complexes, et le prix à payer, c'est l'incertitude. Comme dirait Donald Rumsfeld, nous voilà avec encore plus d'inconnues inconnues.

Mais est-ce qu'on est beaucoup mieux, nous autres êtres humains? On reproduit les mêmes échecs, parfois prévisibles et facilement évitables; on conduit trop vite ou trop lentement pour certaines conditions; on prend le volant quand on est saoûl, fatigué, ou distrait; on laisse les gens conduire alors qu'ils sont trop jeunes, ou bien trop vieux. Nous avons une perception sensorielle limitée — notre champ de vision comporte des angles morts, et nous ne sommes capables ni de répondre à plusieurs stimuli en même temps, ni de juger correctement des conditions de conduite changeantes. On a aussi tendance à laisser nos émotions prendre le dessus, alors qu'on est par exemple en train de conduire un véhicule dangereux.

Beaucoup d'études ont cherché à déterminer les causes des accidents de la route. Toutes aboutissent à la même conclusion: la plupart du temps, il s'agit d'une erreur humaine. Le plus gros avantage de l'informatisation des voitures, c'est précisément ce qui nous terrifie le plus, que l'électronique commence à l'emporter sur l'humain. Mais nous sommes ce qu'il y a de plus dangereux dans la voiture que nous conduisons. Moins il y aura de gens au volant, mois il y aura de morts sur la route.

L'informatique intervient déjà dans certaines situations qui autrefois dépendaient uniquement du conducteur: un grand nombre d'automobiles sont équipées d'un système «cruise control» autonome, qui utilise un laser ou un radar pour déterminer si votre voiture se trouve trop près d'un autre véhicule, et la ralentir automatiquement. Il y a aussi le contrôle électronique de stabilité, un ordinateur qui surveille constamment vos roues et ramène votre véhicule dans la bonne direction si vous vous mettez à déraper.

Laisser l'électronique prendre certaines décisions à notre place, c'est effrayant seulement si on pense que l'être humain est infaillible. Et ça n'est pas mon cas. Bien sûr que ça m'agace qu'un ordinateur conduise ma voiture, mais je suis bien content qu'il conduise la vôtre.

Farhad Manjoo

Traduit par Nora Bouazzouni

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Image de une: syndicaliste américain d'une usine Toyota en Californie contre la fermeture d'une usine en 2009. REUTERS/Robert Galbraith

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