Après les révélations sur sa vie sexuelle, plus complexe qu'on l'imaginait généralement jusqu'alors, le numéro un mondial des greens avait décidé, en décembre dernier, de suspendre sa carrière pour une période indéterminée. Woods a reconnu dans une longue séance d'auto-flagellation télévisée, vendredi, qu'il suivait un traitement au sein d'une clinique spécialisée dans la prise en charge de personnes souffrant d'addiction sexuelle.
Tiger Woods serait donc soigné au «Pine Grove; Behavioral Health and Addiction Services» situé à Hattiesburg (Mississippi). Il s'agit là de l'un des établissements parmi les plus connus dans la prise en charge des diverses formes pathologiques de la dépendance. Les soins, fondés notamment sur la thérapie comportementale, sont délivrés à des personnes (enfants, adolescents ou adultes) hospitalisées ou non. La direction et les responsables de la clinique ont refusé de confirmer la présence du champion aux médias qui leur en ont fait la demande.
Des prédateurs sexuels transformés
Traitement ou repentance? On sait que le numéro un mondial du golf a suspendu sa carrière sportive pour «se consacrer à sa famille» après avoir été contraint d'admettre qu'il avait trompé sa femme tandis qu'un peu plus d'une dizaine d'autres se souvenaient avoir eu des relations sexuelles avec le charismatique golfeur. Outre-Atlantique, l'annonce de la présence de Tiger Woods dans cet établissement spécialisé avait suscité de nombreuses réactions critiques ou indignées d'auteures et/ou de militantes féministes.
Thème récurrent: il est décidemment trop facile pour les hommes bafouant des femmes de se faire passer pour des malades; aucune pathologie ici mais simplement un comportement itératif caractérisé par l'assouvissement sans aucun frein ni retenue de ses pulsions sexuelles. Avec cette question qui résume le tout: ceux qui, comme Tiger Woods, accumulent les maîtresses (et ce d'autant plus que les opportunités ne cessent de s'offrir) souffrent-ils d'une forme marquée d'assuétude sexuelle ou ne doivent-ils pas être tout bonnement considérés comme des porcs? Comment ne pas voir que la médecine et les neurosciences ont, depuis une ou deux décennies, transformé les prédateurs sexuels en victimes tandis que, de ce fait même leurs victimes n'en étaient plus.
Ajoutons le fait que l'assuétude à la sexualité et la multiplication des partenaires n'est pas une exclusivité masculine ou hétérosexuelle et on saisira sans mal que l'affaire n'est pas des plus simples. Chez Tiger Woods, elle est plus compliquée encore. En découvrant il y a peu l'inventaire officiel des maîtresses du golfeur (un total dix-huit en six années de mariage), un certain nombre de collaborateurs de Slate.fr confiaient, comparaisons faites, qu'ils préféraient, décidemment, vivre de ce côté-ci de l'Atlantique où l'on a (pour combien de temps encore?) une autre conception du normal et de pathologique.
Les accros au cybersexe
En toute rigueur, les seules données chiffrées rapportées par Tiger Woods ne permettent nullement de porter le diagnostic de dépendance sexuelle. Il faudrait pour cela en savoir beaucoup plus en notamment sur la fréquence quotidienne et la conclusion, orgasmique ou pas, des rapports. Et encore, ce serait bien loin d'être suffisant comme l'explique Florence Thibaut (service de psychiatrie du CHU Charles Nicolle, Rouen) chercheuse à l'Inserm. Selon elle, cette pathologie (qui affecte entre 3 et 6% de la population sexuellement active et pour 80% des hommes) se caractérise par une «fréquence excessive non contrôlée et croissante du comportement sexuel qui persiste en dépit des conséquences négatives possibles», étant bien entendu que les pratiques sexuelles sont, du moins en général, «conventionnelles».
En réalité les spécialistes, comme souvent, sont partagés. Certains parlent plutôt ici «d'hypersexualité», de «comportement sexuel compulsif» ou de «trouble du contrôle des impulsions sexuelles». D'autres intègrent à cette entité des éléments aussi hétérogènes que la masturbation compulsive, la dépendance à des drogues illicites ou à des accessoires spécifiques, le sexe anonyme, payant ou intrusif (abus de position sociale...). Peut aussi s'y ajouter la dépendance à des formes anonymes du désir sexuel qu'il s'agisse de pornographie, de sexualité par téléphone ou de «cybersexe» (qui concernerait entre 6 à 9% des hommes internautes qui y consacreraient plus de 11 heures hebdomadaires).
Quel est le diagnostic pour Woods?
Il existe de nombreux points communs avec les autres formes d'addiction: impossibilité de résister aux impulsions sexuelles; escalade dans la sévérité des activités sexuelles; accroissement du temps consacré aux préoccupations sexuelles; échec des tentatives individuelles de contrôle du comportement sexuel; persistance des comportements en dépit des risques (infectieux, judiciaires) et des conséquences négatives socioprofessionnelles (divorce, perte d'emploi); syndrome de sevrage (dépression, anxiété, tentatives de suicide, culpabilité); association fréquente à d'autres addictions (alcool ou psychotropes, travail, achats, jeu, etc).
Il faudrait aussi savoir si Tiger Woods présentait, ou non, sur les greens ou ailleurs, au moins deux des caractéristiques suivantes que réclame le diagnostic: la drague compulsive avec partenaires multiples (maîtrise de l'anxiété et de l'estime de soi); la fixation amoureuse compulsive sur un(e) ou des partenaires inaccessibles (objet d'amour hyper idéalisé); les rapports amoureux compulsifs multiples (recherche d'une intensité des sentiments dans une nouvelle aventure); les rapports sexuels compulsifs insatisfaisants; l'auto-érotisme compulsif avec masturbations à la fois répétées (de 5 à 15 par jour) et frénétiques (entraînant fatigue et blessures).
Une «hypersexualité» traitée comme des TOC
Pour nombre de spécialistes, cette forme de dépendance comporte de nombreux points communs avec cette autre affection également hautement handicapante que sont les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), l'obsession se cristallisant ici sur des pensées relatives à la recherche d'un partenaire sexuel ou d'un lieu approprié pour engager des relations sexuelles. C'est ce qui incite certains thérapeutes à préconiser de traiter «l'hypersexualité» comme les TOC au moyen de médicaments psychotropes antidépresseurs ou anxiolytiques (comme l'Anafranil ou les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine). Dans ce cas, l'efficacité maximale serait obtenue dans un délai de un à trois mois. Aucune mention, semble-t-il, dans la littérature spécialisée d'un recours à la «castration chimique».
«Pour ma part, j'aurais plutôt tendance à situer l'hypersexualité à la lisière du monde des addictions, associant une forme de dépendance comportementale, de troubles de l'humeur et de dépendance affective», explique le Dr Willian Lowenstein, directeur de la clinique spécialisée Montevideo (Boulogne). Schématiquement, la prise en charge consiste en une phase médicamenteuse (pour soulager les troubles anxieux) avec un suivi comportemental.
Rouleau compresseur
Dès lors, affichage d'une repentance ou traitement véritable avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer sur la future image et les performances à venir du champion? «On peut effectivement se demander si les conseillers du champion ont bien pesé les avantages et les inconvénients d'une telle situation, observe le Dr Lowenstein. Et ce d'autant que rien, du moins dans ce qui est connu, ne renvoie véritablement à une hypersexualité pathologique. Mais il est vrai qu'il faut replacer tout ceci dans le contexte des Etats-Unis et le rouleau compresseur qui fait que dans ce pays le concept de dépendance devient chaque jour un peu plus religieux, un peu moins médical.»
«Les participants travaillent ensemble au développement et en participant à une culture du respect, à la responsabilisation, à la diversité et la communication efficace avertissent les responsables de Pine Grove ; Behavioral Health and Addiction Services. Nous croyons que cette culture est un puissant agent de changement, en particulier pour ceux qui oscillent entre les extrêmes et se considèrent comme des victimes ou des supérieurs (...) Nous croyons que chaque individu possède la capacité d'influer sur le changement dans sa propre vie. Nous considérons le processus de traitement comme un partenariat dans la collectivité pour obtenir cet effet dans une direction positive. Dans le cadre de ce partenariat, nous intégrons nos valeurs de communication directe, la responsabilisation, le comportement respectueux, et l'inclusion, en créant ainsi la culture thérapeutique.»
Question: une telle profession de foi est-elle compatible avec les valeurs qui prévalent sur les greens? Le Tiger Woods qui n'a pas dit vendredi quand il reviendrait sur les parcours sera-t-il à la fois guéri et le même Tiger Woods qu'hier?
Jean-Yves Nau
Image de une: En novembre 2009. REUTERS/Nir Elias/Files
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