Économie

Faut-il partager l'optimisme de Trichet ?

Temps de lecture : 3 min

Il reste de formidables obstacles à une reprise de la croissance en 2010 - par Eric Le Boucher.

Jean-Claude Trichet, Président de la Banque centrale européenne   Kai Pfaffenbach / Reuters
Jean-Claude Trichet, Président de la Banque centrale européenne Kai Pfaffenbach / Reuters

«Nous nous approchons du moment où il y aura une reprise». Les marchés financiers négligent des éléments «positifs», à commencer par les plans de relance massifs qui ont été lancés partout dans le monde, des Etats-Unis à la Chine. Ces propos de Jean-Claude Trichet sont-ils à prendre au pied de la lettre ? Faut-il commencer à croire au bout du tunnel ? Peut-on espérer, comme nous l'annonce le président de la Banque centrale européenne (BCE) une reprise «en 2010» ?

Hum, hum... Il faut d'abord noter que ces propos de Trichet-Pangloss ont été tenus en tant que président des banquiers centraux du G10, petit cercle qui se réunit tous les mois à Bâle en Suisse. Alors que les Bourses sont sur une pente effroyable depuis 15 jours, ils visent à souligner que les milieux financiers sont exagérément pessimistes. Trichet n'a pas tort. L'ambiance chez les banquiers est à la fin du monde, d'un monde, de leur monde. Les «valorisations» des entreprises sont devenues ridicules, souvent inférieures à la valeur de leurs stocks. Comme ne comptent que les mauvaises nouvelles, des amalgames sont vite faits qui mêlent des actifs encore valorisables avec des actifs qui ne le sont plus et qui sont donc «toxiques». Et quand même, tout ne vaut pas zéro !

Cela dit notre bon Trichet n'a pas donné de détails sur les indices «positifs» qu'il décèle. A-t-il des «indicateurs avancés» qu'il garde secrets ? Comme des stocks plus bas que prévus ? On note une très légère détente sur les marchés monétaires mais sans que cela puisse être jugé vraiment suffisamment positif pour qu'on y voit le début du commencement d'une amélioration des circuits de financements. Président Trichet est en réalité le bon général au front du pessimisme. Il est dans son job de voir la reprise au coin de la rue pour forcer le sort, «rétablir la confiance» et remonter le moral des poilus de la finance.

Mais les poilus ont du mal à le croire. La BCE elle même a donné, il y a à peine quelques jours, un pronostic très sombre de l'année 2009 avec une récession de -2,2% à -3,2%. La Commission de Bruxelles estime, elle, qu'une reprise en 2010 est désormais «hautement incertaine». Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit désormais une croissance mondiale négative pour cette année, a déclaré mardi 10 mars son président Dominique Strauss-Kahn. En janvier, le FMI espérait encore un petit 0,5% mais l'effondrement de la confiance des ménages et des milieux d'affaires mine la demande intérieure à travers le monde. Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), estime, lui, que le retour à la croissance passe par "une stabilisation préalable du système financier".

Que motive ce pessimisme ? L'état des banques outre-Manche et Outre-Atlantique justement. Les plans de sauvetage mis en route au sortir de l'été n'ont pas été suffisants et la question est aujourd'hui de savoir s'il ne faut pas les nationaliser complètement, pour connaître ce qu'elles possèdent encore comme actifs toxiques et les purger une bonne fois pour toutes. Mais le temps s'écoule et voilà que le secteur de l'assurance est atteint. AIG, le numéro un mondial, a perdu 100 milliards de dollars et il aurait encore dans ses caisses pour 300 milliards d'actifs douteux. Or, les autorités hésitent encore sur les nouveaux plan de sauvetage du secteur financier. Le détail du nouveau plan du Trésor américain de Tim Geithner n'est toujours pas connu.

L'autre raison est la lenteur de l'effet des plans de relance. Celui de Barak Obama de 780 milliards de dollars ne commencera à faire sentir son action qu'à la fin de cette année et en 2010. Entre temps l'économie américaine perd 600 000 emplois par mois... Les aides de Barak Obama n'arriveront-elles pas trop tard ? C'est ce que pensent les milieux financiers qui replongent dans leur noires pensées...

D'où le grand débat qui s'est ouvert entre les deux rives de l'Atlantique et qu'a lancé Lawrence Summers, le conseiller économique de la Maison-Blanche : les Européens doivent adopter des plans de relance beaucoup plus importants, demande-t-il. L'Amérique n'y arrivera pas toute seule, faites une partie du boulot ! Au G20, en avril, nous devrons discuter de la relance mondiale plutôt que de perdre notre temps sur « la nouvelle régulation financière » qui n'est pas si urgente. L'urgent, c'est de sauver le malade ! Ce à quoi les Européens ont répondu par la négative : nous avons fait ce que nous avions à faire, a dit Jean-Claude Junker, président de l'Eurogroupe. Et le débat sera vif car, en Europe, le sentiment prévaut que ce sont les Américains qui sont responsables de la crise et c'est à eux de payer pour en sortir, pas aux Européens !

Cette dispute qui éclaire le désordre politique et les montées des égoïsmes n'est pas de nature à faire croire que la lumière va s'entrevoir en 2010. Mais, en même, temps sait-on jamais ?
Les financiers n'ont pas vu venir la chute, ils peuvent ne pas voir le rebond. Allez-y Jean-Claude Trichet ! Continuez de chanter !

Eric Le Boucher

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