«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Je m'appelle Paul, j'ai 29 ans et je suis en couple avec la même femme depuis dix ans. On s'est donc connus très jeunes, on a beaucoup évolué, et j'avoue me poser des questions sur notre relation, sans obtenir de réponse par moi-même.
Depuis toutes ces années, on a connu des hauts et des bas, des périodes plus creuses que d'autres. Les deux dernières années, c'était plutôt un creux. Ma compagne a enchaîné un job qui s'est mal passé avec une année de chômage. Elle avait besoin de temps pour s'en remettre. Je peux comprendre ça. Après, elle s'est beaucoup refermée sur elle-même et ça a pesé sur notre couple, nos sorties, nos amis. Bref, ça fait un moment que j'attends un «ça sera mieux après». J'ai peut-être tort, je pense aux années précédentes, à comment c'était, en me disant que ça reviendra. C'est d'autant plus pesant que je suis à une période de ma vie où j'entreprends beaucoup, j'avance et j'ai l'impression que l'on ne va pas au même rythme. Bref.
Il y a quelques mois, il y a eu un changement dans notre vie: on a tous les deux eu une proposition professionnelle qui ne se refuse pas, mais dans deux villes séparées. On a donc pris chacun notre logement, après cinq ans de vie commune. On se voit deux week-ends sur trois (on se garde un peu de temps de repos, pour ne pas être en permanence dans les transports), cela doit durer quelques mois, jusqu'à ce qu'elle me rejoigne.
Seulement voilà, passée la période de chaos liée au double déménagement et à la double prise de poste... je ne me sens pas si mal tout seul. Même plutôt bien. Elle me manque, parfois moins, mais je ne sens pas l'envie irrépressible de la revoir. Je suis peut-être un odieux idéaliste de penser que ce désir devrait encore exister après toutes ces années.
Le «ça sera mieux plus tard» était censé être dans quelques mois, quand elle me rejoindra, plus épanouie après une expérience professionnelle enrichissante et dans une nouvelle ville. Le compteur tourne, mais je n'arrive pas à me décider, à savoir ce que je veux vraiment. J'ai peur de mettre fin à une relation qui a la capacité de me rendre heureux d'ici quelques mois, mais j'ai aussi peur de revenir à la situation d'avant la «séparation provisoire» qui m'avait rendu malheureux ces quelques mois. Cette relation, c'est un tiers de ma vie. Ma compagne est peu expressive sur ses sentiments, même si elle dit m'aimer, mais ce manque d'expressivité fausse peut-être mon jugement.
Bref, si sur cette route inconnue, tu pouvais me jeter quelques ampoules, je les prendrais volontiers.
Paul
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Cher Paul,
On vit toujours plusieurs histoires en une. Il y a ce qu'on projette, les fantômes de relations passées et celles que l'on a fantasmées. Il y a l'histoire et puis différentes versions de cette histoire, avec différents filtres. Dans les relations de quelques années, c'est normal de traverser des zones de turbulences. C'est normal d'accompagner l'autre quand la route est moins belle et facile, et on peut attendre de son ou sa partenaire qu'il ou elle en fasse de même. Seulement, je crois qu'il y a un élément sur lequel il ne faut pas transiger: il faut toujours y croire. Et là, dans vos mots, j'ai l'impression de lire que vous n'y croyez plus.
Vous parlez de cette relation idéale des débuts, de ce que celle du futur pourrait être. Vous vous complaisez dans un fantasme de cette histoire.
Vous rendre compte par la distance que vous êtes tout aussi heureux seul ne fait pas de vous un salaud. En réalité, vous pourriez avoir une personnalité qui goûte à cette solitude (on n'est pas obligé de vivre ensemble et de passer l'intégralité de ses soirées avec l'autre pour avoir une relation heureuse). Votre cœur et votre corps pourraient aussi vous envoyer un signal. Pour vivre une relation à distance depuis quelques années, je peux vous assurer que le manque est là. Que, même dans les moments moins faciles, l'idée de retrouver l'autre et de profiter ensemble au présent est toujours un réconfort. Alors oui, je crois que les années n'altèrent pas ce sentiment, ce bonheur de retrouver l'autre quand on l'aime.
Je ne conseillerais jamais à quelqu'un de prendre son mal en patience parce que, peut-être, sa relation sera plus équilibrée ou plus passionnée dans six mois, un an, cinq ans. D'abord parce que je crois que ce n'est jamais le cas. Ensuite parce que le couple n'est pas un investissement bancaire. Vous devez vous impliquer parce que vous en avez envie, parce que vous y croyez, parce que vos sentiments vous poussent à le faire. Je suis convaincue qu'on ne devrait jamais rester avec quelqu'un sur des fantômes d'une relation plus belle en espérant que le futur sera plus doux. Pourquoi le serait-il?
Un couple, ce n'est pas de la patience, c'est du travail au quotidien, pour l'autre et pour soi. C'est l'effort de toujours être honnête avec soi-même et honnête avec l'autre. «Je ne sais pas si je t'aime mais je t'aimais et j'espère que nous nous aimerons encore à nouveau» ne me semble pas être une raison suffisante pour passer des années avec quelqu'un. En fait, vous méritez mieux et elle mérite mieux.
Parfois le couple, c'est aussi simple que ça. Vous n'êtes pas responsable de cet éloignement qui s'est installé avec les années. Elle non plus. Ces opportunités professionnelles se sont imposées, comme beaucoup d'éléments s'imposent dans la vie. Peut-être qu'elles ont mis encore plus de distance entre vous, ou peut-être qu'elles vous ont juste prouvé que l'éloignement était déjà bien installé. Je sais qu'une histoire de quelques années, c'est quelque chose qui marque. Je sais aussi que le plus grand geste de respect qu'on puisse avoir pour une histoire et pour sa compagne ou son compagnon, c'est de dire stop quand c'est le moment.