Quelques années avant de lancer une grève scolaire mondiale pour le climat, l'adolescente Greta Thunberg avait arrêté de jouer du piano, de parler et de manger, nous racontait il y a peu un portrait d'elle dans Le Monde. Elle plongeait dans une dépression déclenchée par la crise climatique. Elle a trouvé une façon de guérir son mal en prenant le problème à bras-le-corps. Elle aurait pu, sinon, se tourner vers l'écopsychologie, un mouvement social et une science qui réunit l'écologie et la psychologie, comme son nom l'indique.
«En général, la psychologie va aborder les souffrances de l'âme humaine sans faire le lien avec les souffrances de la Terre; l'écologie approche les problèmes de pollution et les problèmes climatiques dans leur globalité sans faire le lien avec la psyché humaine», analyse Michel Maxime Egger, auteur du livre Écopsychologie. Il s'agit donc de combiner les deux aspects.
Comprendre les mécanismes autodestructeurs
Pour mieux comprendre l'écopsychologie, il faut savoir à qui elle s'adresse. Elle a d'abord un public ciblé de «transitionneurs» et «transitionneuses», comme on les appelle: des militant·es écolos qui souffrent de voir la planète se détruire. L'écopsychologie les aide à mieux vivre cette déception, à faire le deuil des nombreuses espèces qui disparaissent, à accepter les négociations qui patinent, sans pour autant baisser les bras. Elle leur permet de garder intacte leur envie d'agir, sans que cette énergie se transforme en marasme et en dépression.
Plus largement, l'écopsychologie s'adresse à tous les êtres humains qui souffrent de déconnexion avec la nature, parfois sans le savoir. Beaucoup d'entre nous subissons le bruit des villes, la pollution qui étouffe et rend malade, l'espace restreint d'appartements trop petits et sans lumière, les attroupements humains. Quand nous marchons au milieu d'une forêt, que nous retrouvons le rythme naturel de nos pas, un sommeil profond sans stimulations des lampadaires et des écrans, le contact des rayons de soleil sur la peau, un horizon dégagé et mille autres choses, alors nous ressentons pour la plupart un profond bien-être. Voire un apaisement. Le souffle reprend, l'esprit devient plus clair, les parasites et les questions qui assaillent notre mental se font moins présentes.
Le paysage idéal pour un grand bol d'air | Lukasz Szmigiel via Unsplash
Martine Capron, écopsychologue et écothérapeuthe qui a initié en Belgique le premier congrès francophone d'écopsychologie en 2016, décèle ces manques et invite ses patient·es à des promenades. «Les personnes s'ouvrent à ce qu'elles ressentent et les réponses viennent. Les questions se refont. Ce qui est important en tant qu'écopsychologue, c'est de comprendre les mécanismes autodestructeurs en nous et d'arriver à les transformer», explique-t-elle.
L'écopsychologie s'intéresse aussi aux comportements humains dans leur rapport à la transition écologique: il s'agit de comprendre ce qui aide la psyché humaine, ou au contraire quels mécanismes psychologiques freinent cette transition. Par exemple en analysant les ressorts du consumérisme, qui fait passer des besoins non nécessaires pour des besoins nécessaires et joue sur cette dépendance.
Le bien-être de la planète
Le mot «écopsychologie» est né dans les années 1990, sous la plume de Theodore Roszak, un historien américain, auteur de Ecopsychology: Restoring the Earth, Healing the Mind, jamais traduit en français. À partir de la notion d'inconscient collectif de Carl Jung, il a introduit la notion d'«inconscient écologique», soit l'idée qu'il existe en chacun et chacune une mémoire profonde d'un lien très fort entre l'humanité et la nature.
«Nous portons en nous la mémoire de l'évolution de la Terre. Les strates les plus archaïques de la psyché humaine sont tissées de relations avec les autres humains et les “autres qu'humains”: on peut le voir à travers l'expérience de l'enfant qui va adorer caresser la fourrure animale, ou prendre plaisir à un bain de mer», résume Michel Maxime Egger.
L'écopsychologie prend ses racines dans les années 1970 et le développement du mouvement hippie, mais ce n'est que dans les années 2000 qu'elle arrive en France comme un champ à part.
Les soins par la nature existent quant à eux depuis très longtemps. Le XIXe siècle était friand de cures en altitude, cures thermales et autres thérapies par le soleil. Mais à la différence de ces thérapies, l'écopsychologie ne prône pas un usage de la nature au profit de la santé humaine. Elle souhaite le bien-être des êtres humains, mais aussi de la planète elle-même. «C'est une posture éthique différente», résume Michel Maxime Egger. Le sociologue parle du passage d'un moi «égocentré» à un moi «écocentré». Il faut s'agrandir, en somme, pour faire coïncider soin de soi et soin de la planète.
Un cadre en burn-out devenu viticulteur bio
Martine Capron travaille à Bruxelles. Son cabinet s'ouvre sur un jardin avec un «cercle de transformation», matérialisé par des copeaux de bois, où les personnes qu'elle reçoit peuvent méditer. Il y a là un pommier, un noyer, des noisetiers et des rondins où l'on peut s'asseoir en silence. «C'est un endroit calme, tranquille, avec des oiseaux. Cela permet de travailler dehors avec l'aide de ce qui nous entoure», dit-elle.
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, simplement en imaginant ce petit jardin, je me sens déjà mieux. Je prends conscience de mon souffle. Mes épaules tendues sur le clavier se détendent. J'ai des images de paysages ensoleillés qui surgissent et le souvenir des rayons dorés sur la peau.
«Cela me permet de traverser toutes les difficultés. Cela m'habite. Cela m'ancre. Je me sens centrée, alignée et joyeuse»
Parmi la patientèle de Martine Capron, beaucoup ont voulu changer leur vie après ces consultations. Elle raconte le cas de ce cadre dans une grande entreprise belge, d'une quarantaine d'années, qui faisait un burn-out. En marchant dans ce jardin, il s'est souvenu du bien-être qu'il éprouvait lorsqu'il gambadait tout petit dans la nature, dit-elle. Il est devenu par la suite viticulteur bio. «Il se sentait à nouveau un homme puissant et joyeux», se souvient l'écopsychologue.
Son cabinet est encore loin de n'accueillir que des personnes en mal de chlorophylle, mais les consultations d'écopsychologie se développent de plus en plus. «Ce n'est pas encore majoritaire, mais cela pourrait le devenir», dit-elle, sans qu'on sache s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle. En attendant, sa pratique la rend heureuse: «Cela me permet de traverser toutes les difficultés. Cela m'habite. Cela m'ancre. Je me sens centrée, alignée et joyeuse».
Et si vous voulez constater par vous-même la joie de Martine Capron, allez jeter un œil sur ce documentaire de Clément Montfort. Vous verrez une femme qui arbore un grand sourire, qui plisse ses yeux et étire ses lèvres au moment de parler de son mari, Jean-Pascal van Ypersele de Strihou, climatologue, ex-président du Giec [Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr]: «C'est un homme magnifique, formidable, que j'adore», dit-elle, radieuse, en présentant celui qu'elle aime visiblement très fort. Cet élan d'amour qui se passe de mots en dit aussi beaucoup sur l'écopsychologie.