Médias / Politique

Emmanuel Macron en conférence de presse, un exercice assez rare pour être analysé

Temps de lecture : 5 min

Emmanuel Macron vient de renouer avec un genre dont tous les présidents de la République en France se sont servis plus ou moins régulièrement.

Conférence de presse du président Emmanuel Macron organisée après le grand débat national dans la salle des fêtes du palais de l'Élysée (Paris), le 25 avril 2019. | Ludovic Marin / AFP
Conférence de presse du président Emmanuel Macron organisée après le grand débat national dans la salle des fêtes du palais de l'Élysée (Paris), le 25 avril 2019. | Ludovic Marin / AFP

Emmanuel Macron pratique avec aisance l'art oratoire. Et il ne craint pas de détailler au maximum ce qu'il veut dire afin d'être le plus complet possible. Mais en même temps, il met dans ses propos une prudence soutenue et une austérité constante. Au cours de sa conférence de presse, le président s'est concentré sur l'objectif de mesurer soigneusement la portée de toutes ses paroles. Inutile de chercher le moindre trait d'humour.

Rien de comparable avec le général de Gaulle qui, quelques mois après les événements de Mai 68, déclarait devant la presse: «Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.» Cette phrase venait de servir de titre à un film de Michel Audiard. Elle illustrait pour le général l'idée qu'aucun renouveau ne pouvait provenir de l'anarchie qui avait régné pendant cette révolte où étudiant·es et syndicats s'étaient associés.

Il n'y a pas non plus dans les propos d'Emmanuel Macron la moindre trace de poésie. À la différence de Georges Pompidou qui, en 1970, avait été interrogé sur le suicide d'une enseignante que des ligues de vertu avaient empêchée d'aimer un de ses élèves. Il avait répondu en citant un poème de Paul Éluard: «Comprenne qui voudra, moi, mon remords ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdue, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés.»

On ne trouvera pas plus chez l'actuel président de la République la moindre allusion personnelle du genre de celle de Nicolas Sarkozy en 2008, à propos de la relation qu'il venait d'entamer avec Carla Bruni: «Avec Carla, nous avons décidé de ne pas mentir. Nous ne voulons rien instrumentaliser, mais nous ne voulons pas nous cacher [...] et puis vous l'avez compris, c'est du sérieux.»

La conférence de presse que vient de donner Emmanuel Macron a été avant tout technique. Elle n'était nullement l'occasion de faire ressortir quelques phrases-chocs qui peuvent à coup sûr faire des titres et rester dans les mémoires. L'objectif était –notamment en réponse aux «gilets jaunes»– de faire connaître une série de mesures que le gouvernement va mettre en œuvre.

Ce qui va de la réindexation des petites retraites à la mise en place d'un moratoire pour arrêter les fermetures de classes ou d'hôpitaux en passant par la garantie des pensions des mères célibataires. Le président précise qu'il veut éviter la baisse du nombre des fonctionnaires; il n'oublie pas par ailleurs le référendum d'initiative partagée (et non celui d'initiative citoyenne) ou son désir de fermer l'ENA.

Une tradition bien établie

Soigneusement calibrées, il y a également quelques réponses personnelles du président. Il n'hésite pas à exprimer des regrets sur ce que peut être son attitude quand il dit: «J'ai pu donner un sentiment d'injonction permanente, d'être dur, parfois injuste. Ça, je le regrette.» Ou encore en fin de conférence de presse, répondant à une question sur Alexandre Benalla: «Est-ce que je regrette de l'avoir embauché? C'était extrêmement cohérent avec les valeurs que je porte. C'est sans doute pour ça que je lui en veux encore plus.»

Ce n'est pas un secret: le président a une méfiance affirmée face aux journalistes. Mais dans la période actuelle où il a un grand besoin d'entamer une remontée positive dans l'opinion, ses conseiller·ères l'ont persuadé qu'il devait s'adresser aux Français·es par l'intermédiaire de la presse. Avec un message de fond qui s'est sans doute dévoilé lorsqu'il a dit: «Les transformations en cours et les transformations indispensables à faire dans notre pays ne doivent pas être arrêtées, parce qu'elles répondent profondément à l'aspiration de nos concitoyens.»

Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse à l'Élysée, le 25 avril 2019. | Ludovic Marin / AFP

C'est la deuxième fois depuis qu'il a accédé à la présidence qu'Emmanuel Macron parle à un parterre de journalistes: en février 2018, au Grand Palais, il avait été interrogé par les membres de la presse présidentielle. L'exercice avait lieu sans diffusion télévisuelle. Les comptes-rendus parus dans la presse soulignaient qu'Emmanuel Macron avait parlé des élections européennes: «Il y a une place à prendre pour un progressisme européen volontariste», avait-il dit. Avant d'ajouter que La République en marche pourrait «structurer son propre groupe et fédérer» autour d'elle au Parlement de Strasbourg. Un thème sur lequel le chef de l'État n'a pas eu à revenir le 25 avril à l'Élysée, alors que les élections européennes sont beaucoup plus proches.

En tout cas, Emmanuel Macron vient de renouer avec un genre –la conférence de presse– dont tous les présidents de la République en France se sont servis plus ou moins régulièrement. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy y ont eu recours moins souvent que Valéry Giscard d'Estaing. François Mitterrand l'a surtout pratiqué en 1991 pendant la première guerre du Golfe. François Hollande s'y est soumis trois fois. Si bien qu'à l'Élysée, cette prise de parole présidentielle relève d'une tradition bien établie et se déroule normalement dans la salle des fêtes. Le décor de celle-ci a récemment été refait. Les murs aux couleurs orangées ont été repeints en un gris très doux et sont ornés de discrètes décorations dorées.

Une demi-heure de plus

Ce 25 avril, l'intervention du président Macron est annoncée à 18h, mais les journalistes sont invité·es à venir à 16h30. Environ 300 personnes prennent place (à noter qu'il y en avait près de 500 lors des dernières conférences de François Hollande). Cette fois-ci, instruction a été donnée à chaque rédaction de ne pas envoyer plus de deux journalistes. Résultat: une trentaine de chaises resteront vides.

En entrant à l'Élysée, les journalistes ont reçu un badge bleu à passer autour du cou. Mais une fois assis dans la salle des fêtes, il leur a été demandé de bien vouloir l'enlever: ces badges n'auraient pas été esthétiquement convenables lorsque les caméras auraient filmé la salle.

À 18h, les membres du gouvernement arrivent, s'assoient sur la droite et la gauche de la table où va prendre place le président. Celui-ci arrive à 18h05. La principale différence avec la pratique de ses prédécesseurs va résider dans la longueur de son propos liminaire: cinquante-cinq minutes. Est-ce qu'Emmanuel Macron craint d'oublier certains sujets s'il ne fait que répondre aux journalistes? Est-ce qu'il estime que cette longue introduction doit être très fournie car elle s'adresse aux Français·es plus qu'aux représentant·es de la presse présent·es dans la salle?

L'allocution télévisée qui était prévue sur le même thème le 15 avril ne durait que vingt minutes. Elle n'a jamais été diffusée en raison de l'incendie survenu dans la cathédrale Notre-Dame. En tout cas, le 25 avril, reconnaissant qu'il a parlé longuement au début de la conférence de presse, Emmanuel Macron fera durer les questions jusqu'à 20h30, une demi-heure de plus que ce qui était annoncé.

Quant aux ministres, la plupart commencent par écouter le président en prenant des notes. Au bout d'une demi-heure, les stylos sont rangés: les propos sont trop denses. Cependant, en deux heures et demie, Emmanuel Macron semble avoir développé tous les sujets qu'il souhaitait traiter. En conclusion, il annonce qu'il n'attendra pas deux ans pour faire une nouvelle conférence de presse. Il n'est donc pas impossible que l'exercice l'ait satisfait et qu'il y prenne goût.

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