Cette fois, évidemment, Jean-Pierre Treiber a trouvé le moyen de prolonger son évasion. Là où il est, aucune escouade de police n'ira le reprendre. Sa tranquillité est garantie, et pour l'éternité. Les gardiens du quartier d'isolement de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis ont trouvé son corps sans vie, à la ronde de 7 heures du matin samedi 20 février, pendu dans sa cellule. Une heure plus tôt, à la ronde précédente, ils n'avaient rien constaté d'anormal. Treiber dormait, ou le faisait croire.
Le meurtrier présumé de deux jeunes femmes, en 2004, Kathie Lherbier et Géraldine Giraud, la fille du comédien Roland Giraud, savait qu'il n'échapperait probablement pas à une très longue peine de prison après son procès, prévu en avril. Il se retrouvait en effet seul accusé d'un fait divers à rebondissements qui a passionné la presse et l'opinion, après que le magistrat instructeur ait définitivement abandonné toute poursuite contre Marie-Christine Van Kempen, la tante de Géraldine Giraud, soupçonnée, un temps, d'avoir pu être sa complice. Les preuves directes du double meurtre manquaient toujours. Jean-Pierre Treiber avait été appréhendé en possession des cartes bancaires des jeunes femmes, ce qui témoignait de son implication dans l'affaire. Puis, les enquêteurs avaient retrouvé les corps des victimes dans un puisard creusé dans sa propriété de Villeneuve-sur-Yonne (Yonne).
Manque peut-être, les policiers ont longtemps envisagé une telle hypothèse, un complice. Celui ou celle dont la force physique aurait été nécessaire à Treiber pour l'aider à tuer les deux femmes, à transporter leurs corps et à les jeter au fond du puits - si cette thèse est la bonne. Un complice qui doit respirer un peu mieux aujourd'hui. Pendant son évasion, l'automne dernier, de la prison d'Auxerre, et sa cavale de près de deux mois, entre Melun et les forêts de Seine-et-Marne, le fugitif avait expliqué qu'il s'était enfui pour faire la preuve de son innocence. Il a été capturé, après un long feuilleton rocambolesque, sans avoir modifié le cours de sa tragédie judiciaire.
Depuis la découverte de son corps, le 20 février, à la maison d'arrêt, les autorités diligentent des enquêtes, judiciaire et pénitentiaire, car déjà, des voix s'élèvent pour s'étonner qu'on puisse se suicider dans une cellule du quartier d'isolement. La réponse est simple: on peut toujours se suicider en prison. Même s'il n'y a rien, aucun crochet, aucun tuyau à quoi se suspendre. Un détenu célèbre, l'adjudant Pierre Chanal, lui aussi très surveillé, était parvenu, juste avant de comparaître, à se trancher l'artère fémorale au moyen d'une lame de rasoir, et à se laisser mourir, sans un murmure, sous ses couvertures.
Chaque année, environ cent détenus réussissent ainsi à échapper à leur enfermement. La communauté pénitentiaire a d'ailleurs toujours considéré, sans le dire, bien sûr, que cette forme d'évasion était un droit, l'un des derniers, en prison.
Jean-Pierre Treiber part avec ses mystères, ceux d'une vie, d'un crime, d'une cavale tout de même de légende. Sans doute laisse-t-il peu de regrets. Sauf à une femme, peut-être: Blandine Stassart, cette ancienne connaissance qui était tombée amoureuse de lui en 2004, et qui ne l'a jamais abandonné. Elle a défendu son innocence durant sa cavale, s'est entremise malgré la surveillance dont elle faisait l'objet. Ils devaient se retrouver non loin d'un arbre, que Treiber avait marqué d'un cœur rouge, en lisière de la forêt de Bombon (Seine-et-Marne), ou au moins échanger des messages tendres, cachés dans un creux, à la base du tronc. L'arbre de recevra pas leur visite conjointe. Jamais. Le cœur, dans l'écorce, pourra toujours servir de point de ralliement à d'autres. A charge pour ceux-là d'avoir une pensée pour les héros disparus d'une histoire épouvantable et triste.
Philippe Boggio
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Image de Une: Les couloirs de la prison de Fleury-Mérogis dans sa partie rénovée Reuters