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Empreintes génétiques, de Grégory à Toutankhamon

Temps de lecture : 6 min

Concluantes au bord du Nil, les empreintes génétiques demeurent muettes sur les berges de la Vologne.

C'est en 1985 dans son laboratoire de l'université de Leicester que le Pr Alec Jeffreys met la dernière main à son chef d'œuvre: la technique des empreintes génétiques. Un quart de siècle plus tard, l'anniversaire est somptueux: une fois encore, l'ADN a parlé. Cette fois, il a permis de résoudre une énigme familiale égyptienne vieille de plus de trente-trois siècles.

Des empreintes génétiques ont notamment établi que les deux momies (étiquetées KV55 et KV35YL) étaient bien celles des parents de Toutankhamon. Problème: si KV55  est bien le célèbre Akhenaton, KV35YL n'est pas la reine Néfertiti, sa légendaire  épouse. KV35YL (également connue des égyptologues sous le nom de «Young lady» serait plutôt sa sœur (celle d'Akhenaton, pas de Néfertiti).

Ces travaux ont été menés de septembre 2007 à octobre 2009 par une équipe de chercheurs égyptiens (associés à quelques spécialistes allemands et italiens) à l'aide de techniques sophistiquées offertes par les chaînes Discovery et National Geographic. Ils ont porté au total sur 16 momies royales embaumées durant l'âge d'or de l'Egypte ancienne, soit entre le milieu du XVIe et le début du XIe siècle avant Jésus Christ. Il s'agissait ici de développer une nouvelle approche, moléculaire et médicale, dans le champ de l'égyptologie; avec pour objectif de mettre un peu d'objectivité génétique dans les relations familiales de ces personnalités mythiques.

Il s'agissait aussi de faire autant que possible des diagnostics largement post mortem pour élucider les causes de la mort et la présence de maladies liées à la consanguinité inhérente à ces royales familles. Si des malformations ont été retrouvées avec une fréquence largement supérieure à la normale, certaines affections spécifiques supposées présentes (comme le syndrome d'Antley-Bixler ou celui de Marfan) n'ont pas été retrouvées.

Le diagnostic complet de Toutankhamon

Pour ce qui est du dossier médical du jeune Toutankhamon, il s'est amplement étoffé grâce à la génétique. On a ainsi pu diagnostiquer chez lui plusieurs affections ou anomalies (dont une maladie osseuse dite «de Köhler»).

Des gènes spécifiques d'un parasite du paludisme (Plasmodium falciparum) ont aussi été retrouvés chez Toutankhamon. Ces résultats laissent penser aux chercheurs que des nécroses osseuses associées à l'infection paludéenne sont (plus qu'un assassinat souvent évoqué) la cause la plus vraisemblable de la mort prématurée du jeune pharaon; et ce d'autant que des cannes de marche et une pharmacie pour l'«au-delà» ont été retrouvées dans son tombeau. En saura-t-on un jour plus sur le fruit des amours de celui qui dut sa vie à un inceste? Pour l'heure, des analyses ADN préliminaires confirment qu'il est le père (probablement avec son épouse Ankhsenpaamon) de deux foetus embaumés retrouvés dans sa sépulture.

Ce travail est le dernier en date d'une impressionnante liste de découvertes scientifiques et d'enquêtes criminelles (ou de recherches en paternité) résolues grâce à la technique du Pr Jeffreys. Ce dernier est devenu Professor Sir Alec Jeffreys en 1994), onze ans après la première utilisation de ce procédé qui avait permis d'identifier le violeur et meurtrier de deux jeunes filles de Narborough (Leicestershire).

L'archéogénétique à la rescousse

«Dès le départ, cette technique est apparue hautement performante, rappelle le Pr Jean-Paul Moisan, ancien chercheur à l'Inserm, aujourd'hui PDG de la société Institut génétique Nantes-Atlantique qui fut le premier à l'utiliser en France. Il nous fallait toutefois disposer d'échantillons biologiques assez importants. Nous pouvions, par exemple, travailler sur une tache de sang mais pas sur un mégot de cigarette. Le grand tournant, dans ce domaine date du début des années 1990, grâce à l'apport d'une autre technique, dénommée PCR, qui permet d'amplifier à volonté les fragments d'ADN observés. Nous avons ainsi pu obtenir des résultats sur des éléments biologiques de plus en plus petits, invisibles à l'œil nu et de plus en plus vieux. Les recherches de nos collègues travaillant dans le domaine de l'archéogénétique ainsi que différents apports techniques, progressivement standardisés, nous ont ensuite permis d'améliorer continuellement nos performances.»

Les laboratoires spécialisés peuvent désormais établir une empreinte génétique à partir d'une seule cellule du corps humain, quelle que soit sa provenance. Du moins est-ce là une possibilité théorique qui alimente quelques controverses dans le milieu des généticiens. «L'augmentation considérable de la sensibilité de la technique soulève, en médecine légale, de nouvelles difficultés, explique M. Moisan. Pour toute une série de raisons, pratiques et génétiques, il nous est raisonnablement impossible de conclure à partir d'une seule cellule retrouvée sur la scène du crime. Nous devons disposer au minimum d'un échantillon d'une dizaine de cellules.»

Un million de Français sur le Fichier national automatisé des empreintes génétiques

Quoi qu'il en soit, c'est bien le succès même de cette technique qui est aujourd'hui à l'origine de la constitution controversée (et régulièrement dénoncée par les associations de défense des droits de l'homme) de volumineux fichiers numérisés d'empreintes génétiques. Au Royaume-Uni, la technique inventée par Jeffreys est à la base de la UK National DNA Database, la plus vaste base de données sur ce sujet à ce jour — plus de trois millions d'empreintes individuelles de personnes ayant pu être simplement soupçonnées de crimes ou de délits.

En France, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) a été créé en 1998 par la loi Guigou relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles avant de voir son champ d'action régulièrement étendu par des lois successives (loi sur la sécurité quotidienne, 2001; loi pour la sécurité intérieure, 2003; loi Perben II etc.) à de nombreux autres crimes et délits.

Onze ans après sa création, le FNAEG compte plus d'un million de profils génétiques (soit bientôt près de 2% de la population française: 263 000 y figurent suite d'une condamnation - empreintes conservées quarante ans — et 817.000 comme «mises en cause dans des affaires judiciaires» — empreintes conservées vingt-cinq ans). Environ 30.000 empreintes sont ajoutées chaque mois.

Comme dans le cas des milieux scientifiques, l'écho considérable rencontré par cette technique dans les milieux policiers, judiciaires et médico-légaux se fondent sur des éléments objectifs. La garantie quasi-absolue de pouvoir identifier sans erreur une personne et de la confondre à partir d'infimes échantillons biologiques (spermatozoïdes, cellules de sang, de peau, de salive...) explique le succès des empreintes génétiques. On ne saurait pour autant voir ici un miracle absolu réalisé quotidiennement par les généticiens moléculaires travaillant au service de la police, de la justice et de la manifestation de la vérité. La célèbre «affaire Grégory» témoigne ainsi de manière exemplaire des limites de cette technique.

«L'affaire Grégory» et les limites de la technique

On se souvient peut-être que Grégory Villemin, 4 ans, avait été retrouvé mort le 16 octobre 1984 dans les eaux de la Vologne, mains et jambes liées, à 7 kilomètres du domicile de ses parents. Pas d'empreintes génétiques alors. Dans l'affaire Villemin, c'est le laboratoire du Pr. Moisan qui avait été choisi par la justice pour tenter de retrouver des traces génétiques présentes dans la salive utilisée pour coller le timbre sur la lettre anonyme reçue, le lendemain de l'assassinat de leur enfant, par les parents de la victime:

Contrairement à ce qui a pu être rapporté, nous avons bien retrouvé des traces d'ADN humain sur ce timbre. Mais il s'agissait d'un mélange d'une dizaine de profils génétiques, ce qui interdisait, en pratique, d'utiliser cette information. Rien ne permet d'affirmer que de futures analyses sur les scellés concernant, par exemple, les vêtements de l'enfant ou les cordelettes apporteront une réponse. Les prélèvements pratiqués en 1984 ne respectaient pas les règles qui ont depuis été codifiées. (Entretien au Monde en août 2008)

En octobre 2009, Jean-Marie Beney, procureur général de la cour d'appel de Dijon,  annonçait que les empreintes génétiques des parents de Grégory Villemin n'avaient pas été retrouvés sur les scellés du dossier et ce alors que deux ADN identifiables, un féminin et un masculin ont été retrouvés après une expertise sur une lettre de menaces de 1985 imputée à l'assassin.

Des mélanges d'ADN féminin et masculin ont aussi été isolés par un laboratoire de Lyon sur trois cordelettes ayant servi à ligoter l'enfant. Mais qu'en conclure? Il pourrait tout simplement (l'affaire s'est déjà vue) de l'empreintes génétiques des.... enquêteurs. «Aussi performante soit-elle, cette technique génétique ne doit, pas plus que l'ADN, être sacralisée, conclut le Pr Moisan. Il s'agit pour nous, généticiens, d'aider au mieux les enquêteurs et, en toute hypothèse, l'enquête reste une reine dont nous ne sommes que les servants.»

Jean-Yves Nau

Image de une: La momie d'Akhenaton, le père de Toutankhamon. REUTERS/Asmaa Waguih.

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